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La science face au mystère de la perception du temps en fonction de l’âge
©Pixabay

Carpe diem

Beaucoup de gens pensent que le temps passe plus vite à mesure qu'ils vieillissent, mais il existe très peu de preuves scientifiques qui attestent que notre perception du temps change lorsque nous vieillissons. Il s'agit en effet d'études sur du ressenti de l'écoulement du temps de la vie, pas de l'écoulement du temps d'un moment T.

Christophe  de Jaeger

Christophe de Jaeger

Le docteur Christophe de Jaeger est chargé d’enseignement à la faculté de médecine de Paris, directeur de l’Institut de médecine et physiologie de la longévité (Paris), directeur de la Chaire de la longévité (John Naisbitt University – Belgrade), et président de la Société Française de Médecine et Physiologie de la Longévité.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment de "Bien vieillir sans médicaments" aux éditions du Cherche Midi, "Nous ne sommes plus faits pour vieillir"  chez Grasset, et "Longue vie", aux éditions Telemaque

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Atlantico : Après l'examen de plusieurs études et la réalisation de deux enquêtes dans deux pays différents - sur un total de 1865 sujets -, les psychologues William Friedman et Steve Janssen n'ont trouvé que peu de preuves qui démontreraient que l'expérience subjective du temps s'accélèrerait avec l'âge. Ils écrivent dans un article daté de 2009 : "Nous pouvons conclure que lorsque les adultes rendent compte de leurs impressions générales sur la vitesse du temps, les différences d'âge sont très petites." Est-ce malgré tout un ressenti dont vos patients vous parlent souvent ?

Christophe  de Jaeger :  Oui, et ce n'est pas simplement le fait des personnes âgées. Le vrai carrefour est en général autour de la cinquantaine pour la femme, (quand elles arrivent notamment à la ménopause, ce qui entraîne une modification de leur corps et de la manière dont elles se perçoivent et dont les autres les perçoivent aussi), et un peu plus tard pour les hommes, autour de 60 ans.

Mais c'est un sentiment que l'on peut expérimenter à tout âge, quand un jeune est confronté à la mort d'un proche par exemple, ou à la maladie. Certains ont aussi très vite conscience que la vie est courte par rapport à tout ce qu'ils souhaiteraient en faire. Mais cela reste des cas assez rares.

Vous vous sentez évidemment plus immortel quand vous avez 25 ans que quand vous en avez 50, même si ce sentiment dépend vraiment de chacun, de son état physique et psychologique. On observe par exemple que les hommes ont de moins en moins tendance à se laisser aller et luttent plus longtemps contre les premiers signes de vieillesse.

Notre capacité à estimer combien de temps prend une minute semble rester constant selon les âges. En 2005, des chercheurs de l'University of Central Florida et Westfield State College ont mené une expérience à ce propos : un par un, ils ont amené 100 participants âgés de 20 à 69 dans une salle de laboratoire sombre équipée avec seulement une chaise, une table et un chronomètre. Les participants ont été invités à deviner la longueur de divers intervalles de temps. Et il n'y avait pas beaucoup de différences entre les anciens sujets et les jeunes sujets. Comment alors expliquer le ressenti dont vous parlent vos patients ?

Ce ressenti arrive quand on se rend compte que, au fond, on n'aura plus le temps de faire tout ce que l'on veut. Il s'agit du ressenti de l'écoulement du temps de la vie, pas de l'écoulement du temps d'un moment T.  Et plus on vieillit, et c'est encore plus vrai quand on est en mauvaise santé, plus on se rend compte que l'on se rapproche de la mort et un sentiment d'urgence, ou plutôt de fébrilité peut alors apparaître.

Evidemment, ce n'est pas une règle absolue, il y a des gens qui vont rester dans le déni ou ne pas ressentir cela, mais c'est tout de même très courant d'avoir des patients qui évoquent cette sensation de temps qui va leur manquer et qui donc passe trop vite.

Ce qui est très curieux et qui tend à étayer ce ressenti, c'est que cette sensation continue à se développer même quand on est à la retraite, alors que c'est justement le moment où on a le plus de temps. On n'a plus les enfants à la maison ni d'impératifs de travail. Mais moi qui travaille dans beaucoup d'associations, j'ai remarqué qu'il est toujours plus facile d'organiser des choses avec des gens en activité qu'avec des gens à la retraite, qui ont de fait des emplois du temps surchargés (leurs petits enfants, la cuisine, la belote etc...).

Aujourd'hui, paradoxalement, les gens les plus structurés et les gens les plus disponibles sont ceux qui ont justement des activités régulières et qui trouvent le temps d'en faire un peu plus.

"L'estimation du temps n'est pas une science parfaite", a conclut le chronobiologiste Robert Sothern, après avoir pendant 48 ans compté 60 secondes dans sa tête, et ensuite comparé ses résultats avec une horloge, pour arriver à des résultats presque similaires, même si, à 70 ans, il estime "qu'il a tout de même tendance à surestimer le temps d'une minute". Chacun semble donc percevoir le temps différemment. Ce ressenti est-il en général une souffrance ou un moteur qui pousse vos patients à une suractivité ?

Il y a beaucoup de cas de figures différents. Je crois que c'est simplement une notion d'organisation psychologique. Biologiquement, c'est la même chose, les corps fonctionnent de la même manière.

Cela peut être une souffrance car malheureusement, il faut vivre ce sentiment d'urgence pour le comprendre, et c'est difficilement possible de s'y préparer, donc certains patients ont beaucoup de mal à accepter le fait qu'ils vieillissent. Personne ne va apprendre à son enfant à valoriser son temps, c'est une notion trop lointaine, trop impalpable. C'est un peu comme tous ces gens qui commencent à valoriser leur capital santé quand ils le perdent : il faut être confronté au problème du manque de temps pour y penser. Ce sentiment touche souvent des patients qui sont encore en bonne santé, qui veulent continuer à faire des choses encore et encore même à 70 ou 80 ans mais qui voient petit à petit leur corps peiner et leur champs d'activité se restreindre, ce qui les fait beaucoup souffrir.

Les gens qui ressentent moins que le temps passe plus vite sont à classer dans deux catégories.

Les gens qui ont eu une vie heureuse où ils ont fait beaucoup de chose se disent qu'ils ont fait leur temps, et qu'ils peuvent partir. Ils ne désirent pas mourir, mais si cela se produit, ils sont prêts. C'est la maladie qui fait vraiment peur à cette catégorie de personnes, qui ne veulent pas être dépendantes.

Il y a une deuxième catégorie de gens qui, malheureusement, ont eu des vies très tristes, qui ont eu des tas de problèmes ou qui sont dépressifs. Ceux-là n'attendent plus rien de la vie et se laissent aller en se disant prêts à accepter la mort, même si des fois on ressent des contradictions chez les patients dépressifs.

Comment faire pour vaincre cette anxiété pour ceux qui en souffrent ?

Je leur conseille d'abord de fixer leur attention sur ce qu'ils ont de plus précieux, c'est-à-dire leur capital santé, de l'entretenir et d'essayer de l'améliorer. Cela peut se faire quelque que soit l'âge, et c'est à la portée de tous. Car rester en vie le plus longtemps possible n'a d'intérêt que si on est en bonne santé.  Il faut essayer de vivre le plus longtemps possible certes, mais de la manière la plus épanouie possible.

Pour vaincre cette anxiété, je leur conseille également d'essayer de maîtriser le cours des choses et de ne pas se laisser aller, de lutter pour que la vie continue. Mais là-dessus, on est tous très inégaux, car c'est un problème de biochimie cérébrale. Certains auront toujours envie d'aller plus loin et de se battre jusqu'au bout, tandis que d'autres renonceront plus vite.

C'est aussi plus facile pour ceux qui croient en un au-delà ou en la réincarnation, car pour ces gens-là, la mort est simplement un chapitre de leur vie, donc ils l'attendent avec sérénité et ne souffrent pas du sentiment d'urgence et de manque de temps. C'est plus compliqué à gérer pour les athées ou ceux qui sont croyants mais qui ne croient pas à un au-delà, car la mort signe la fin de tout.

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