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Ce risque (maîtrisé?) qu’Alain Juppé prend à mener une campagne sans propositions choc
©Reuters

Un long fleuve trop tranquille

Il titre son nouvel ouvrage "pour un Etat fort", parole, parole, parole, diront certaines. Mais à première vue, Juppé semble se placer dans un discours plus à droite et davantage sécuritaire. Il tente de séduire l'électorat de droite, nécessaire dans le cadre des primaires de Les Républicains. Pourtant derrière les mots forts, les propositions "choc" restent en retrait. Et c'est peut-être son talon d’Achille dans cette quête d'investiture pour la présidentielle de 2017.

Guillaume Tabard

Guillaume Tabard

Guillaume Tabard est rédacteur en chef et éditorialiste au Figaro. 

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Christelle Bertrand

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand, journaliste politique à Atlantico, suit la vie politique française depuis 1999 pour le quotidien France-Soir, puis pour le magazine VSD, participant à de nombreux déplacements avec Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande, François Bayrou ou encore Ségolène Royal.

Son dernier livre, Chronique d'une revanche annoncéeraconte de quelle manière Nicolas Sarkozy prépare son retour depuis 2012 (Editions Du Moment, 2014).

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Atlantico : La campagne de Juppé fait le choix de ne pas miser sur les propositions choc. En quoi peut-on, à travers ses deux ouvrages, établir ce constat ? Quelles sont ses caractérisiques ?

Christelle Bertrand : En effet, les propositions qu'il fait ne sont pas renversantes. Si certaines peuvent étonner sous la plume du maire de Bordeaux, c'est le cas de la suppression des allocations familiales versées aux parents d'enfants trop souvent absents en cours, d'autres sont assez attendues comme lorsqu'il préconise le rétablissement des peines plancher, la suppression des réductions automatiques de peines et celle des peines de substitution quand la condamnation est de plus d'un an. Même lorsqu'il propose de négocier un nouveau traité pour remplacer Schengen afin de mieux défendre les frontières extérieures de l'Europe, il enfonce des portes ouvertes depuis longtemps par Nicolas Sarkozy. Bref, rien de véritablement saillant dans son ouvrage. Ce fut aussi le cas de son livre sur l'Education Mes chemins pour l'école, Alain Juppé n'y a fait que peu de propositions marquantes.

On retient surtout une petite musique, une inclinaison: un discours plutôt favorable aux enseignants qu'il propose d'augmenter de 10%. Aujourd'hui, le candidat aux primaires souhaite montrer qu'il est bien de droite, pas laxiste, pas dans la culture de l'excuse, comme on le lui a souvent reproché. Mais, au-delà de cette petite musique, pas grand-chose quand Nicolas Sarkozy, lui, début novembre, créait la polémique en proposant un « recentrage » des policiers et des gendarmes sur « leur cœur de métier »  (ordre public, investigation, lutte contre la criminalité, renseignement) abandonnant une partie de leurs actuelles prérogatives à des services de sécurité privée comme ceux de la RATP ou de la SCNF. A la décharge de l'ancien ministre des Affaires Etrangères, il est un peu trop tôt pour que des propositions concrètes aient une chance de rester dans les mémoires, c'est d'ailleurs pour ça que les autres candidats n'en font pas non plus. Autant les garder pour la fin de campagne. D'autant que, comme on le reconnaît dans l'équipe d'un autre candidat : "on ne va pas sortir notre programme maintenant pour se le faire piller ou démonter".

Guillaume Tabard : Son livre sur l'école formulait des propositions assez fortes notamment en termes de gestion des établissements mais il était plus technique que son dernier ouvrage sur la sécurité. C'est pourquoi il a eu des difficultés à trouver un écho dans l'opinion. Il était assez complexe peut-être pour être entendu du grand public surtout qu'il est sorti en plein débat sur la réforme du collège et que ses propositions ne répondaient pas aux problématiques du moment. D'où le sentiment d'un certain contournement de la question qui était apparu à l'époque même s'il y faisait de réelles propositions en termes de budget des établissements scolaires et de gestion de carrière des enseignants qui marquaient des mini-révolution dans le système éducatif.

Par contre dans son livre sur la sécurité, là au contraire, il y a un point de vue très affirmé et assez clivant. De ce point de vue-là, Juppé qui a longtemps été victime de la part de Sarkozy d'un procès en centrisme voire en connivence avec la gauche, là pour le coup il se situe dans l'univers intellectuel de la droite sur les questions de sécurité. Sur le regroupement familial, qui est souvent agité comme un chiffon rouge pendant les campagnes électorales mais qui n'est jamais remis en cause lorsque la droite est au pouvoir, Juppé propose un réel changement. Il ne vise pas une suppression du dispositif mais avance qu'il ne soit plus possible pour un étranger qui n'a pas d'activité professionnel reconnu. Quelqu'un qui ne vivrait que de ses allocations n'aurait pas le droit au regroupement familial. Là c'est tout de même une prise de position assez clivante allant à l'encontre de la position établie de la droite au pouvoir. Cette position lui permet aussi de se démarquer de la gauche.

Quoiqu'il en soit, je ne dirai pas que ses livres soient consensuels. Chez Juppé il y a deux aspects. Tout d'abord, il s'agit d'une question de tempérament personnel qui se veut plus consensuel et rassembleur, ce qui fait dire aux sarkozyste qu'il serait plus centriste. Le fait qu'il refuse un certain nombre de débats sémantiques sur le voile à l'université ou sur l'assimilation participe de cette image et la renforce. Il refuse les grands débats idéologiques qui provoquent des débats très passionnés mais qui souvent ne débouchent sur rien de concret. Mais dans le détail des propositions, on constate avant tout une grande convergence de toutes les propositions des différents candidats à la primaire de Les Républicains que ce soit sur la question de la sécurité mais aussi de l'école. On est sur des propositions assez proches. Donc cette posture de consensus est davantage liée à un tempérament personnel qu'à une question de force de proposition. 

Comment expliquer cette volonté, ou stratégie, de consensus et de rassemblement ? En quoi sa personnalité ou ses conseillers peuvent être une aide à la compréhension de cette image assumée de sa part ? 

Christelle Bertrand : Il n'y a pas qu'une question de timing bien entendu, ce positionnement correspond aussi à la personnalité d'Alain Juppé qui se méfie des propositions choc car il veut justement apparaître comme l'anti-Sarkozy, il refuse de cliver, d'être dans l'effet d'annonce. Il pense, comme Hollande a pu le faire pendant la campagne de 2012, que les Français cherchent de l'apaisement, quelqu'un qui les rassure et non qui les bouscule. Il y va donc à tâtons.

Sa personnalité ne le porte pourtant par naturellement vers le consensus, en terme de propositions clivantes il faut garder en mémoire qu'il a dû quitter Matignon car il proposait un allongement de la durée de cotisation de 37,5 à 40 annuités pour les salariés de la fonction publique. On lui a beaucoup reproché cette rigidité qui confine à la dureté, il en a souffert. Depuis, il a d'ailleurs beaucoup raconté que Bordeaux l'avait changé, que de devoir gérer une ville lui avait appris l'art de la négociation et du consensus et c'est cette image-là qu'il entend promouvoir aujourd'hui loin du Juppé droit dans ses bottes.

La question qui se pose désormais est: est-ce qu'à force de vouloir être consensuel il ne va pas finir par être transparent. Que retient-on de ses différentes propositions, vraiment pas grand-chose. Or les Français n'adhérent que rarement à une philosophie, ils ont besoin de concret pour réagir et soutenir.

Guillaume Tabard : Tout d'abord, Juppé a un nombre restreint de conseillers. Il a un réseau d'élus avec des proches tels que Benoit Apparu, Edouard Phillipe ou encore Hervé Guaymard. En tant que conseiller à proprement dit, je vois Gilles Boyer qui joue un rôle de conseil en communication et en politique. A ce niveau-là, Juppé est un peu plus personnel et individuel que d'autres responsables politiques. Si l'on se concentre sur son cercle proched'élus, on peut parler de personnalités plus centristes par rapport aux autres élus de Les Républicains. Mais je n'irai pas jusqu'à dire que son entourage l'influence et exerce une pression sur lui.

Je pense qu'au-delà de ses proches, Juppé est lui-même sur cette ligne-là. Quoiqu'il en soit, la sensibilité des élus qui le soutiennent est globalement sur des positions plus centrales ou moins clivantes qu'un certain nombre de politiques sarkozystes. Ils sont par ailleurs moins présents sur des questions régaliennes.  C'est la différence avec l'entourage de Sarkozy qui rassemble des élus tels qu'Eric Ciotti ou Guillaume Larrivé, plus présents sur les thématiques de sécurité. C'est moins le cœur de sujet des élus juppéistes. Et c'est sur ce point que ce livre qu'il vient de sortir peut être une bonne surprise. On n'attendait pas Juppé aussi pointu sur ces questions régaliennes. 

Quelles sont les limites de ce Juppé-là ? En quoi cela peut-il être un désavantage plus qu'un avantage pour les primaires de Les Républicains, voire pour la présidentielle ?

Guillaume Tabard : Il y a une question de cohérence dans ses positions qui va se poser pour lui. On a d'un côté un ouvrage assez fourni avec un grand nombre de propositions sur une ligne globalement sécuritaire et de l'autre il a une position moins affirmée et moins claire sur une question d'actualité assez brulante comme la déchéance de la nationalité. Sur ce dernier débat, il est difficile de comprendre sa vraie position entre ce qu'il écrit dans son livre et l'interview qu'il a accordé au JDD dimanche dernier.

Or à tort ou à raison, le jugement de l'opinion se fait aussi sur ce type de sujets, à savoir la déchéance de la nationalité, surtout sur des périodes comme celles que nous vivons actuellement. Il s'agit de questions assez symboliques mais néanmoins importantes aux yeux de l'opinion. Les réserves qu'il a sur la déchéance de la nationalité le fait paraître potentiellement comme plus à gauche que Hollande. Donc en termes d'affichage, il y a un souci de cohérence entre un discours sécuritaire clairement marqué à droite et une postions sur une question précises mais symbolique qui tend à le déporter plus à gauche. C'est sur le terrain de la communication qu'il devra clarifier ses positions car le regard des électeurs c'est aussi une question de symboles, d'émotions et la rigueur d'un projet posé sur le papier ne suffit pas à incarner une ligne.

Vis-à-vis des électeurs de droite, Juppé doit répondre à cette attente d'action concrète. Une partie du doute qui peut exister à droite sur Sarkozy vient d'un sentiment de décalage entre des mots très musclés et une action qui l'était un peu moins. Le Karscher en est un exemple. C'est un terme très fort, qui a sans doute contribué à son succès en 2007, mais au final peu de choses ont changé dans les banlieues françaises. Sur cette primaire, Juppé doit dire aux électeurs de droite que s'il ne tient pas un discours aussi tonitruant que Sarkozy, il est capable de faire des propositions concrètes qu'il réussira à mettre en œuvre. C'est l'idée de mesurer l'efficacité sur le caractère réaliste des mesures et non seulement sur le caractère emphatique des mots.

Christelle Bertrand : Certes François Hollande a fait toute sa campagne sans faire l'ombre d'une proposition. Il a convaincu les Français grâce à trois arguments : sa personnalité "normale", une affirmation qui s'est avérée mensongère - mon ennemi c'est la finance - et une proposition forte, une seule - la création d'un taux d'imposition de 75% pour les revenus "au-dessus d'un million d'euros par an" qui n'a jamais vu le jour. De nombreux candidats aux primaires de la droite et du centre pensent, de la même manière, que la campagne tournera autour des personnalités des uns et des autres : Juppé le vieux sage, Le Maire le renouveau, Sarkozy le transgressif impulsif. "Les électeurs vont avant tout observer l'énergie, l'enthousiasme et la sincérité des uns et des autres", me disait-on dans l'équipe de l'un des candidats.

Alain Juppé, comme François Hollande en son temps, semble, lui, faire le pari que le rejet de la personnalité de Nicolas Sarkozy agira en sa faveur et,  en faisant très peu de propositions, comme Hollande en 2012, il évite de froisser qui que ce soit ne laissant entendre qu'une petite musique que chacun est libre d'interpréter à sa guise, l'aile droite qu'il cajole aujourd'hui avec son livre comme l'aile gauche qui pourrait être choquée par une trop franche droitisation. Le danger pour Alain Juppé c'est de se laisser écraser par Nicolas Sarkozy qui, on le voit déjà, va jouer un programme hyper musclé pour faire oublier une personnalité qu'il sait mal aimée. L'autre écueil c'est qu'en ne faisant que des propositions en demie teinte, le maire de Bordeaux laisse transparaître un manque d'envie et d'énergie.

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