Cameron s'en prend-il (enfin) à la City avec sa réforme bancaire ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Cameron s'en prend-il (enfin) à la City avec sa réforme bancaire ?
©

London changing

Le gouvernement britannique a donné son feu vert lundi pour une réforme des banques, prévoyant la séparation des activités de détail, de celles d'investissement. Les libéraux Anglais seraient-ils donc les premiers à ne plus cautionner que les contribuables et banques commerciales épongent les pertes des banques de financement ?

Jean-Paul Pollin

Jean-Paul Pollin

Jean-Paul Pollin est Professeur d'économie à l'Université d'Orléans. Membre du Cercle des économistes, il est également Président de la Commission « Système financier et financement de l’économie » du Conseil National de l’Information Statistique.

Voir la bio »

Atlantico : Le gouvernement britannique a donné son feu vert lundi 19 décembre à une réforme en profondeur du secteur bancaire, qui prévoit notamment de séparer les activités de détail, dédiées aux particuliers, et les activités d'investissement. S'agit-il avant tout d'une annonce politique, ou d'une réforme utile ?

Jean-Paul Pollin : Cela peut être une annonce politique, car les libéraux démocrates - qui ont fait alliance avec le Parti conservateur - avaient insisté sur ce point dans leur programme. Après avoir "avalé de nombreuses couleuvres", ils ont certainement voulu rappeler qu’ils avaient encore quelques convictions en défendant une réforme qui leur tenait à cœur.

Reste l’horizon lointain de cette réforme, car il est question de produire un texte de loi en 2015, qui ne rentrerait en application qu’en 2019.

Mais ce n’est pas parce que cela peut être une annonce politique, que c’est nécessairement une mauvaise idée. Je crois au contraire que cette séparation entre deux types d’activités bancaires est une disposition nécessaire (mais pas suffisante) dans une régulation efficace du secteur.

Quant au principe même de cette réforme, il consiste à isoler les activités de la banque de détail, de celles - plus risquées - des banques de financement et d’investissement, c'est-à-dire essentiellement des activités de marché. On sait que c’est à ce niveau que la crise financière a pris naissance. De plus, une rapide observation de l’évolution dans le temps des revenus des deux types de banques permet de s’apercevoir que la volatilité est plus grande dans les activités de financement et d’investissement, que dans la banque de détail. Or il n’est pas justifié que les risques pris dans les activités de marché viennent polluer les activités de la banque de détail, qui bénéficient d’une garantie publique par l’assurance des dépôts, et plus généralement par l’intermédiaire du filet de sécurité offert par les autorités budgétaires et monétaires.

Car, ces protections ne doivent pas profiter à des activités qui n’ont pas le caractère de service public, et qui par conséquent n’ont pas à être garanties par l’Etat. Dans le cas contraire, cela induit une incitation à la prise de risques excessifs.

A la fois pour des raisons d’efficience et de morale, il n’est pas normal que les activités de marché bénéficient d’une assurance publique.

John Cridland, représentant du patronat britannique, avait qualifié de "complément dingue" le projet de séparer activités de détail et d'investissement des banques, « au moment où la croissance est en danger et affaiblit la capacité des banques britanniques à fournir les capitaux dont les entreprises ont besoin pour croître ». Qu'en est-il ?

Je ne crois pas du tout que la réforme engagée par le gouvernement britannique soit de nature à handicaper le secteur bancaire. Qui plus est, les banques de financement et d’investissement développent des activités qui profitent pour l’essentiel aux grandes entreprises, mais pas aux PME, ni aux consommateurs. En réalité, le fait de mettre à l’abri la banque commerciale, peut au contraire lui éviter d’avoir à éponger les pertes essuyées par la banque de financement et d’investissement. De même qu’elle devrait mieux protéger à l’avenir le contribuable contre le coût d’une nouvelle crise financière.

La réduction des garanties offertes au système bancaire est en effet de nature à renchérir le prix de ses services, mais cela n’a rien à voir avec la segmentation des activités. De plus, ce sera compensé par une plus grande stabilité financière. Les gains ainsi réalisés pourront être réaffectés au soutien d'investissements plus ciblés. Enfin, n’oublions pas qu’il existe dans la finance des potentiels de productivité et de baisse des rémunérations, qui mériteraient d’être exploités. 

Par ailleurs, le fait de mixer les activités du secteur bancaire conduit à des tarifications bizarres, où se mêlent des subventions croisées. Chaque activité n’est donc plus facturée à son juste prix. Vouloir que les activités de marché subventionnent les activités de crédit, ou l’inverse, ne constitue pas un argument recevable.

Certains soutiennent toutefois qu’il existe des synergies entre les activités bancaires, que cela permet une diversification des activités, et que les banques universelles ne présentent pas plus de risques. Que leur répondriez-vous ?

Je m’inscris en faux contre ces deux arguments.

Je ne crois pas à l’existence de synergies entre les activités de marchés et celles de la banque de détail. Elles sont par nature totalement différentes, et je ne vois pas ce qu’elles peuvent avoir à partager au plan des coûts de production. Il est vrai que des synergies peuvent exister au stade de la distribution. Il peut être plus efficient d’être capable de vendre à un même client une gamme plus étendue de services. Mais cela ne signifie pas que ceux-ci doivent être produits dans une même structure.

Quant à la diversification, associer une banque de détail et une banque de financement, revient à associer une banque à revenus réguliers avec une autre à revenus irréguliers… Cela ne revient pas à diversifier. Soyons clairs, la banque d’investissement a besoin de la banque de détail pour lisser ses revenus, mais l’inverse n’est pas vrai.


Michel Barnier, Commissaire européen au Marché intérieur et aux Services, a assuré qu'il suivait de près la réforme bancaire initiée par les Britanniques, et indiqué qu'elle pouvait intéresser l'ensemble de l'Union européenne. L'Europe doit-elle suivre le modèle anglo-saxon ?

En soulignant qu’à titre personnel, il était opposé à la réforme britannique, mais qu’elle méritait d’être étudiée, Michel Barnier a adopté une posture honnête. Il convient effectivement de ne pas l’écarter d’un revers de la main.

Le modèle américain reposait effectivement sur la séparation entre banques de détail et celles d’investissement, le Glass-Steagall Act, mais il a été aboli en 1999. Quant aux banques britanniques, elles étaient et sont encore « universelles », c’est pourquoi se pose la question de leur découpage. Il n’y a donc pas en ce domaine de modèle anglo-saxon.

Il est vrai que l’on associe fréquemment le modèle de la banque universelle au système financier de l’Europe continentale, mais en même temps celui-ci était fondé sur l’intermédiation et accordait une place réduite aux marchés financiers, de sorte que la question d’une cohabitation des deux types d’activités bancaires n’avait qu’un intérêt limité. Or cette situation a bien changé depuis une vingtaine d’années, en même temps que notre système bancaire se globalisait. C’est pourquoi le problème de cette segmentation des activités se pose aussi aujourd’hui en Europe continentale, et singulièrement en France.

Je ne vois donc aucune raison de se réfugier derrière la spécificité de notre système bancaire et financier pour disqualifier le projet britannique, et refuser de l’étudier. Il reste que pour l’instant les bases de la nouvelle régulation bancaire sont contenues dans les  accords de Bâle III, qui sont encore à préciser et surtout à appliquer. Il est malheureusement peu probable que l’on parviendra à une position commune sur cette question du découpage des activités. Cela ne devrait pas nous interdire d’y réfléchir, car ce serait aussi un bon moyen de réduire l’extrême opacité des activités bancaires.


Après s'être posé en défendeur de la City en usant de son veto au dernier sommet européen, David Cameron se montre désormais favorable à des mesures rejetées par cette dernière. Quelles seront les retombées politiques pour David Cameron ? 

Cette mesure devrait effectivement heurtée les intérêts des lobbies bancaires, mais ne signifie pas la fin des activités de marchés. Ces dernières profiteront simplement à l’avenir d’une moindre protection de la banque de détail et de la puissance publique, donc du contribuable. Cela obligera sans doute à une révision de leur "business model", peut être aussi de leur rentabilité, mais l’économie britannique ne s’en trouvera pas bouleversée.

En ce sens, les intérêts privés ne seront donc pas affectés au point de vouloir la chute de David Cameron.

Propos recueillis par Franck Michel

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !