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Ouverture des archives de Vichy : ces zones d’ombre qui méritent encore d’être éclairées
©Reuters

Fiat lux

C’était le cadeau de Noel offert aux Français et aux historien. Le 24 décembre, le gouvernement a décidé de faciliter l’accès aux archives de Vichy. Plus de 70 ans après la fin de la seconde guerre mondiale, tout un pan de la mémoire judiciaire et policière de l’Occupation mais aussi de l’épuration qui suivit la Libération va pouvoir être approfondi.

Marc Ferro

Marc Ferro

Marc Ferro est un historien français, spécialiste de la Russie et l'URSS. Il est co-directeur des Annales et directeur d'Études à l'EHESS.

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Atlantico : En quoi cette libre consultation est-elle une avancée pour la connaissance historique étant donné que certains historiens avait déjà une dérogation pour les consulter ? 

Marc Ferro : Il faut bien comprendre quelle était la situation des chercheurs avant. Pour avoir accès aux archives de Vichy et aux archives nationales ou les autres périodes historiques, il fallait montrer patte blanche auprès de l’administration. Lorsque c’était le directeur de recherche qui donnait l’autorisation, les barrières administratives se levaient, ce qui fut mon cas lorsque Braudel m’a permis d’accéder aux archives du quai d’Orsay. Mais c’était plus compliqué lorsque des étudiants faisaient la demande. Il fallait les légitimer. Les administrateurs craignaient, à juste titre, que des amateurs, des journalistes ne viennent consulter les archives uniquement pour débusquer ce qui pourrait faire scandale. Ce qui avait pour effet de dévaloriser les trouvailles historiques présentées comme novatrices alors qu’elles n’étaient qu’un détail de l’histoire. Mais cette barrière administrative restait très mal perçue par les historiens parce qu’elle était toujours anonyme, non nominative. Alors ce libre accès aux archives est bien entendu un progrès. Les historiens vont avoir accès aux archives de la police judiciaire. Et certains procès qui leurs avaient échappés vont pourvoir être traités avec pour risque de réanimer le ressentiment franco-français ce qui attirera très certainement certains historiens en mal de notoriété. 

Va-t-elle inciter d’autres historiens à travailler sur Vichy et stimuler des recherches qui permettraient de lever des zones d’ombre ?

Tous les historiens qui ont travaillé sur Vichy comme Serge Karlsfeld, Michel Wieviorka, Robert Paxton ont permis de faire lumière sur cette période. Beaucoup de choses ont été révélées. On sait à peu près tout. Mais il reste des zones d’ombre par exemple ce qui s’est passé en Allemagne ou bien le dossier sur les membres de la "Cagoule", ce mouvement de tendance fasciste fondé dans les années 30. La répartition de ces anciens cagoulards dont certains se sont retrouvés dans la résistance à Londres et d’autres à Vichy, n’a pas complètement été étudié. Il y a donc des secteurs qui vont être enrichis. Mais, même si cet accès donne encore plus de liberté à la recherche qui, si elle n’était pas totale  était tout de même grande, comme le démontrent tous les travaux historiques réalisés, les historiens ont toujours tendance à taper toujours du même coté de l’histoire. il s’agit toujours de Vichy, de la collaboration, des juifs. C’est toujours la même musique alors qu’il y a d’autre terrains qui n’ont pas été abordés et qui sont tout aussi importants pour faire lumière sur cette période. 

De mon point de vue d’historien mais également d’ancien résistant du Vercors, il serait plus intéressant de se pencher sur les Allemands et leurs archives que sur les relations des Français avec les Allemands qui ont déjà été traitées d’ailleurs. Il faut bien comprendre qu’à l’époque, pour le jeune résistant que j’étais, Vichy ne comptait pas, ce qui importait dans notre vie quotidienne, c’étaient les Allemands. Un autre problème pourrait également être soulevé grâce à ces nouvelles archives, ce sont les quatre zones qui divisaient la France sous l’occupation : la zone libre, la zone occupée, la zone italienne et l’Alsace Lorraine. Pour les Français de l’époque, le problème central était moins les décrets de Vichy que de trouver comment faire pour passer d’une zone à l’autre. Au lieu de s’acharner, à juste titre, à démonter les méfaits de Vichy, les historiens devraient plus étudier la réalité quotidienne des Français de l’époque. Avec l’ouverture de ces archives, ce sera peut-être le cas.

Et pour les citoyens, cet accès va-t-elle aider les familles a mieux assumer psychologiquement le passé de leurs grands parents? 

Depuis trente ans, l’identité individuelle a pris une telle ampleur que beaucoup de nos concitoyens vont aller consulter ces archives pour savoir comment leurs grand parents se sont comportés, s’ils avaient collaboré ou résisté. 

L’Express consacre son dossier de fin d’année à la grande épopée de l’histoire de France. De nombreuses périodes sont évoquées : de la bataille d'Alésia à la Renaissance en passant par l’affaire Dreyfus, la commune jusqu’à mai 68, la coupe du monde de 98, en finissant par les années 2000 avec le choc du 21 avril 2002 et les attentats de 2015. Mais cette chronologie historique est marquée par une grande ellipse temporelle, la guerre de 40. Le dossier saute du Front Populaire de 1936 à la Libération de Paris en 1944. Cette erreur par omission n’est-elle pas révélatrice de notre traumatisme national ? Ces archives vont-elle permettre de le soigner ou bien Vichy restera-t-il le passé qui ne passera toujours pas ?

Cette éviction de la guerre de 40 est symptomatique de notre tabou national. Mais ce traumatisme n’a pas empêché la production de plusieurs excellents ouvrages. Encore faut-il les lire ! On peut faire le parallèle avec la guerre d’Indochine. Contrairement à ce qu’on a pu dire, il y a eu plusieurs films qui ont montré les évènements mais n’ont pas été regardés. Le frein est psychologique. Les Français préfèrent les heures glorieuses de leur histoire que les périodes malheureuses où ils voient poindre l'ombre noire de la culpabilité.

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