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Le mystère Taubira
©Reuters

Petite mère du peuple

Tout à la fois dedans et dehors, Christiane Taubira fait figure d'électron libre du gouvernement. Mardi, elle annonçait l'abandon du projet d'extension de la déchéance de nationalité pour les binationaux nés Français sur une radio en Algérie. Aujourd'hui, François Hollande annonce qu'il sera bien maintenu. Plus qu'un coup de bluff, la ministre de la Justice a posé sur la table la carte provocation.

Jacques Julliard

Jacques Julliard

Jacques Julliard est journaliste, essayiste, historien de formation et ancien responsable syndical. Il est éditorialiste à Marianne, et l'auteur de "La Gauche et le peuple" aux éditions Flammarion.

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Régis de Castelnau

Régis de Castelnau

Avocat depuis 1972, Régis de Castelnau a fondé son cabinet, en se spécialisant en droit social et économie sociale.

Membre fondateur du Syndicat des Avocats de France, il a développé une importante activité au plan international. Président de l’ONG « France Amérique latine », Il a également occupé le poste de Secrétaire Général Adjoint de l’Association Internationale des Juristes Démocrates, organisation ayant statut consultatif auprès de l’ONU.

Régis de Castelnau est président de l’Institut Droit et Gestion Locale organisme de réflexion, de recherche et de formation dédié aux rapports entre l’Action Publique et le Droit.

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Atlantico : Pourquoi Taubira ne démissionne-t-elle pas si elle est en tel désaccord avec la politique de son gouvernement ? Doit-elle le faire ?

Jacques Julliard : Elle est enferrée dans une ambiguïté qui ne semble pas lui déplaire. Taubira ce n'est pas Chevènement pour qui un ministre ferme sa gueule ou bien démissionne. Elle, elle ouvre sa gueule mais ne démissionne pas. C'est sa marque de fabrique. Visiblement, elle aime le pouvoir et ne semble pas franchement décidée à l'idée de bien vouloir le lâcher. Pourtant depuis qu'elle est au gouvernement, elle aurait pu démissionner à plusieurs occasions. Mais elle ne l'a jamais fait. Il lui arrive d'ailleurs d'avoir le dernier mot. Lorsqu'elle est en position de force, Hollande arbitre en sa faveur et a contrario lorsque le rapport de force est en sa défaveur, elle s'incline. Ces relations de pouvoir ne correspondent pas franchement à l'idée qu'on se fait d'un gouvernement. De la majorité plurielle, on est passé à un gouvernement pluriel.

Régis de Castelnau : Sur le plan du fonctionnement normal d’un gouvernement, il apparaît assez évident que le pataquès provoqué par Madame Taubira aurait dû aboutir à une démission de sa part. Retenons qu’elle avait été d'une discrétion de violette depuis la mise en place de l'état d'urgence.

 Le Président de la République avait très rapidement annoncé une révision de la Constitution, en prenant 24 h après (!) les attentats du 13 novembre un virage à 180° à propos de la déchéance de nationalité. Que la gauche avait vigoureusement combattu jusqu’alors. Ce qui a fort normalement suscité un débat dont il est possible que la garde des sceaux ait surestimé les conséquences.

On sait depuis un moment déjà que Madame Taubira et surtout préoccupée de sculpter sa statue de grande personnalité de « gauche ». Elle a donc profité, la veille du conseil des ministres où devait être présenté le projet de loi constitutionnelle, pour donner une interview d'une interview donnée à radio algérienne. Prenant tout le monde vitesse elle a pris la responsabilité d’annoncer à la face du monde l’abandon de la mesure controversée. Pour être désavouée par le président le lendemain. Il est assez clair qu’elle aurait dû au moins proposer sa démission. Mais, avec les exemples récents de Bartolone, et Le Drian on voit bien que la responsabilité politique est tombée en désuétude. Plus personne ne démissionne quels que soient les fautes commises.

Pourquoi  Hollande ne la limoge pas ?

Jacques Julliard : Hollande ne veut pas la renvoyer du gouvernement. Il a en effet plus à perdre à voir Christiane Taubira en dehors du gouvernement plutôt que dedans. Les couacs qu'elle provoque servent les intérêts de Hollande qui lui permet de préserver la gauche de la gauche de sa majorité. De plus, admettre, comme elle vient de le faire, que le dernier mot appartient au président de la République, c'est tout bénéfice pour Hollande puisque l'opposition de gauche voit sa représentante accepter sans trop faire histoire la décision présidentielle. Il en sort donc renforcé.  

Régis de Castelnau : C’est Cambadelis lui-même qui a vendu la mèche lorsqu’il nous a indiqué « qu’elle était indispensable à la couleur du gouvernement ». Ministre de couleur plutôt brillante et se présentant en grande conscience de gauche, sa caution est indispensable. Elle ne risque rien de ce point de vue. Mais il n’est pas sûr qu’elle n’ait pas, avec certaines de ces provocations essayé d’être écartée. Ce qui lui aurait permis d’ajouter la plume du martyr à son chapeau.

Sa carrière politique et curieuse. Une jeunesse indépendantiste qu’il est un peu ridicule de lui reprocher aujourd’hui suivi d’un parcours classique qui la situait plutôt au centre-droit de l’échiquier politique. C’est Bernard Tapie qui l’ayant repérée après qu’elle eut voté la confiance au gouvernement Balladur, lui proposa de l’accompagner dans sa trajectoire.

Quel est son moteur ? agit-elle par pur opportunisme ou bien est-elle motivée par des convictions politiques ?

Jacques Julliard : Christiane Taubira a toujours eu de fortes convictions de gauche. Mais, grâce à une certain habileté, elle toujours su les affirmer au sein de postures politiques assez modérées.  N'oublions pas qu'il y a quelques années elle était la candidate des radicaux alors qu'aujourd'hui on la verrait plus à la tête d'un Front de gauche damant le pion à Mélenchon.

Régis de Castelnau : Sa carrière politique est curieuse. Une jeunesse indépendantiste qu’il est un peu ridicule de lui reprocher aujourd’hui suivie d’un parcours domien classique qui la situait plutôt au centre-droit de l’échiquier politique. C’est Bernard Tapie qui l’ayant repérée après qu’elle eut voté la confiance au gouvernement Balladur en mille neuf cent quatre-vingt-treize, lui proposa de l’accompagner dans sa trajectoire. Ce qui aboutit, après l’explosion en vol de Tapie, à sa candidature radicale de gauche en 2002 aux élections présidentielles. Elle avait depuis un peu disparu des écrans jusqu’à la victoire de François Hollande qui lui proposa un poste sur le quota réservé aux radicaux de gauche. Et c’est là qu’elle sut saisir sa chance avec l’interminable débat au Parlement sur le « mariage pour tous » qu’elle anima avec brio. Et qui la transforma en tête de Turc de la droite dure. Prétendre que c’est une femme de gauche est assez abusif. Elle a été la grande absente de tous les débats sociaux qui ont eu lieu depuis le début du quinquennat. 

Quelles sont les relations entre Hollande et Taubira ?

Jacques Julliard : Hollande a toujours dit qu'il était un homme aux nerfs froids. Comme Mitterrand, il sait maitriser son émotivité. Taubira, elle, est plus passionnelle. Cela explique en partie qu'il y ait souvent des étincelles entre eux deux.

Régis de Castelnau :  À ma connaissance, elle ne fait pas partie de la bande des hollandais et je pense que François Hollande la supporte plus qu’il ne la soutient. N’étant jamais véritablement empressé avec elle, laissant à Manuel Valls le soin de la défendre. 

Pourquoi avoir accepté le ministère de la justice alors qu'elle semble s'en désintéresser ?

Jacques Julliard : Il est difficile vu le contexte de tension actuel d'en récupérer un autre. Elle aurait pu aimer être ministre de la culture vu son goût pour la poésie. Mais être Garde des sceaux lui offre une position bien plus confortable et bien plus élevée dans la hiérarchie. C'est un ministère qui lui permet d'avoir une posture de gauche à l'intérieur d'un gouvernement davantage centriste que de gauche. Ce poste ministériel est idéal pour elle. 

Régis de Castelnau : Elle ne semble manifester aucun intérêt réel pour la mission confiée avec le poste essentiel de garde des sceaux, laissant les services où le Syndicat de la Magistrature est actuellement hégémonique conduire le bal. L’accusation de prôner « une justice laxiste » est inepte. Elle se contente de laisser faire les services où sévissent effectivement certains partisans de la « culture de l’excuse », mais où l’essentiel des problèmes provient d’une absence criante de moyens. Mais s’il est incontestable qu’elle est l’objet d’une haine impressionnante dont parfois la dimension raciste n’est pas absente.

En fait, il semble que ne se faisant pas beaucoup d’illusions sur la pérennité de la gauche au pouvoir elle a été surtout préoccupée de ménager ses intérêts pour l’après. On dit beaucoup qu’elle se verrait bien au Conseil Constitutionnel, comme Robert Badinter le fut après avoir lui aussi été garde des sceaux et dont elle envie le statut de « grande conscience de la gauche ».

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