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François Hollande, le président qu’aucun drame n’empêchait de se vautrer dans les petites habiletés
©Reuters

Jeu de dames

Sortie de Christiane Taubira mardi, puis démenti officiel du président de la République lui-même mercredi, le jeu du chat et de la souris se poursuit entre l'Elysée et le ministère de la Justice. Et contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce n'est pas le plus calme d'apparence qui s'incline. Le président a même fait d'une pierre deux coups en se jouant de la droite. Partie d'échecs avec "maître" François Hollande...

Jacques Julliard

Jacques Julliard

Jacques Julliard est journaliste, essayiste, historien de formation et ancien responsable syndical. Il est éditorialiste à Marianne, et l'auteur de "La Gauche et le peuple" aux éditions Flammarion.

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Jean-Luc Mano

Jean-Luc Mano

Jean-Luc Mano est journaliste et conseiller en communication chez Only Conseil, dont il est le co-fondateur et le directeur associé.

Il anime un blog sur l'actualité des médias et a publié notamment Les Perles des politiques.

 

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Atlantico : Hollande n'a-t-il pas piégé tout le monde en laissant croire qu'il allait abandonner le projet de la déchéance de nationalité avant de faire le contraire ?

Jacques Julliard : Il n'est pas nécessaire de prêter autant de machiavélisme. François Hollande est un pragmatique. A tout moment il est attentif aux rapports de force. Lorsqu'il a fait son discours de Versailles sur la déchéance de nationalité, il  voit comment la gauche réagissait sans se prononcer. Pour ménager la gauche de son parti, il ne réagit pas immédiatement aux propos de sa Ministre de la Justice qui a annoncé l'abandon de l'extension de la déchéance de nationalité. Hollande comprend bien que s'il suit la ligne Taubira, il récupère peut-être la gauche mais il perd, à coup sûr,  la droite et met en danger son projet de réforme constitutionnel. Toujours sans se prononcer, il revient donc à son projet initial. A tout moment, François Hollande est un homme politique qui prend la température et évite de se prononcer trop vite. Ses prises de décisions reflètent plus d'un attentisme que de contradictions.

Hollande ne voulait-il pas piéger la droite, sensible à cette question de la nationalité, en la forçant à réagir trop tôt ?

Jacques Julliard : La droite n'est pas tombée dans un piège, elle a plutôt posé ses conditions en prévenant que si la clause concernant la déchéance de nationalité  ne figurait plus dans le projet du gouvernement, elle ne voterait pas. Hollande fait un choix stratégique en préférant  décevoir une petite partie de sa majorité plutôt que de se mettre à dos toute la droite en sachant que les légalistes de droites ne sont pas majoritaires dans le pays.  Un président joue toujours sur deux  registres: le registre parlementaire et celui de l'opinion publique qui est plutôt sensible à la fermeté. Hollande n'est pas un homme hermétique droit dans ses bottes. Il annonce la couleur, attend de voir les retombées comme une fois qu'on lance des marrons en l'air, et en tire les conséquences.

Jean-Luc Mano : Tout d'abord il faut dire que pour la gauche, c'est un débat compliqué. Il y a un moment de trouble. François Hollande a eu un moment d’hésitation en se demandant ce qu’il allait faire. Et puis il lance finalement cette opération politique. Celle-ci  comprant Taubira, même si elle ne le sait pas, qui sert de leurre en faisant cette déclaration qu’elle réalise dans les pires conditions en plus. Le fait que ce soit elle est très important car elle n’était sans doute pas la plus à même de convaincre qu’il fallait y renoncer. Et deuxièmement, elle la fait depuis l’Algérie, ce qui n’est quand même sans doute pas la meilleure décision qu’on pouvait imaginer. Il lance un leurre, et après il récupère l’affaire. Donc de ce point de vue-là, oui c’est relativement bien joué. Il sait qu’il va avoir des réactions fortes de la droite, qui a hurlé sur le sujet. Il leur lance Taubira comme appât, et la droite y va très fortement. Derrière, il montre que malgré la violence de l’attaque de la droite et des résistances de la gauche, il ne renonce pas. On peut effectivement dire que dans une certaine mesure, il s’est joué d’eux.

Hollande est un animal politique. Cette droite qui est montée au créneau, n'est-elle pas ridicule après coup, comme le souhaitait Hollande ?

Jacques Julliard : Il s'agissait plus pour François Hollande de se tirer d'un piège que d'en tendre un. Il était entre l'arbre et l'écorce et a préféré adopter la stratégie de repli en suspendant son jugement. Je ne pense pas que la droite se soit ridiculisée car dans cette affaire elle a été assez cohérente.

Est-ce qu’on peut parler à ce niveau-là de stratégie politique ou plutôt de stratégie de communication ?

Jean-Luc Mano : Les deux ! C’est une stratégie politique et une tactique de communication. C’est d’abord la volonté de s’approprier totalement et personnellement la décision et donc de montrer deux choses. D’abord montrer que c’est compliqué et indécis et que donc il va faire preuve d’autorité pour prendre la décision à terme. Il laisse donc monter un certain nombre d’oppositions, il laisse poindre un doute sur le fait qu’il va aller jusqu’au bout. Et cela lui permet de montrer également, notamment au regard des électeurs de droite, qu’il est prêt à faire des sacrifices et à sacrifier ce que pense une partie de la gauche, particulièrement la gauche de la gauche, au bénéfice d’un électorat plus central.

Qu'est-ce que cela révèle de la façon de gouverner et de la personnalité de François Hollande ?

Jacques Julliard : François Hollande est un très bon élève de Mitterrand mais avec un tempérament tout à fait différent de l'homme au chapeau. Comme Mitterrand, il sait que la politique est une question de rapport de force et qu'il est donc nécessaire de prendre le temps de bien examiner les enjeux et de ne pas vouloir péter contre le tonnerre comme disait l'autre. Par contre, il est moins souverain, il a moins d'emphase présidentiel que son mentor. Mais plus les années de son mandat passent, plus je trouve que Hollande est mitterrandien…

Jean-Luc Mano : On peut reprocher à Hollande beaucoup de choses si ce n'est d'être malin, au sens premier du terme. Cette façon de se jouer de sa gauche et de sa droite pour se présenter comme le sauveur qui arrive avec le mesure qui fait consensus dans la population, cela a déjà été fait à plusieurs reprises. Cette méthode a été utilisé avec Macron, sur la libéralisation du travail du dimanche. Evidemment l'effet est d'autant plus fort que la mesure touche à une réforme constitutionnelle. L'idée de créer une telle surprise en sacrifiant une partie de son camps, en l'occurence ici Taubira, peut être très bénéfique. Mais attention à ne pas en abuser car la facile devient grosse très rapidement. Il faut savoir l'utiliser avec précaution. 

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