La démocratie islamiste existe-t-elle vraiment, comme l'affirme le nouveau président tunisien ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
La démocratie islamiste existe-t-elle vraiment, comme l'affirme le nouveau président tunisien ?
©

Islamisme politique

Le nouveau président tunisien Moncef Marzouki a déclaré dimanche dans les colonnes du JDD, "vous avez des partis démocrates-chrétiens, nous avons un parti démocrate islamiste". Cette analogie fait-elle sens ?

Mathieu  Guidère

Mathieu Guidère

Mathieu Guidère est islamologue et spécialiste de veille stratégique. Il est  Professeur des Universités et Directeur de Recherches

Grand connaisseur du monde arabe et du terrorisme, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Le Choc des révolutions arabes (Autrement, 2011) et de Les Nouveaux Terroristes (Ed Autrement, sept 2010).

 

Voir la bio »

Atlantico : Le nouveau président tunisien Moncef Marzouki a déclaré dimanche dans les colonnes du JDD, « L’expression politique du conservatisme, c’est l’islamisme. Vous avez des partis démocrates-chrétiens, nous avons un parti démocrate islamiste ». Peut-on comparer démocrates-chrétiens et démocrates islamiques ?

Mathieu Guidère : Une précision terminologique d’abord : je préfère l’expression "démocrate musulman" à "démocrate islamiste", parce que la démocratie se rattache à l’individu (musulman), et non pas à la religion (Islam).

Même si les partis islamistes semblent avoir intégré le jeu démocratique, il est difficile pour l’heure, de comparer la démocratie chrétienne à cette démocratie musulmane naissante, parce qu’il n’y a pas eu le même travail philosophique en amont, et que l’expérience démocratique est trop récente dans les pays arabes pour pouvoir en tirer des conclusions probantes.

Cela fait plus d’un siècle que les démocrates-chrétiens ont démontré leur parfaite intégration de la république et de la démocratie, en mettant d’ailleurs en avant un "catholicisme libéral", qui exalte la liberté comme valeur première. Or jusqu’ici, les partis islamistes ont été surtout, comme l’indique justement le président Marzouki, « l’expression politique du conservatisme ». S’ils développent dans les années à venir un "Islam libéral", ils seraient certainement comparables aux démocrates chrétiens.

L’Islam est-il réellement soluble dans la démocratie ?

Une religion, quelle qu’elle soit, n’est pas par définition « soluble » ou « non soluble » dans la démocratie. La démocratie n’est pas une forme de foi, mais de gouvernance. Ce sont les individus qui adoptent ou non la démocratie.

Je ne vois donc pas d’opposition entre les deux : un "fidèle" peut être en même temps croyant (c’est sa foi personnelle, privée), et démocrate convaincu (dans sa vie publique). Ce n’est donc pas à l’Islam de se dissoudre dans la démocratie, mais aux musulmans d’adopter la démocratie, c’est-à-dire d’admettre que la Constitution soit la source suprême de la loi, et le fondement de l’État de droit.

Or, les islamistes ont toujours refusé la démocratie parce qu’ils estimaient que le pouvoir (Hukm) et la souveraineté (Hâkimiyya) appartenaient à Dieu, et non au Peuple. Certains la rejetaient également parce qu’elle leur paraissait comme la « religion de l’Occident ». Ce que le "printemps arabe" a changé, c’est que les islamistes ont admis que la « volonté de Dieu » pouvait s’exprimer à travers le Peuple. Indirectement, cela signifie que si le peuple vote pour eux, c’est que Dieu l’a voulu.

Cette dimension symbolique peut paraître banale, mais elle est essentielle dans le basculement actuel des cœurs et des esprits vers la démocratie.

Que dire alors de la loi coranique, la charia, base des régimes islamistes ?

La charia est un mot qui fait peur en Occident, parce qu’elle reste attachée aux pratiques inhumaines de certains régimes fondamentalistes, et parce qu’elle contient certaines dispositions contraires aux droits de l’homme et du citoyen. Mais la charia a été pendant des siècles à la base de la législation dans les pays musulmans, et elle n’est pas aussi uniforme qu’il n’y paraît.

Il existe plusieurs écoles juridiques, et une jurisprudence diverse à l’intérieur de chaque école et dans chaque pays. C’est pourquoi, il faut faire confiance aux peuples qui se sont libérés de la dictature, pour ne pas retomber de si tôt dans un autre régime autocratique, fût-il de droit divin.

Moncef Marzouki renchérit en affirmant que « les Français sont prisonniers d’une doxa au sujet de l’Islam ». Comment expliquer cette incompréhension mutuelle entre la France et les pays arabes ?

Le passé colonial y est pour beaucoup... Lorsque les Français pensent aux « Arabes », ils ne pensent pas intuitivement aux pays du Golfe, mais aux « Maghrébins », et cela joue parfois dans la perception négative des uns et des autres.

Mais dans le cas présent, il s’agit aussi d’un malentendu existentiel pour ainsi dire : le choix de plus en plus confirmé des peuples arabes pour des gouvernements islamistes heurte l’idée que se font les Français de la laïcité, dont l’histoire et l’application sont uniques au monde, malgré le caractère séculier d’autres démocraties.

C’est aussi de cette conception française de la laïcité que provient une partie du malentendu, et de l’incompréhension mutuelle.

Propos recueillis par Franck Michel

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !