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"Neandertal : à la recherche des génomes perdus" : la science vue de l'intérieur
©Reuters

Bonnes feuilles

Le séquençage du génome de Neandertal réalisé en 2009 est une découverte qui constitue une véritable révolution scientifique. Les conclusions de Svante Pääbo n’ont pas seulement redessiné notre arbre généalogique, mais remodelé les fondements de l’histoire de l’humanité – les débuts biologiques des Homo sapiens pleinement modernes, ancêtres directs de tous les humains aujourd'hui vivants. Extraits de "Neandertal : à la recherche des génomes perdus", de Svante Pääbo, aux éditions Les liens qui libèrent (1/2)

Svante Pääbo

Svante Pääbo

Svante Pääbo est l'un des plus grands scientifiques contemporains. Généticien évolutionniste suédois, directeur du Département de Génétique à l'Institut Max Planck d'anthropologie évolutionniste à Leipzig, en Allemagne, il est l’un des pères fondateurs de la paléo-génétique et publie régulièrement dans les revues Sciences ou Nature. Le Times l’a récemment classé parmi les 100 personnalités mondiales les plus influentes.

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À cette date, la réalité de la contamination ne m’était que trop familière. Cela faisait plus de douze ans que je pratiquais l’extraction et l’analyse de l’ADN ancien de mammifères éteints, comme les ours des cavernes, les mammouths laineux et les paresseux terrestres. Après une série de résultats frustrants (je détectais de l’ADNmt humain dans la quasi-totalité des os d’animaux que j’analysais par la PCR), j’avais passé beaucoup de temps à concevoir et mettre en place des moyens de réduire la contamination au minimum. Matthias avait donc exécuté toutes les extractions et autres expériences, jusqu’au premier cycle de température de la PCR, dans une petite «salle blanche» maintenue scrupuleusement propre et totalement séparée du reste de notre laboratoire. Une fois l’ADN ancien, les amorces et les autres composants nécessaires à la PCR rassemblés dans un tube, ce dernier était scellé, puis les cycles de température et toutes les expériences suivantes étaient effectués dans le laboratoire normal.

En salle blanche, toutes les surfaces étaient lavées à l’eau de Javel une fois par semaine, et, chaque nuit, la pièce était soumise à un rayonnement ultraviolet permettant de détruire tout ADN porté par la poussière. Matthias et tous ceux qui travaillaient en salle blanche y entraient en passant à travers un sas où ils revêtaient blouse de protection, masque, résille et gants stériles. Tous les réactifs et les instruments étaient livrés directement en salle blanche; tout ce qui provenait du reste de l’institut était interdit d’entrée. Matthias et ses collègues devaient commencer leur journée de travail en salle blanche et non dans d’autres locaux de notre laboratoire, où de grosses quantités d’ADN étaient analysées. Une fois qu’ils étaient entrés dans un local de ce type, l’accès à la salle blanche leur était interdit pour le reste de la journée. Pour le dire gentiment, j’avais la paranoïa de l’ADN contaminant, et j’estimais avoir de bonnes raisons pour cela.

Malgré tout, dans les expériences initiales de Matthias, nous avions vu des preuves d’une contamination humaine de l’os. Après avoir recouru à la PCR pour amplifier un fragment d’ADNmt issu de l’os, Matthias avait cloné dans des bactéries le lot de copies d’ADN, en principe identiques, qu’il avait obtenu.

L’objectif était de voir s’il y avait plusieurs types de séquences d’ADNmt parmi les molécules clonées : chaque bactérie n’allait prendre en charge qu’une seule molécule de 61 nucléotides, jointe à une molécule vecteur appelée plasmide; elle deviendrait ensuite un clone de millions de bactéries dont chacune allait porter des copies de la molécule de 61 nucléotides prise en charge par la première; nous pourrions ainsi obtenir, en séquençant un certain nombre de clones, une vue d’ensemble des éventuelles séquences d’ADN différentes qui pouvaient exister dans la population de molécules. Dans la toute première expérience de Matthias, nous avions vu dix-sept molécules similaires ou identiques les unes aux autres tout en étant différentes des plus de 2 000 ADNmt d’humains modernes que nous utilisions pour la comparaison – mais nous en avons vu aussi une qui était identique à une séquence constatée chez certains humains aujourd’hui. Cela montrait clairement la présence d’une contamination, peut-être venue des conservateurs du musée ou d’autres personnes qui avaient manipulé l’os dans les cent quarante années écoulées depuis sa découverte.

La première opération accomplie par Matthias dans sa tentative pour reproduire notre résultat initial a donc été de répéter la PCR et le clonage. Cette fois, il a trouvé dix clones portant la séquence exceptionnelle qui nous avait tant excités et deux qui, apparemment, auraient pu provenir de n’importe quel individu moderne. Il a ensuite repris l’os, effectué un nouveau prélèvement, recommencé la PCR et le clonage, et obtenu dix clones du type intéressant et quatre qui avaient tout l’air de l’ADNmt de nos contemporains. Nous étions maintenant satisfaits : notre résultat initial avait passé avec succès les premiers tests – nous pouvions les répéter et voir la même séquence d’ADN inhabituelle à chaque fois.

Extrait de "Neandertal : à la recherche des génomes perdus",des éditions Les liens qui libèrent, de Svante Pääbo, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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