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"La police m’a tué !" : quand un flic aguerri de 40 ans, père de deux jeunes enfants, se suicide
©Pixabay

Bonnes feuilles

En France, le blues des flics n’est pas nouveau. En 1997, un article du Monde évoquait déjà les dérives de certains policiers qui choisissaient le suicide plutôt que le harcèlement moral de leur supérieur ou la charge de travail trop lourde à supporter. L’année 2014 a atteint des records avec la mort volontaire de 55 policiers. Et les gendarmes ne sont pas en reste ! En 2013, vingt trois d’entre eux s’étaient suicidés. Extrait de "Le jour où j'ai mangé mon flingue - Pourquoi policiers et gendarmes se suicident" d'Alain Hamon, aux éditions Hugo et cie 1/2

Alain Hamon

Alain Hamon

Ce grand reporter spécialisé police-justice (entre autre pour I>Télé, Zone Interdite, Envoyé spécial) est déjà l'auteur de plusieurs ouvrages dont Dossier P...comme police, éditions Alain Moreau 1983 ; Action directe, du terrorisme français à l'euroterrorisme, Le Seuil, 1986; et plus récemment Police : l'envers du décor, J.C Gawsewitch, 2012.

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C’est la nuit au commissariat de Créteil. Les policiers de la BAC N (brigade anticriminalité départementale de nuit) du Val-de-Marne ont pris leur service normalement. Lentement, la vacation va basculer du 5 au 6 juillet. Parmi ces « nuiteux », un brigadier-chef de 40 ans, père de deux enfants âgés de 6 et 8 ans. C’est un flic aguerri, reconnu comme tel par tous ses pairs, excellemment noté. Le 26 décembre 2000, il n’avait pas hésité à faire très rapidement mouvement sur les lieux de l’attaque d’un fourgon blindé de la Brink’s, porte de Gentilly à Paris. La patrouille, qui tentait d’intercepter des malfrats lourdement armés, appartenant au gratin du grand banditisme, avait essuyé une pluie de balles de fusils d’assaut. Pour échapper aux tirs, les policiers avaient dû sauter de leur véhicule. L’engagement du brigadier-chef lui avait valu une décoration, rapporte Le Parisien. Apparemment, il n’en a cependant jamais fait des gorges chaudes. Ses collègues et ses proches le connaissent surtout pour sa discrétion, frisant la timidité.

À 22 h 45, ce 5 juillet, il change la photo de son profil Facebook. À la place d’un clown triste, il poste un pont tendu vers un invisible horizon, surplombé de lourds nuages. La prise de service effectuée, le policier récupère son « Storno », la radio portable que les policiers appellent toujours ainsi, même si la marque de l’appareil a changé depuis longtemps. Quelques minutes plus tard, un message déchire les ondes : « Je souhaite bon courage à tous les collègues. Vous faites un métier difficile. Mais moi, la police m’a tué ! » Les effectifs présents se précipitent vers le lac artificiel de Créteil. Tous croient que leur collègue s’y est jeté. Mais c’est bien du commissariat que le talkie-walkie a émis. Et c’est bien là que le malheureux s’est tiré une balle dans le coeur. Très vite, beaucoup constatent que personne ne se doutait de quoi que ce soit. Certains se reprochent même de n’avoir rien vu venir, de n’avoir rien pu faire. D’autres rappellent que, récemment et à plusieurs reprises, il avait expliqué qu’il allait partir. Mais ils ajoutent aussitôt qu’ils pensaient qu’il voulait « quitter la boîte », ou obtenir une mutation.

Quelques jours après sa mort, c’est une cousine très proche qui brise le silence de la famille effondrée, en répondant aux questions de Fabienne Huger du Parisien Aujourd’hui en France. Christine aussi s’en veut de n’avoir pas compris le mal-être du policier. Même si le côté toujours joyeux de ce dernier ne laissait rien paraître. Intriguée tout de même par les idées noires qu’elle semblait deviner au travers des lignes du réseau social que fréquentait son cousin, elle lui avait demandé si tout allait bien. Et la jeune femme de confier à la journaliste que, « s’il avait évoqué ses conditions de travail difficiles, il n’était pas allé plus loin, même s’il regrettait de ne plus pouvoir exercer sa profession aussi bien qu’avant ». Mais Christine confie alors : « Pourtant, ça l’a tué ! » Pour elle, le message radio lancé par le brigadier-chef, le fait de s’être tué en service, avec son arme de dotation, « c’est un appel au secours qu’il a voulu lancer pour ses collègues ». 

Et la cousine du disparu de s’emporter : « Combien de temps faudra-t-il à nos dirigeants pour réagir ? Je pense qu’il s’est sacrifié pour servir d’exemple. Maintenant, tout ce que je souhaite, c’est que les choses bougent vraiment, que l’on donne aux policiers les moyens de faire leur métier correctement pour que plus aucune famille ne traverse l’épreuve que nous affrontons aujourd’hui. » Pour elle, « il a sûrement voulu être fort jusqu’au bout ». Avait-il seulement vu un jour Le Président, ce film d’Henri Verneuil dans lequel Michel Audiard fait dire au magistral Jean Gabin : « Il faudra en prendre votre parti, je mourrai avec insolence, et sans vous prévenir. » Qui sait ?

Dernière explication aux raisons supposées du stress des policiers, du burn-out et, au bout du compte, des suicides : la politique du chiffre. On l’a vu plus haut, entre Manuel Valls et Bernard Cazeneuve le consensus est total : elle n’existe plus ! Obtenir des résultats, oui mais pas à n’importe quel prix ! On verra plus loin comment il faut accueillir ces affirmations ministérielles.

Extrait de "Le jour où j'ai mangé mon flingue - Pourquoi policiers et gendarmes se suicident" d'Alain Hamon, publié aux éditions Hugo et cie, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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