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Pourquoi tout oppose Donald Trump et Vladimir Poutine malgré les apparences entretenues par les médias
©Reuters

Qui se ressemble ne s’assemble pas

Vladimir Poutine encense Donald Trump. Donald Trump défend le président russe lorsqu'il est accusé d'avoir commandité les meurtres de journalistes. Depuis quelques jours les deux hommes politiques s'envoient des fleurs à tour de rôle. Pourtant, derrière d'apparents points communs, il existe de nombreuses divisions.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : Après les compliments de Vladimir Poutine à Donald Trump, le candidat à la présidentielle américaine lui a rendu la pareille il y a quelques jours. Pourtant les deux hommes sont-ils vraiment alignés sur le plan politique ? 

Micheal Lambert : Les relations entre les Etats-Unis et la Russie sont devenues de plus en plus ambiguës depuis la fin de la Guerre froide. Les Etats-Unis, et ce peu importe les présidents élus, étaient l’ennemi juré de l’Union soviétique jusqu’en 1991, avant de tenter de normaliser les relations entre Washington et Moscou jusqu’en 1994. Par la suite, la Russie s’est à nouveau opposée aux Américains avec une légère période d’accalmie après le 11 septembre 2001 et un regain des tensions au moment de la Révolution Orange en 2004, la Guerre en Géorgie en 2008, puis la Crise en Ukraine en 2014.

Aujourd’hui, la Russie souhaite objectivement s’opposer à la présence Américaine, à tord ou à raison, en Europe et en Asie centrale. Les Etats-Unis adoptent une attitude similaire avec une représentation de la Russie encore très emprunte des stéréotypes du XXème siècle. En Europe, les principaux pays tendent encore vers l’un ou l’autre, faute de se représenter comme pôle d’influence pour les deux alors même que le soft power de l’Union européenne semble dépasser celui de la Russie et des Etats-Unis auprès de certains pays.

De manière assez étrange, on retrouve Vladimir Poutine qui complimente le candidat Donald Trump, ce qui pourrait sembler assez inédit et en opposition avec le contexte géopolitique contemporain, voir même une rupture sur le plan historique.

Pour ce qui est de Donald Trump, le fait de retourner le compliment au Président russe semble encore plus étrange, d’autant plus que la Russie s’oppose à la vision des conservateurs et des démocrates américains sans établir de réelle différence.

Dans la pratique, les deux hommes sont pourtant antagonistes, et ce contrairement à ce que peuvent présenter les médias Occidentaux. Sur certaines lignes les deux hommes s’accordent, notamment sur le renforcement de la puissance militaire à l’international des deux pays, pour une approche plus traditionaliste (remise en cause de l’avortement tardif, politique anti-musulmans, pour l’utilisation de la torture afin d’obtenir des renseignements), ne respectent pas l’environnement ou du moins n’en font pas une priorité. Malgré cela, on retrouve une opposition flagrante sur le rapport aux pays voisins.

Trump souhaite construire un mur entre le Mexique et les Etats-Unis, et renforcer le contrôle des frontières Canadiennes, avec cette peur constante d’un ennemi en dehors du pays. Tandis que Vladimir Poutine souhaite au contraire se rapprocher des pays voisins. La Russie est un pays nationaliste, mais le nationalisme russe repose sur deux critères fondamentaux que sont la pratique de la russophonie et l’église orthodoxe. En conséquence, Vladimir Poutine souhaite au contraire rattacher une multitude de petits territoires à la Fédération, et accepter les échanges avec ces derniers. Le cas des Etats de facto est flagrant, avec des relations privilégiées entre la Russie et la Transnistrie, l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud, Novorossia, et même la minorité russophone en Estonie. A ce souhait de rattachement de ces “régions”, s’ajoute celui d’inclure dans l’Union eurasiatique - lancée en janvier 2015) - des pays comme la Moldavie, l’Ukraine, la Biélorussie, ceux du Caucase et d’Asie centrale. Ce nouvel ensemble aura pour objectif à terme, de mener à l’émergence d’une seule armée Eurasiatique, d’un même gouvernement ou encore d’une même devise.

On est donc très loin de la perspective centré de Trump et celle de Vladimir Poutine s’apparente d’avantage à une conception ouverte sur l’étranger proche, au point de vouloir l’intégrer à l’espace national. Derechef, Poutine se considère comme le représentant du pays leader de la culture Orthodoxe, ce qui lui confère une mission quasi- divine et le Kremlin a par ailleurs développé une approche intéressante du soft power Russe qui repose sur cette image de protectrice. Par contraste, Trump ne s’imagine pas comme représentant de la culture protestante, ni même comme protecteur de la pratique de la langue anglaise. De manière assez paradoxale, Vladimir Poutine dispose d’une conception autrement plus “Européenne” et plus ouverte sur le reste du monde, du moins sur l’étranger proche.

Enfin, l’approche de Trump pour ce qui relève de la sécurité nationale est assez classique avec comme souhait essentiel de lutter contre le terrorisme et les menaces traditionnelles. On est donc, de fait, dans une approche qui est plus celle de la réaction que de l’innovation stratégique. Tandis que Poutine conçoit l’armée comme un moyen d’attaque, et non pas de défense, ce qui inverse le rapport à la Guerre. Avec l’avènement du processus de Guerre hybride, Poutine à su créer avec le Ministère de la Défense un moyen pour contourner l’application de l’article 5 du Traité de Washington. Qui plus est, la Russie est actuellement en train de former ses troupes en luttant contre l’Etat Islamique, et souhaite accroitre son influence en usant de son hard power. On est donc dans une perspective d’expansion de l’influence, alors que Trump est dans une perspective de renforcement de la nation et une position plus désengagée à l’international, comme en atteste ses propos sur la Guerre en Irak ou il souhaitait un retrait des troupes Américaines. 

Donald Trump comme Vladimir Poutine cherche à faire passer l'intérêt de leur nation avant tout.Pourtant si l'un est protectionniste l'autre cherche à projeter la grandeur de son pays au delà de ses frontières. A terme, les échanges cordiales entre les hommes pourraient-elles perdurer ? 

Sur le long terme, on imagine mal comment une confrontation pourrait ne pas avoir lieu. Pour le moment, Trump tente de ne pas s’opposer à Poutine pour rentrer dans des débats techniques et houleux, notamment en ce qui concerne la politique internationale où il ne dispose pas de beaucoup de connaissances.

Il apparait comme assez évident que Trump, s’il est élu, aura du mal à comprendre les actions de Vladimir Poutine en Europe. Cependant, il s’opposera à celui-ci en ce qui concerne la politique en Arctique, et également au Moyen-Orient. On conséquence, il est difficile d’imaginer une entente cordiale entre les deux, exception faite d’un désengagement total des Etats-Unis dans l’OTAN, ce qui reviendrait à une catastrophe pour l’Union européenne. 

Malgré une approche semblable de la politique, n'existe-t-il entre les deux hommes des divergences irréconciliables telle, que par exemple, le protectionnisme de Trump face à l'expansionnisme de Poutine ? 

Dans la mesure où Trump souhaite renforcer la puissance des Etats-Unis en rencontrant ses derniers sur eux-mêmes, et Poutine étendre son emprise, il apparait qu’une confrontation ne pourrait avoir lieu que sur des zones houleuses et contestées. Aujourd’hui, seul le Moyen-Orient pourrait constituer une potentielle zone de conflit d’intérêts entre Trump et Poutine, dans la mesure où Trump n’arrive pas à comprendre le fonctionnement de l’Union européenne et les enjeux pour la stabilité mondiale d’intégrer les pays du Partenariat oriental. C’est aussi la raison du support moral de Poutine, qui sait très bien que l’élection de Trump permettrait de lui laisser le champ libre dans des pays comme l’Ukraine ou en Géorgie.

Le principal danger sera une opposition sur des questions fondamentales comme l’Arctique, ou la situation pourrait rapidement dégénérer avec des personnalités qui n’acceptent aucun compromis et à l’esprit qu’on pourrait qualifier d’impérialiste. 

En ce sens avec ou sans Donald Trump Russie et Etats-Unis ne sont-elles pas vouées à résider dans des camps adverses ? 

Les Etats-Unis sont une projection du monde Occidental et plus particulièrement de l’Europe. La langue y est l’anglais, les principales religions le Protestantisme et le Catholicisme, et les valeurs sont celles des pays d’Europe et plus particulièrement du monde Britannique. Alors que la Russie est dans l’opposition avec cette partie de l’Europe depuis l’antiquité. La Russie ne partage ni la même langue, ni la même religion, ni le même modèle de développement économique, et encore moins le même rapport à la démocratie, à l’environnement et à la liberté d’expression des individus.

On imagine vraiment mal comment le monde Russe ou plutôt Eurasien pourrait un jour ressembler au monde Occidental et inversement. La Russie souhaite objectivement incarner une alternative au monde Occidental, et ses fondamentaux sont en opposition avec lui. Il n’est pas ici question de savoir si l’alternative russe est pertinente ou non, et elle l’est poussivement dans des cas comme l’Abkhazie, mais il est impossible d’envisager une cohabitation entre les deux espaces. Une explication de cette confrontation constante se retrouve dans le modèle de développement économique des Eurasiens qui se base sur l’expansion afin d’utiliser les nouvelles ressources pour continuer à s’étendre, un héritage de l’époque Mongole. La Russie ne peut donc pas survivre en se développant de l’intérieur et n’en a pas les capacités. Elle le pourrait, mais il faudrait dès lors repenser le système académique, le droit du commerce et des entreprises, et de manière plus générale la représentation du monde Occidental, qui est perçu comme un ennemi et un agresseur, encore une fois à tord ou à raison.

Cette relation conflictuelle avec la Russie n’est pas pour autant négative, car l’identité d’un espace se constitue par rapport à un opposant. La Russie qui souffre de graves problèmes internes amène les dirigeants Européens à se concentrer sur des éléments aussi essentiels que la lutte contre la corruption, ou encore l’ouverture sur le monde en acceptant plus de réfugiés. En l’absence de Russie, il serait fort probable que l’Europe soit plus divisée et moins consciente de ce qui constitue la spécificité de l’Union européenne par rapport à l’Union eurasiatique.

L’important est que cette confrontation reste de taille modeste, ce qui s’avère stimulant pour l’innovation politique, militaire et même culturelle, tandis que l’absence de confrontation amènerait à la recherche d’une identité en s’opposant à un autre pays. Ce principe de construction de l’identité d’un groupe par rapport à un autre est une constante humaine et psychologique qu’il faut accepter et qui peut s’avérer bénéfique. C’est la raison pour laquelle avoir une Russie comme adversaire pour les Etats-Unis et l’Union européenne est une perspective cohérente, tant bien même cette approche peut s’avérer perturbante pour celui qui souhaite la promotion de la Paix.

Cependant, s’il est ici question de mise en place du soft power Occidental en Russie, il faut avancer le manque de connaissances des experts Européens comme Américains, ce qui explique les difficultés à nouer un dialogue pertinent avec Moscou. Le concept de soft power (influencer sans utiliser de moyen coercitifs) est lié aux travaux de Joseph Nye, mais les études quantitatives sur le sujet, ou même qui divisent le soft power en cluster pour son analyse sont inexistantes.

Il semblerait dès lors possible de nouer un dialogue avec la Russie mais en usant d’un instrument de mesure des corrélations du soft power, ce dont aucun gouvernement ne dispose encore à l’heure actuelle. Si la discipline du soft et smart power venait à émerger à part entière en Science Politique, il serait possible de mieux comprendre les approches et d’aborder les relations diplomatiques sous un angle plus quantitatif et mathématique, et autrement plus pertinent qu’en usant des Sciences humaines. En l’absence d’intérêt et d’experts sur cette question à l’heure actuelle et au regard des généralités académiques sur la question du soft power, monde Occidental et monde Eurasien devraient continuer de s’affronter sans parvenir à se rapprocher avant encore plusieurs décennies. 

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