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Les cloches des églises sonneront-elles toujours en Irak en 2016 ?
©REUTERS/Ahmed Saad

En voie de disparition

Menacées d'extinction en Irak et en Syrie, les communautés chrétiennes sont victimes de nombreuses persécutions. Et les solutions envisagées pour les aider semblent bien utopiques.

Joseph  Yacoub

Joseph Yacoub

Joseph Yacoub est professeur honoraire de l’Université catholique de Lyon, ancien titulaire de la chaire UNESCO « Mémoire, cultures et interculturalité ». Spécialiste  des minorités et des chrétiens d’Orient, il est l’auteur de : Qui s’en souviendra ? 1915, le génocide » assyro-chaldéo-syriaque, Ed. du Cerf, Paris, 2014,  à paraître  traduit en anglais : Year of the Sword, Hurst, Londres, juillet 2016, et : Oubliés de tous. Les Assyro-Chaldéens du Caucase (co-écrit avec son épouse Claire Yacoub), Cerf,  octobre 2015.

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Des cimetières chrétiens profanés aux tracts placardés devant des églises à Bagdad, le 13 décembre, obligeant les femmes chrétiennes à porter le voile, les persécutions des chrétiens en Irak continuent. En Syrie, ce mercredi 30 décembre  fut un jour horrible. Et les conflits perdurant, le flot des réfugiés qui arrivent de Syrie et d’Irak va continuer à grossir en 2016. Les solutions envisagées - réviser les frontières du Moyen-Orient, l'installation d'un système démocratique - semblent hélas bien utopiques pour sauver les chrétiens d'Orient.

Un état des lieux inquiétant

D’abord quelques données toutes récentes en cette fin décembre 2015 qui permettent de mieux mesurer l’état du drame vécu par les chrétiens et sur ce qui s’annonce. Dans la ville de Mossoul occupée par l’organisation de l’Etat islamique Daech, des tracts ont été récemment distribués qualifiant les chrétiens d’ "égarés". L’inquiétude règne aussi sur les propriétés des 150 000 chrétiens, dont 50 000 de Mossoul, qui ont perdu leurs biens  lors de l’invasion de cette ville et de la vallée de Ninive par Daech en juillet 2014. Une inquiétude similaire est partagée concernant des familles portées disparues. A Bagdad, des milices et des groupes mafieux ont confisqué des biens et des demeures de chrétiens. Dans la ville de Kirkouk, des inconnus ont profané des cimetières chrétiens en ce décembre 2015. Au nord de l’Irak, Noël a été célébré par endroit dans des caravanes. Des tracts placardés devant des églises à Bagdad, le 13 décembre, obligent les femmes chrétiennes à porter le voile. Une loi votée par le Parlement irakien au sujet de la carte d’identité nationale impose l’islam aux enfants mineurs, appartenant aux minorités non musulmanes (chrétiens, sabéens, yézidis…) lorsqu’un des parents se convertit à l’islam. Les chiffres avancés annoncent  que durant les trois dernières décennies plus de 700 000 chrétiens (sur un million)  ont quitté l’Irak. Dans son message de Noël, le patriarche chaldéen, sa Béatitude Mar Louis Raphaël 1er Sako a annulé les cérémonies officielles de vœux  à l’occasion de Noël parce que nous sommes tristes, affirmait-il avant d'ajouter : "pour nous chrétiens, cette année a été la plus mauvaise".

Mercredi soir 30 décembre 2015, des attentats à la bombe faisant plusieurs morts et de nombreux blessés, revendiqués par l’Etat islamique, ont eu lieu à Kameshli (province de Hassaké), ville située au nord-est de la Syrie, frontalière avec la Turquie, qui ont visé  trois restaurants bondés tenus par des chrétiens assyriens-syriaques. 

Que présage l’année 2016 ?

En dépit de l’élan de solidarité sans précédent dans les pays occidentaux en faveur des chrétiens d’Orient et des autres minorités marginalisées et  persécutées (les Yézidies, les Chabaks…), comme ça a été le cas en France, l’ampleur des tâches et des besoins sont énormes. Et comme la situation politique ne s’améliore guère en Irak ni en Syrie, ni dans l’ensemble de la région, on peut supposer que le flot des réfugiés qui arrivent de Syrie et d’Irak va continuer à grossir les camps des pays avoisinants (Turquie, Jordanie, Liban…) et les demandes se multiplier vers les pays occidentaux. Déjà, les autorités religieuses chaldéennes et syriaques au Liban ont déclenché la sonnette d’alarme. L’immigration sera malheureusement en progression et on voit mal comment l’arrêter. De surcroît, les conflits perdurant, il semble que l’exode est cette fois sans retour. L’Orient se vide de ses autochtones tout en sachant que le départ n’est pas la solution.

Mais que faire ?

Réviser les frontières ?

On entend ici et là, que les frontières du Moyen-Orient seraient peut-être redessinées dans les années à venir.  Allons-nous vers un nouveau Syxes-Picot ?

A première vue, observons que les frontières de ces pays sont déjà fortement destabilisées par les guerres en cours : un Kurdistan irakien quasi indépendant, la mobilité des populations bédouines qui se meuvent librement entre la Syrie et l’Irak bravant les frontières, la ville ravagée de Sindjar (sous quelle autorité sera-t-elle demain ?), la mosaïque minoritaire qu’est le nord de la Syrie et l’influence kurde.

Il faut savoir  que les frontières de ces pays  furent constamment mouvantes au cours des siècles, depuis plus de 3000 ans, remodelées au gré des conquérants. Lors des guerres entre l’empire romain et l’empire perse au IVè siècle, les cités changeaient de main au rythme des circonstances, telle Nisibe (ou Nisibine, aujourd’hui en Turquie), tantôt romaine, tantôt persane, ou Sindjar (aujourd’hui en Irak), ville yézidie, aujourd’hui endeuillée, qui subit le même sort.

Toujours au sujet des frontières, on entend des regrets ici et là que les limites géographiques des Etats ne soient  pas conformes aux réalités nationales. Or l’histoire nous apprend que ceci n’est pas faisable.  Ce sont les rapports de force et rien d’autre qui fixent les contours des Etats, souvent au grand désespoir des minorités. Cela dit, un remodelage des frontières n’est pas à exclure. En compensation, il n’apportera  pas de solution aux chrétiens d’Orient. Au contraire, il sera, très vraisemblablement, une nouvelle source de conflictualité. En tout cas, quoi qu’il en soit, la flamme des guerres  est loin de s’éteindre.

La démocratie ?

Mais face à cet avenir sombre, on évoque  la démocratie et les libertés publiques comme possible alternative en vue de la coexistence entre les communautés et le respect des droits des minorités religieuses, culturelles et ethniques. Oui, à l’évidence. Mais comment procéder ? D’abord quelques rappels. La démocratie  n’est pas seulement un ensemble  de techniques et de procédures électorales, ce sont des valeurs intériorisées  autour de l’autonomie de l’individu, la primauté du droit, le respect de l’autre, les libertés individuelles  dont la liberté religieuse, la liberté de la presse, la séparation des pouvoirs, le pluralisme, l’alternance au pouvoir  et la reconnaissance des minorités.

Il y a à cela des conditions  dont le développement des mœurs, une culture de la démocratie, l’évolution des mentalités et l’indépendance du pouvoir judiciaire. C’est dire que la démocratie ne s’improvise pas et qu’elle a des fondements.  Elle ne s’exporte pas, elle s’invente. L’expérience historique et politique révèle par ailleurs qu’une condition fondatrice de la démocratie  c’est la sûreté et la sécurité (des personnes et des biens). C’est même le premier des droits de l’homme. Ces sociétés ont d’abord  besoin de l’autorité centrale de l’Etat  pour être gouvernées, autrement dit d’un Etat fort pour assurer le maintien de l’ordre, la stabilité et la concorde civile. 

Pour être efficace, cette autorité centrale  doit bénéficier de la puissance des appareils d’Etat, capables d’imposer leurs décisions, en ayant le souci  de l’intérêt général et du bien commun, sans distinction entre les citoyens et dans l’égalité, sans clientélisme ni confessionnalisme.   Cette condition de sûreté devrait parallèlement être accompagnée de mesures démocratiques  comme la liberté d’expression, quitte à les développer et  les étendre au fur et à mesure. Mais dans la réalité, on en est loin !

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