Vers un changement de nom ? Le poids de la combinaison de mots "Front national"<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Vers un changement de nom ? Le poids de la combinaison de mots "Front national"
©Reuters

Choc des photos aussi…

Après un second tour des élections régionales teinté d'échec pour le FN, Wallerand de Saint-Just a récemment confirmé que Marine Le Pen pensait à changer le nom du parti hérité de son père. Un exercice qui s'inscrirait dans la stratégie de dédiabolisation du parti initiée en 2011.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

Voir la bio »

Atlantico : Wallerand de Saint-Just a confirmé récemment que Marine Le Pen réfléchissait à un éventuel changement de nom du Front national. Quelle est selon vous la portée sémantique et linguistique du terme "Front" ? Et celle du terme "National" ?

Jean Petaux : L’appellation "Front national" n’est pas vraiment d’origine contrôlée. Même si, on va le voir, elle a un lien avec la viticulture… Un premier "Front national" voit le jour en 1934 dans le prolongement de la crise du 6 février qui a vu les Ligues d’extrême-droite tenter de renverser la IIIème République. Son fondateur n’est autre que le député Pierre Taittinger (fondateur de la très fameuse maison de champagne éponyme) député du 1er arrondissement de Paris depuis 1924. Taittinger va être un pétainiste fidèle qui présidera même le conseil de Paris jusqu’à son arrestation par les Résistants à la libération de la capitale en août 1945. Le Front national de Pierre Taittinger est proche de la pensée de Paul Déroulède (créateur de la "Ligue des Patriotes" en 1882). Le mouvement créé en 1934 disparait en 1940. En mai 1941 à l’inverse, le Parti communiste français (qui n’est pas encore officiellement rentré en Résistance : il va falloir attendre quelques semaines encore et l’invasion de l’URSS par l’Allemagne nazie) crée un mouvement plutôt destiné à attirer les intellectuels hostiles à l’occupant. Son nom complet est explicite : "Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France". Son nom d’usage est "Front national". Pierre Villon (pseudonyme de Roger Salomon Ginsburger, fils du rabbin Soultz Moïse Ginsburger… pas certains que tous les militants et électeurs actuels du FN soient au fait de ces "points de détail de l’histoire" !.... ) le préside. Pierre Villon va être un grand résistant et l’un des principaux auteurs, en tant que communiste, du programme du Conseil National de la Résistance. Au sortir de la guerre, lors des élections municipales de 1945 et pour l’élection de l’assemblée constituante plusieurs listes "Front national" regroupant des candidats du PCF et quelques alliés vont se présenter aux électeurs. Ce "Front national" là va disparaitre au début des année 50 avec la problématique de la "guerre froide" synonyme d’isolement complet du PCF. Ce n’est donc qu’en 1972 que Jean-Marie Le Pen fait renaitre le Front national et s’approprie le nom pour rassembler plusieurs petites formations d’extrême-droite qui vivotaient et vivoteront encore jusqu’en 1984.

Le choix du mot "front" pour désigner une formation politique n’est évidemment pas innocent. Au XXème siècle en France comme à l’étranger l’emploi du mot "front" révèle quelques constantes. On y trouve le "combat" (l’affrontement), la "coalition" (le regroupement sur une même ligne… de front), la "mobilisation" pour une cause. Le mot a fait flores dans la lutte anticoloniale : "Front national de libération" ; "Front de libération nationale" ; "Front Polisario" ; "Front Révolutionnaire de Libération du Mozambique" (FRELIMO) ; etc. Politiquement on va rencontrer en France le "Front Populaire" (1936) ; le "Front national" (1945) ; le "Front Républicain" (1956) ; le "Front de Gauche" (2009). En dehors du FN, le mot "front" se situe plutôt à gauche en France. En fait derrière le terme "Front" on comprend aussi la notion de "Front commun" face à un ennemi réel ou fantasmé. D’où l’expression "faire front" qui dit bien ce qu’elle veut dire : "tenir bon", "résister". C’est bien la posture actuelle du FN, seul contre tous (les autres partis du "système" mais aussi les " médias", les "experts", etc. depuis ses origines). Au mot "front" Jean-Marie Le Pen a donc adjoint le mot "national" voulant inscrire son mouvement dans la tradition bonapartiste de la vie politique française. Il s’est approprié la notion de "nation" jusqu’à la faire sienne et en être quelque part le dépositaire exclusif, avec force drapeaux tricolores, statues de Jeanne d’Arc et autres flamberges volant au vent de la "révolution nationale". Désormais l’appellation dans l’imaginaire des électeurs est inscrite et plutôt ossifiée : le FN est le parti d’extrême-droite (n’en déplaise à sa présidente qui récuse désormais cette expression qui n’a rien d’injurieuse et permet tout simplement un "classement" sur un axe idéologique et politique) ; "front" et "national" ne font plus qu’un syntagme indissociable.

On parle éventuellement de "Rassemblement national" ou de "Alliance nationale" comme nouveaux noms pour le parti. Quelles différences sémantiques ces derniers termes présentent avec celui de "Front national" ?

Le terme "Alliance" a été utilisé par Jean-Louis Tixier-Vignancour, premier candidat de l’extrême-droite en France lors des présidentielles de décembre 1965, les premières au suffrage universel). Maitre Tixier-Vignancour (pétainiste et vichyste irréductible, avocat de l’OAS et de ses chefs, le général Salan entre autres) avait créé une "Alliance républicaine pour les libertés et le progrès" à l’occasion de cette élection. Il obtint, rappelons-le, 5,18% des suffrages exprimés et fut donc remboursé de ses frais de campagne… L’expression "Alliance nationale" ("Alleanza nazionale") est propre à l’Italie : c’est le nom que le parti néo-fasciste italien, successeur du parti mussolinien (le MSI), adopta en 1995 à l’initiative de Gianfranco Fini, son chef d’alors soucieux de sortir du ghetto de l’extrême-droite italienne. Dissout en 2009 l’AN s’appelle désormais le parti du "Peuple de la liberté". On le constate immédiatement : le mot "Alliance" (en dehors de la paisible et inoffensive "Alliance française") est plutôt connoté à l’extrême-droite dans les pays de langue latine. Le terme " Rassemblement", très prisé par les gaullistes historiques (RPF, version de Gaulle 1947) et/ou leurs héritiers successifs (le RPR modèle Chirac 1976 ou encore le RPF, version Pasqua-de Villiers, fin des années 90) ont en commun d’avoir le mot "Rassemblement" en guise de première lettre du sigle. C’était sans doute l’idée de Marine Le Pen en créant le "Rassemblement Bleu Marine" : faire en sorte que le "Front" devienne un parti de droite comme un autre en devenant un "Rassemblement", terme plus consensuel, moins clivant. Un "rassemblement" est porteur de regroupement et de convergence quand un "front" renvoie à un adversaire, voire à un ennemi. On pourrait donc considérer que l’appellation "Rassemblement national" offrirait bien des avantages à celle qui veut d’une part contrer "le front républicain" à l’œuvre récemment en Nord-Pas-de-Calais-Picardie et en PACA et qui veut, d’autre part, maintenir son attachement à la nation française contre l’Europe par exemple.

Peut-on dire que la portée symbolique guerrière du mot "Front" n'est aujourd'hui plus en adéquation avec la politique de dédiabolisation du parti lancée par Marine Le Pen depuis plusieurs années maintenant ?

C’est une dimension essentielle en effet. Au-delà même de la politique de dédiabolisation cet abandon du terme "front" pourrait aussi être entendu comme la traduction du passage d’un parti tribunitien à un parti d’adhésion. L’électorat, pour une large partie désormais, adhère aux propositions programmatiques du FN et ne se sert plus uniquement de cette formation politique pour exprimer sa protestation grandissante. Il peut donc être opportun, du point de vue de Marine Le Pen, non plus seulement de se présenter comme le réceptacle d’un "front du refus" mais comme aussi le "rassemblement" ou "l’union" de toutes celles et ceux qui "en ont marre" et se "sentent abandonnés" et veulent "faire l’expérience Le Pen". Dans cette perspective le parti de Marine Le Pen apparaîtrait de plus en plus comme le "parti des sans voix" . L’image du "front" deviendrait plus qu’inopportune : tout simplement contre-intuitive dans une démarche de "consensualisation" du projet politique de la formation "mariniste".

La référence sémantique à la "nation" est-elle indispensable pour le FN ? Alors que Florian Philippot a déposé le nom des "Patriotes" en vue d'un éventuel changement, peut-on imaginer le FN se centrer davantage vers la patrie, lui qui fustige depuis de longs mois l'entrée massive de migrants étrangers sur le territoire français ?

Le mot "nation" a été absorbé par la rhétorique de l’extrême-droite française. Ce n’était pas gagné d’emblée. Initialement le mot est marqué par son origine révolutionnaire. Il est associé à la "Garde nationale", aux "Sans-culottes" et à la "Nation française" attaquée par le "Parti de l’étranger" (les Emigrés, les contre-révolutionnaires et royalistes de tous poils). Certes l’épisode vichyste va durablement accoupler le mot "national" au terme "révolution" et la notion de "Révolution nationale" s’oppose à "l’Internationalisme prolétarien" prôné par Marx et tous ces successeurs, en Europe et dans le reste du monde. Mais la devise du régime du maréchal Pétain n’est pas "Travail, famille, nation" ! C’est le mot "patrie" qui est à l’honneur. "La mère-patrie", celle qui est issue de la "terre qui, elle, ne ment pas" (texte d’Emmanuel Berl, interprétation Philippe Pétain, 23 et 25 juin 1940). En privilégiant le mot "patrie" (ou "patriotes") et en délaissant quelque peu le mot "nation", le "FN-mutant", dirigé par Marine Le Pen et Florian Philippot n’opérerait en rien une "révolution culturelle" (ou un "Bad Godesberg") qui changerait radicalement la donne. L’emploi du mot "patrie" que l’on ne trouve plus dans le vocabulaire depuis la Seconde guerre mondiale pourrait tout à fait revenir à la mode et, de ce fait, être récupéré par les dirigeants de l’extrême-droite. Ils trouveraient dans les premiers mots de l’hymne national : "Allons enfants de la patrie" matière à s’inscrire dans un patrimoine révolutionnaire ardent (eux qui sont en fait les héritiers de la pensée contre-révolutionnaire d’un de Maistre ou d’un Maurras) et résonnerait dans l’air du temps où la "patrie doit se mobiliser contre la guerre importée par les terroristes jusque dans nos villes".

Marine Le Pen a déjà innové en 2012 en constituant le Rassemblement Bleu Marine. Un changement de nom pour le Front National signerait-il la fin définitive de l'influence de Jean-Marie Le Pen sur le parti qu'il a créé ?

Incontestablement oui. Mais est-ce un problème ? Le cas JMLP semble bien désormais un cas réglé. Si tant est d’ailleurs qu’il fut un problème pour sa fille. Sans doute que le "Menhir" a fait des bonds de joie dans sa salle de séjour de Montretout en apprenant au soir du 13 décembre que Philippot n’était pas élu en Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine ou que ce traitre de Alliot était battu en Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon, mais Marine Le Pen ne vit certainement plus beaucoup dans le "regard de son père" et n’attend plus guère son oracle pour déterminer sa stratégie politique. Elle a fait progresser de 800.000 voix le score de son parti politique entre le deux tours des dernières Régionales pour atteindre le score inégalé de 6,8 millions de voix. Le FN, sur toute la France, a obtenu 2 millions de voix que le candidat Jean-Marie Le Pen au 1er tour de la présidentielle de 2002 et 1,3 million de plus qu’au second tour de cette même élection "historique". Aux élections de décembre 2015 le parti "mariniste" a gagné 400.000 voix de plus que la candidate Marine Le Pen au 1er tour de la présidentielle de 2012… Alors l’avis de papa dans tout ça ? Pas vraiment le problème non ?

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !