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Tournant en biologie : je suis le vécu de mes ancêtres
©Reuters

De père en fils

Notre nutrition est capable d’altérer la disposition des marques épigénétiques de nos cellules sexuelles ? Des expériences cherchent à le montrer.

Romain Barrès

Romain Barrès

Romain Barrès est professeur agrégé d'épigénétique, à l'université de Copenhague

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Dans un précédent article, nous nous sommes demandés quel rôle jouait l’environnement dans lequel évoluaient nos ascendants sur notre propre santé, via ce phénomène que l’on appelle épigénétique. Pour déterminer si notre nutrition est capable d’altérer la disposition des marques épigénétiques de nos cellules sexuelles, notre laboratoire a entrepris de collecter des spermatozoïdes de sujets atteints d’obésité et éligibles pour cette chirurgie dite bariatrique, visant à réduire la capacité à ingérer les aliments et finalement permettre la perte de poids.

Comme attendu, un an après l’intervention, les sujets opérés avaient perdu 30 kilos en moyenne. Et leur bilan métabolique s’était très nettement amélioré. Les résultats des analyses de leurs spermatozoïdes furent très nets. La signature épigénétique de leurs spermatozoïdes était bouleversée. Sur les 20 000 gènes qui nous constituent, plusieurs milliers de gènes portaient de nouvelles marques épigénétiques un an après l’opération chirurgicale et la perte de poids.

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Pour reprendre l’analogie du livre de cuisine, la perte de poids n’avait pas changé les recettes mais redistribué les étiquettes sur les pages. De plus, cette redistribution, de façon très inattendue, s’était effectuée à des endroits très spécifiques de la molécule d’ADN, à l’endroit de gènes contrôlant la prise alimentaire, notamment le gène du récepteur de la mélanocortine, une hormone clé dans la régulation des sensations de faim et de satiété. Les spermatozoïdes des sujets ayant perdu du poids portaient donc des marques épigénétiques capables d’influencer le comportement alimentaire de leurs enfants et d’améliorer leur métabolisme.

Métabolisme et comportement

Dans une autre étude animale s’intéressant aux phénomènes de transmission des traumatismes psychologiques aux générations suivantes, les auteurs ont détecté que la descendance avait, en plus de problèmes de comportement, un métabolisme du glucose modifié. Une forme de pré-diabète ressemblant aux symptômes décrits chez l’homme obèse. Ainsi un stress psychologique n’induit-il pas seulement des adaptations comportementales mais également des altérations métaboliques. Ceci suggérerait que comportement et métabolisme sont deux variables interconnectées qui influencent la descendance par des voies de transmission épigénétique.

Un travail très récent conforte cette idée. L’étude s’est intéressée à l’établissement des marques épigénétiques au cours de la fabrication de nos cellules sexuelles. Lors de ce processus, appelé la gamétogénèse, les gènes du métabolisme et du comportement sont tout particulièrement susceptibles d’établir de nouvelles marques épigénétiques. Sur les autres types de gènes, les marques épigénétiques sont identiques d’un individu à l’autre. Ces données renforcent l’idée selon laquelle les facteurs environnementaux pourraient moduler l’information épigénétique de nos cellules sexuelles, et augmenter les risques d’obésité et de troubles du comportement dans la descendance.

Certaines observations épidémiologiques feraient elles aussi le lien entre obésité et troubles du comportement. Les enfants de parents obèses ont 73 % plus de risque de développer des troubles du comportement qui touchent aux interactions sociales et à la capacité de communiquer, troubles regroupés sous le nom de troubles du spectre de l’autisme (TSA). De façon surprenante, les spermatozoïdes des pères ayant un ou plusieurs enfants souffrant de TSA possèdent des altérations épigénétiques très similaires à celles d’hommes obèses. Car là encore, les marques épigénétiques furent retrouvées sur des gènes déterminants du comportement. Ces données indiquent que les TSA pourraient, comme les troubles métaboliques, être transmis par des mécanismes d’héritabilité épigénétique.

Toutes ces avancées bouleversent notre perception de l’inné et de l’acquis et reformulent les questions existentielles sur le déterminisme biologique et le libre arbitre. Avec la prédiction qu’un demi-milliard de personnes seront atteintes de diabète dans le monde en 2030, cette composante héréditaire pourrait avoir des conséquences dramatiques.

L’héritage de la Grande Guerre

Une note personnelle, à ce propos. Au lendemain de la naissance de mon fils, mon nouveau-né dans les bras, je ne pouvais m’empêcher de penser à cet héritage biologique. Car il y a presque 100 ans de cela, en février 1916, le grand-père de son grand-père s’élançait, frigorifié et terrorisé, dans l’enfer du champ de bataille de Verdun. Contrairement à des centaines de milliers de jeunes soldats, son aïeul avait survécu au carnage des tranchées et il était retourné dans son petit village natal du Tarn-et-Garonne, pour fonder une famille. Et, comme beaucoup de ces poilus qui avaient survécu à la guerre de tranchées, il n’était probablement pas revenu indemne de cette expérience.

Mon fils avait-il donc, comme des millions d’Européens, tous enfants des deux guerres mondiales, hérité des marques de ce traumatisme ? C’est-à-dire, avait-il hérité d’un comportement prédéfini ? De même, le bouleversement de nos habitudes alimentaires de ces 60 dernières années avait-il eu un impact sur sa biologie ? Sans doute, une part de lui était une intégration complexe de la vie de ses ancêtres.

Cela générait en moi une certaine anxiété. Pour me rassurer je me disais, en voyant ses petits yeux qui peinaient à s’ouvrir aux lumières crues de la maternité, qu’il ferait partie, grâce à la science, de la première génération à prendre conscience que l’on peut modifier le déterminisme biologique de ses enfants. Il serait donc plus libre, par rapport à ses prédécesseurs, d’orienter si ce n’est son propre destin, du moins celui de sa descendance, les avancées de la recherche en matière épigénétique établissant, pour l’homme futur, les bases d’une libération des contingences de l’hérédité.

Cet article a été initiallement publié sur le site The Conversation

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