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Si on fait baisser le chômage, on fait baisser le FN… pourquoi l’équation de Jean-Pierre Raffarin passe largement à côté du problème
©REUTERS/Jean-Paul Pelissier

Sortez vos calculatrices !

"Faisons baisser le chômage, on fera baisser le FN", c'est la maxime politique lancée par Jean-Pierre Raffarin sur dans la matinale d'Europe 1. Mais si la question posée par le FN était si simple à comprendre, le sujet aurait déjà été réglé depuis longtemps... Exclusion, adhésion au roman national, recompositions du corps social, psychologie, les causes sont multiples, et diffuses.

Dominique Jamet

Dominique Jamet

Dominique Jamet est journaliste et écrivain français.

Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d'une vingtaine de romans et d'essais.

Parmi eux : Un traître (Flammarion, 2008), Le Roi est mort, vive la République (Balland, 2009) et Jean-Jaurès, le rêve et l'action (Bayard, 2009)

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Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Florence Servan-Schreiber

Florence Servan-Schreiber

Florence Servan-Schreiber est journaliste. Formée à la psychologie transpersonnelle en Californie, elle a été l'animatrice d'une chronique dans Psychologies, un moment pour soi sur France 5 - la déclinaison télévisuelle de Psychologies magazine- en 2004 et 2005.

Elle est notamment l'auteure de "Trois kifs par jours et autres rituels recommandés par la science pour cultiver le bonheur" publié aux éditions Marabout.

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Atlantico : Jusqu'où êtes-vous d'accord, ou non, avec les mots prononcés par Jean-Pierre Raffarin ?

Dominique Jamet : Il y a beaucoup de chômeurs en France, indéniablement. C'est un constat que l'on peut faire de longue date. Il est évident qu'un certain nombre de chômeurs votent FN. Il y en a aussi beaucoup qui ne votent pas Front National : ils s'abstiennent où votent pour d'autres partis. Par conséquent, le propos de Jean-Pierre Raffarin me paraît réducteur, simpliste voire simplet. Si les gens pensaient qu'il y a un rapport entre le chômage et le vote FN ; si tous les chômeurs votaient FN, ce serait vérifié. Là on pourrait dire « effectivement, les chômeurs votent Front National ». Or, chômeur ou non, je crois qu'un certain de nombre de gens, qui se sentent désespérés et exclus, votent pour le FN . Peut-être parce qu'ils estiment que ce parti détient les solutions pour réduire le chômage, mais probablement pour bien d'autres raisons. Il est de notoriété commune qu'un pan de la population en provenance des couches les plus défavorisées de la société estime  (à tort ou à raison) aujourd'hui que l'Etat ne fait rien pour les chômeurs quand il fait beaucoup pour les réfugiés, les migrants et d'autres gens qui ne le mériteraient peut-être pas. Le sentiment d'être déclassé s'aggrave chez eux pour ces raisons. Même chez les chômeurs il existent d'autres raisons, qui leurs appartiennent, et peuvent justifier une certaine hostilité vis-à-vis d'autres catégories de la population, des migrants. Ce sont également des raisons qui peuvent expliquer un vote FN.

Cela dit, autre aspect des choses : croire que quand on est chômeur on est déterminé que par des aspects du chômage, que l'on a abandonné toute notion de culture, tout sentiment politique, tout patriotisme me paraît très aventureux. Cette explication, un peu étonnante de la part de Jean-Pierre Raffarin, est une explication de type Marxiste. Avec un rapport direct entre le fait d'être démuni et d'aller voter pour un parti spécifiquement.

<<<<<< A lire : Le populisme économique ne permet pas de redresser un pays qui va mal >>>>>>>

Un certain nombre de gens, qui sont peut-être de bonne fois, utilisent le mot « populiste » pour caractériser tout ce qui va dans le sens du peuple. Pour beaucoup de gens c'est régulièrement synonyme de démagogie. Cela n'est pas faux. Il est vrai qu'un certain nombre de partis d'extrême gauche ou d'extrême droite son démagogues. Pour autant, nous serions malvenus d'employer ce mot et de faire ce reproche, dans la mesure où l'autre face de la réalité politique de la France c'est l'existence, d'une part de partis populistes, mais également de partis qui ne le sont certainement pas. Par là, j'entends que si on reproche son populisme au Front National, ce dernier est fondé à reprocher (et avec lui ses électeurs) aux partis de gouvernement leur traitement inefficace et superficiel du chômage. L'une des raisons, liée au chômage mais rien n'est simple, de ce divorce entre les partis traditionnels (et donc d'une certaine manière la classe politique) et le peuple, c'est ce sentiment extrêmement répandu que les premiers ne prêtent aucun intérêt aux seconds. Que la classe politique vit dans un autre monde, sur une autre planète ; qu'elle n'a pas les mêmes soucis matériels.

Jean Garrigues : Cette question renvoie aux motivations du vote FN. Dans les faits, le premier pic du Front national a été atteint en 2002. Or cette élection présidentielle faisait suite à une séquence de croissance économique où le chômage avait diminué. Ce constat tend à infirmer la prise de position de Jean-Pierre Raffarin. Mais c'est une évidence que l'extrême droite populiste a pour fonction essentielle de rassembler les mécontents depuis 150 ans et le boulangisme. Elle connait toujours ses plus fortes poussées dans les périodes de crise sociale et donc de désespérance sociale. Ce mécontentement est un facteur essentiel dans la motivation du vote protestataire.  

Dans la mesure où le FN a largement pris la place du Parti communiste dans cette fonction tribunicienne, c'est manifeste que le chômage fait partie intégrante de la motivation des électeurs du FN. Cela se vérifie dans l'un des bastions de la gauche, le Nord, qui a failli basculer Front national lors des récentes élections régionales.

Mais il est vrai que ce n'est pas le seul marqueur de l'identité FN. Les thématiques porteuses du Front national sont celles de l'identité et de la peur de l'étranger. Ce n'est pas forcément lié à la variable chômage même s'il est vrai que cette thématique de l'identité nationale est directement raccordée à la priorité de l'emploi national dans les discours FN.

L'idée que l'étranger prenne l'emploi des Français est très ancienne. On la retrouve dans la rhétorique des extrêmes de droite comme de gauche des années 1930.Les deux se rejoignaient dans le refus de l'immigration d'une main d'œuvre étrangère, notamment polonaise. Sur ce point les ligues d'extrême droite, le PCF et la CGT partageaient la même position.

L'idée d'alternance peut-elle aussi être une raison du vote FN ? En quoi le vote Front national peut-il s'expliquer par la volonté de tester "autre chose" ?

Jean Garrigues : La question du choix alternatif, que l'on pourrait appeler celle du 3ème choix, est évidemment un thème que l'on entend de plus en plus dans la motivation de l'électeur du FN. Ce déclic a eu lieu dans l'alternance entre Nicolas Sarkozy et François Hollande. Il y a un sentiment fort de la part d'une majorité de Français en 2007, celui d'une nouvelle dynamique de la politique française. Les citoyens ont eu l'impression d'un véritable sursaut générationnel, que ce soit la candidature de Nicolas Sarkozy ou celle de Ségolène Royal. Or cet espoir a été déçu car Nicolas Sarkozy n'a pas réussi à lui donner une réalité. Par la suite, le vote Hollande, qui était plus un vote de rejet de Sarkozy qu'un vote d'adhésion, a lui aussi déçu. Il a d'autant plus était à l'origine d'une désillusion qu'il était tout de même porteur d'espoir à l'origine. "Le changement, c'est maintenant" clamait-il.

Cette dimension d'alternance est cruciale. Les Français ont voulu, en 2007 et en 2012, changer les choses. Les échecs qui ont suivi expliquent la cassure dans la crédibilité du pacte de confiance entre les élites politiques des partis traditionnels et les citoyens. Cela explique en partie le vote FN qui gagne d'ailleurs des couches sociales qui étaient jusqu'à présent imperméable au vote d'extrême droite. Aujourd'hui, 15% des cadres votent Front national, les agriculteurs votent aussi de plus en plus pour la formation de Marine Le Pen.

Les Français cherchent un nouvel espoir après les désillusions de Nicolas Sarkozy, le néo-libéral, et de François Hollande et de sa social-démocratie.  

Le rétrécissement des classes moyennes, sinon leur disparition, peut-elle favoriser le vote FN ?

Dominique Jamet : Depuis quelques années, la France se trouve (avec modération) sur une pente de paupérisation. Il y a effectivement de plus en plus de gens qui appartiennent aux classes moyennes qui ont de plus en plus de difficulté. C'est sûr et certain et c'est soit parce que leur revenu fiscal diminue (quand ils en ont encore un digne de ce nom) ou en raison de l'alourdissement de la fiscalité. S'il ne faut pas dramatiser à l'excès le malheur des classes moyennes, le contexte de déclin et de paupérisation provoque effectivement un désir de se tourner vers des partis qui ne sont pas responsables. Si on élargit ce propos, par ailleurs, on constate que le Front National n'ayant jamais eu la moindre responsabilité, il n'est tenu – à juste titre – pour responsable de rien. Le discours « on les a tous essayés, on peut essayer le FN, il n'est coupable de rien » est vrai : on ne peut effectivement pas reprocher au Front National d'avoir mal géré la France. C'est une des raisons potentielles de cet afflux de votants.

Jean Garrigues : Le phénomène est réelle même si c'est contestable car la société tend davantage, je pense, à évoluer vers une sorte d'immense classe moyenne plus que vers sa disparition. Il est vrai que l'écart se creuse entre les plus riches et les plus pauvres. Mais ce qui compte est surtout à ce niveau la perception qu'en ont les Français. Celle-ci joue en faveur du FN. Ce sentiment de déclassement d'une part de la population a toujours eu une réalité dans l'imaginaire des Français même lorsqu'elle était fausse dans les faits. C'est un fantasme de croire que les riches sont toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres. Cependant, il prend davantage de consistance actuellement avec une dynamique à la hausse du chômage et d'une paupérisation d'une part de la population. Au final, je pense tout de même que le fantasme reste plus important que la réalité dans cette logique vers un vote FN basé sur cette thématique.

Que dire du triptyque éducation-culture-identité ? Ces notions sont-elles la brèche dans laquelle s'engouffre le FN ?

Jean Garrigues : S'il s'agit de dire que le vote FN témoigne d'un manque de repères culturels, c'est une évidence. Le vote Front national est un vote qui simplifie les problèmes. Le raisonnement est donc plus accessible à toutes les catégories de la population, notamment à celle qui n'a pas les outils analytiques pour comprendre la faiblesse de l'argumentaire.

Cette part de la population a besoin d'une lecture binaire et simpliste basée sur la trahison des élites, le complot bruxellois et le péril d'une invasion étrangère. Mais cet argumentaire ne résiste pas à un examen analytique fondé, sérieux et nourri. Le déficit éducatif explique FN.

On peut aussi dire qu'il s'agit d'un échec du système éducatif et culturel français à donner une image fédératrice de ses valeurs et de son histoire. Ce que nos hommes politiques n'arrivent pas à réaliser c'est ce que les élites de la IIIème République arrivaient réussi à faire, notamment Jules Ferry. Ces derniers proposaient un roman national positif, cohérent et facilement assimiler pour les masses. Le système éducatif et culturel français n'y arrive plus aujourd'hui. On ne séduit plus et on ne parvient plus à créer une dynamique collective autour d'un sentiment d'appartenance national.

Par conséquent, cette incapacité donne des arguments majeurs au FN pour dire que nos gouvernants ont perdu cette idée de nation. Et grâce à cela, Marine Le Pen et le Front national donne l'impression, de par son discours, de redonner cet élan collectif du roman national retrouvé.

C'est là aussi une récurrence de l'extrême droite à travers l'histoire de France. Dans les années 1880, le général Boulanger a réussi à donner cette impression de personnifier cet esprit de revanche contre l'Allemagne (NDLR : la France sortait de la défaite de la guerre franco-prussienne) tout en redonnant sa fierté à une France vaincue. La rhétorique est toujours la même : trouver un ennemi commun qui fédère. Aujourd'hui, selon l'argumentaire FN, ce sont les technocrates de Bruxelles ou encore les professionnels de la finance et les migrants. A partir du moment où l'on a défini les "adversaires", l'idée est de dire que l'on va se battre contre eux pour redresser la nation.

A partir de là, le récit national est facile à comprendre. Il diffère de celui de nos élites qui est beaucoup plus complexe et diffus. Il n'est plus le grand dessein du général de Gaulle dans l'après-guerre. Cette logique est une autre explication des motivations du vote FN. Le Front national propose finalement peut-être une vision de la société telle que serait celle de la société de De Gaulle dans les années 1960 avec une France forte et indépendante entre les 2 blocs (NDLR : Les Etats-Unis et l'URSS). La France en plein essor économique, celle du plein emploi aussi.

Dominique Jamet : Cela se tient effectivement. Il est certain qu'un très grand nombre de Français éprouve le sentiment, exemple (sinon preuve) à l'appui que l'école ne remplit pas son rôle. Beaucoup de gens sont, je crois, moins sensibles aux inégalités entre élèves ou établissements qu'à l'incapacité de l'enseignement à former et instruire les gens. Le peuple n'a plus, dans le système scolaire, la confiance qu'il avait autrefois. Il a l'impression que cela ne fonctionne plus, tout simplement. Bien que les responsables de l'éducation nationale le nient farouchement, il est certain qu'il y a deux phénomènes qui se sont accentués cette année. Le premier, malgré toutes les exceptions que l'on voudra, c'est la perte d'autorité et de confiance du monde enseignant. Le deuxième constat que n'importe qui peut faire : la qualité d'enseignement s'est détérioré, en partie en raison d'enfants qui, s'ils n'y sont rigoureusement pour rien, contribuent à faire chuter le niveau général.

De ce deux éléments découle le troisième : puisqu'il y a de plus en plus de professeurs et d'hommes politiques qui estiment qu'une des missions de l'enseignement c'est de gommer les inégalités au point qu'il n'y ai plus ni premier, ni dernier, ni de meilleur, ni de moins bon ; mais que tout le monde soit traité globalement de la même façon. C'est contraire au bon sens, il me semble, mais également à l'idée que beaucoup de gens se faisaient de l'enseignement. C'est évidemment connexe à l'identité. Ne portons pas de jugement, mais il est certain – quoiqu'on en pense au demeurant – que dans une période de mutation sociale et technologique, beaucoup de gens ne reconnaissent plus la France. Ils ne savent plus très bien où ils sont, plus où ils habitent.

L'un des points forts du FN, depuis quelques années, c'est qu'il reflète le sentiment de beaucoup de gens. Il leur donne le sentiment de dire la vérité, d'être en phase avec elle. Sentiment qui est beaucoup plus fort, qu'on a l'impression que la politique, et le gouvernement en particulier, est dans un véritable déni de réalité.

Qu'est-ce qui explique chez les jeunes, ou même chez les adultes, la volonté de s'orienter vers une idéologie ou un engagement qui peut sembler extrême voire extrémiste?

Florence Servan-Schreiber : Nous avons tous besoin de trois choses : de plaisir, d'engagement et de sens. C'est une nécessité en vue d'un épanouissement potentiel. Dès lors qu'une de ces trois composantes manque, on cherche à activer cette composante manquante. 

L'engagement, par exemple, consiste à appartenir à un ou plusieurs groupes, d'appartenir à des projets ; et finalement de se sentir utile. Il existe, évidemment, tout un ensemble de groupes différents. Groupes étudiants, professionnels, amicaux, familiaux, etc. Mais il existe également un besoin de sens : celui-ci comprend une certaine recherche de la compréhension. Savoir à quoi sert ce que l'on fait. Le jugement que l'on peut porter, parfois très affirmé (comme c'est souvent le cas pour les extrémistes ou les fanatiques religieux) sur le sens de ce qu'on réalise, de ce qu'on est ou de ce qu'on représente apporte une explication. C'est un peu comme une énorme dose de sens, offerte à quelqu'un qui en manquait précédemment. Ils se tournent vers quelque chose dont le dessein est mortifère mais qui, dans le fait de "faire", apporte quelque chose de supérieur. Ne rien faire correspond à ne rien recevoir quand participer à cette mission, s'entourer de gens qui créent le groupe et qui offrent un rôle, c'est valorisant.

Dans le cadre du Front National, c'est plus compliqué à expliquer. Il est possible de souligner que l'adhésion des jeunes est généralement provoquée par un certain désœuvrement, mais l'honnêteté implique que c'est un constat qui vaut pour n'importe quel parti politique. L'ennui, l'absence de dessein pousse vers le désœuvrement : cela ne signifie pas pour autant que cela pousse les gens vers le FN ! Si le discours socialiste était plus excitant, on pourrait en dire la même chose puisqu'il pourrait motiver une certaine forme d'adhésion.

L'important, c'est donc de trouver ce qui parvient à créer un sentiment d'appartenance dans le discours du FN. En stigmatisant l'extérieur, le FN provoque la sensation d'appartenance à un groupe. L'engagement ne correspond pas à grand-chose ici : il s'agit simplement de glisser un bulletin dans une urne. Si le FN est plus un parti d'engagement, aujourd'hui, que le FN, voter reste bien moins impliquant que de rejoindre DAESH, par exemple.

Ce jeudi 16 décembre, j’assistais à une conférence au Collège de France visant à expliquer comment parler des gens simples, et non aux gens simples. Marine Le Pen, pour sa part, parle à ces derniers. C'est là une toute autre dialectique : la différence entre le discours de partis comme le PS ou LR et celui du FN, c'est l'emploi de mots simples. Marine Le Pen formule des phrases auxquelles les gens vont naturellement s'identifier. Les autres persistent dans un français plus complexe. Ce sont des ressorts de communication différents.

Enfin, le plaisir c'est ce qu'il y a de plus instinctif. C'est ce sur quoi nous avons le plus la main finalement. Nous savons tous, au moins à peu près, ce qui nous fait du bien. Les 5 sens procurent du plaisir. Boire en situation de désœuvrement procure (à certains), du plaisir. Ecouter de la musique fait parti du plaisir. C'est plus facile de contrôler ces aspects-là. Dans une situation plus sociale, qui consiste donc à s'interroger sur ce qu'il manque à cette génération, on constate un manque de travail, mais aussi d'encadrement. D'idéologie, potentiellement. Et au fond, est-ce que l'idéologie du FN n'est pas plus claire que celle des autres partis ? C'est potentiellement pour ça, parce qu'il devient (parallèlement) difficile de nommer les idéologies socialistes et républicaines, que l'engagement et l'appartenance au FN sont facilités. Au final, ne pas avoir d'emploi ou d'activité pousser à un manque en matière d'engagement et une perte de repère à un manque de sens. Ne rien faire ramène la question du sens : si je ne fais pas grand-chose, à quoi sert le peu que je fais ? In fine, le message le plus clair sera donc le message le plus facile à attraper. Le Front National est plus facile à lire.

Lorsqu'on regarde le reste du monde, on remarque que les populistes s'implantent et prospèrent aussi dans des pays de plein emploi (Danemark, Autriche, Etats-Unis, Royaume-Uni, etc.). Que peut-on en dire ?

Dominique Jamet : Effectivement, c'est un démenti aux propos de Jean-Pierre Raffarin. La montée des populismes ou des réactions de rejet de l'autre peut s'expliquer par une autre variable que le chômage. Et ce qui est troublant et significatif c'est que ce sont des pays qui ont une pratique de la démocratie très différente les uns des autres qui sont l'objet de phénomènes analogues. On en a un exemple tout récent : lorsque la Hongrie a fermé ses frontières et qu'on l'a accusé, non sans fondement, le gouvernement hongrois d'être populiste, réactionnaire et xénophobe, on a vu ensuite des pays limitrophes adopter la même stratégie alors que leurs gouvernements étaient tout sauf fascistes. Voir un pays aussi hospitalier et démocratique que le Danemark accorder de plus en plus de place dans son système politique à des partis populistes, cela fait réfléchir. Des Etats-Unis à la Pologne, il y a un même mouvement de montée des partis extrémistes.

Gille Kepel a évoqué sur le plateau de RMC/BFM TV qu'il y avait un lien entre la radicalisation islamiste et le vote FN. Êtes-vous d'accord avec cette idée ? Est-ce réelle ou une simple vue de l'esprit ?

Jean Garrigues : Je suis plutôt d'accord avec Gilles Kepel. Les uns et les autres sont des déçus du modèle d'intégration républicain. Ce sont les laissés pour compte. Que ce soit les électeurs FN ou les islamistes, ils sont davantage touchés par le chômage et la pauvreté que le reste de la population. Ils sont aussi dénués d'outils analytiques pour comprendre la complexité des enjeux de ce monde et des questions à résoudre. Ils choisissent une solution radicale et simpliste sur fond de discours ou d'actes violents. Bien entendu, la violence de Daech est beaucoup plus radicale et n'a rien à voir avec celle que l'on entend dans les discours FN. Ils sont, l'un et l'autre, en tout cas une forme de refus de l'autre et de l'extériorité. Pour simplifier à l'extrême, le djihadiste refuse l'infidèle tandis que le militant FN refuse l'étranger. Les deux sociologies se recoupent en partie. Il y a un sentiment d'exclusion. Le modèle d'intégration français est un échec à leurs yeux.

Mais il y a une nuance importante à mon avis. A la différence de Gilles Kepel, je pense qu'il y a une certaine homogénéité dans le recrutement des profils djihadistes : des jeunes de cité vivant dans une forme de culture de marginalisation qui gagne une partie des populations issues de l'immigration. A l'inverse, les électeurs FN sont beaucoup plus hétérogènes sociologiquement parlant. On y retrouve des catégories sociales très bien intégrées dans le tissu social et économique français. Mais il est vrai qu'il y a, en commun, ce sentiment d'échec du modèle intégrateur et un profond mécontentement vis-à-vis de ce modèle.

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