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Comment simplifier les minima sociaux tout en gagnant vraiment en efficacité
©Reuters

Faire simple

Le gouvernement a récemment demandé cette semaine au député Christophe Sirugue (PS) de former un groupe de travail pour élaborer des propositions visant à simplifier et harmoniser les minima sociaux. "La multiplicité des dispositifs conduit à une faible lisibilité des prestations, et à des différences de traitement entre bénéficiaires" a déclaré le Premier ministre dans sa lettre de mission.

Julien Damon

Julien Damon

Julien Damon est professeur associé à Sciences Po, enseignant à HEC et chroniqueur au Échos

Fondateur de la société de conseil Eclairs, il a publié, récemment, Les familles recomposées (PUF, 2012), Intérêt Général : que peut l’entreprise ? (Les Belles Lettres),  Les classes moyennes (PUF, 2013)

Il a aussi publié en 2010 Eliminer la pauvreté (PUF).

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Atlantico : Jusqu'à quel point est-il possible de fusionner les minima sociaux ? Quels sont ceux qui ne pourront l'être ?

Julien Damon : Le système français compte aujourd’hui neuf minima sociaux (RSA, Allocation de solidarité spécifique, mais aussi minimum vieillesse, allocation aux adultes handicapés, ou allocation veuvage). Le trait commun à ces minima sociaux, aux mécanismes et aux principes disparates, est leur caractère « différentiel » : leur montant est calculé comme la différence entre les ressources de l’allocataire et le plafond de ressources, limité au montant maximum de l’allocation.

Il en va de masses budgétaires conséquentes. En 2013, ce sont 23 milliards d’euros qui ont été consacrés aux minima sociaux. Ce montant représente un point de PIB et environ un trentième des dépenses totale de protection sociale. Il en va, également, d’une population de taille importante reposant, à un titre ou un autre, sur l’une de ces prestations. Fin 2013, 4 millions de personnes étaient allocataires. En incluant les ayants droit (conjoints et enfants des bénéficiaires), 7 millions de personnes étaient couvertes par les minima sociaux, soit plus de 10 % de la population française. On parle d’ailleurs parfois de « pauvreté administrative » pour désigner la part de la population française dépendant de ces prestations d’assistance.

Dans la famille nombreuse des prestations sociales à la française, rien n’impose, sinon l’histoire et l’inertie, de rester avec un nombre aussi important de minima sociaux. Relevant de différents tuyaux de financement (mais principalement tirés de l’impôts), de régimes juridiques contrastés, de règles de gestion variées, l’ensemble apparaît très sophistiqué, la complexité étant source de complications dans la vie quotidienne des gens. Plutôt que neuf minima censés être adaptés à des situations distinctes, pourquoi ne pas aller vers un système à trois minima seulement. C’est ce que préconise la Cour des Comptes. L’un pour les personnes démunies handicapées, l’autre pour les personnes âgées indigentes, le dernier pour les personnes de condition et d’âge actifs (le RSA). Il y a bien des obstacles à cette fusion dans trois branches. Et il est certainement au moins l’un de ces minima qui ne saurait être aisément fusionné. Il s’agit de la récente Allocation pour demandeur d’asile (ADA), venant remplacer l’allocation temporaire d’attente. L’ADA est une réforme récente substantielle, sur un dossier très sensible. Elle sera gérée très différemment des autres prestations, en étant confiée à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et son paiement à l’Agence de service et de paiement (ASP). Il y a mille difficultés à fusionner les minima sociaux, dans tous les cas. Mais le sujet de l’ADA, encore peu à l’ordre du jour, est l’un des plus compliqués, non pas tant sur le plan de la gestion, mais sur celui de la correspondance avec les autres types de prestation.

Selon vous, sur quel(s) dysfonctionnement(s) faudrait-il se pencher avant tout ?

Eh bien ne prenons qu’un exemple, la fusion de deux de ces minima sociaux, l’ASS et le RSA. Le principe d’un rapprochement entre RSA et ASS est évoqué depuis que le RMI a été porté sur les fonds baptismaux. C’est-à-dire depuis plus d’un quart de siècle. La visée d’une pleine fusion a été à l’ordre du jour lorsque le projet de RSA a été évoqué, il y a plus d’une dizaine d’années. Depuis, rapports et reports s’accumulent. De nombreuses raisons invitent à tergiverser. Montants, conditions d’activité préalable et d’âge, financements, opérateurs, avantages connexes, diffèrent. Des marques d’incohérence, d’iniquité et de complexité sont toutefois soulignées régulièrement, encore tout récemment par la Cour des Comptes. Pour des situations de fait très semblables, la dépense d’aide sociale est dissemblable. Or, avec les années, le RMI est devenu, pour nombre de ses allocataires, une ASS, géré autrement, par les CAF et les Caisses de MSA, et comprise autrement, comme une prestation d’assistance (ce qu’elle est) à la différence de l’ASS, vue comme une prestation d’assurance chômage (ce qu’elle n’est pas vraiment). Plusieurs obstacles se dressent sur la route d’une fusion. Bureaucraties gestionnaires et tuyauteries financières ne sont pas les mêmes.

Mais deux défis plus importants sont souvent mis en avant. Tout d’abord, un sujet d’image. Les bénéficiaires de l’ASS se verraient d’abord comme des chômeurs et non comme des ressortissants de l’aide sociale. La bascule vers le RMI, et maintenant vers le RSA, pourrait avoir un impact négatif sur la perception non pas de la prestation mais sur la perception qu’ont les allocataires d’eux-mêmes. Surtout, fusionner vraiment deux prestations, c’est dire qui vont être les perdants et les gagnants. Certes, l’alignement pourrait se faire sur le régime le plus favorable. Mais il ne semble pas que les finances et l’opinion publiques l’autorisent. Il s’ensuit que le principal barrage, aujourd’hui, à la fusion procède des trimestres et points de retraite validés au titre de l’ASS. S’il apparaît difficile de substituer purement et simplement, d’un coup, le RSA et l'ASS, l’extension progressive de l’ASS et son intégration dans le RSA sont cependant tout fait réalisables pour les flux futurs de nouveaux allocataires. Même si l’on sait qu’il est toujours compliqué de simplifier. Le sujet n’est donc pas un problème de dysfonctionnements constatés, mais de potentiels perdants dans la réforme.

Les conclusions du groupe parlementaire sont attendues en mars prochain. A quoi ressemblerait une réforme idéale des minimas sociaux pour vous ?

Deux scénarios. Dans le premier, on peut envisager la perspective d’un système à trois branches (pour les personnes handicapées, pour les personnes âgées, pour les personnes actives). Ce système à trois colonnes aurait les vertus de la clarté et de la simplicité. Il est vrai, je le répète, qu’il assez simple de complexifier et très compliqué de simplifier. Dans un deuxième scénario on peut vraiment envisager une allocation sociale unique. L’idée d’une allocation sociale unique va certainement alimenter la prochaine élection présidentielle. François Fillon la propose dans son livre « Faire ». Les entourages des autres potentiels candidats à la primaire à droite y réfléchissent. À gauche, le projet de simplifier radicalement le système des prestations ne laisse pas indifférent. Des deux côtés, des voix s’élèvent pour fusionner certaines prestations, allant parfois jusqu’à un revenu universel complétant ou se substituant à l’ensemble de la protection sociale. L’idée d’allocation sociale unique est une sorte de voie moyenne, se cantonnant aux principales prestations sous condition de ressource. Mais de quoi parle-t-on ? La matière est aussi compliquée que les enjeux sont importants. Les minima sociaux amènent le revenu des ménages à un niveau minimum. De leur côté, les prestations logement concernent 6 millions de locataires pour 18 milliards d’euros de dépenses. Toutes ces allocations sont gérées principalement par les CAF, mais aussi par Pôle Emploi ou d’autres caisses de sécurité sociale, pour le compte de l’Etat ou celui des départements.

Elles peuvent être améliorées, localement, par des exonérations fiscales, de l’accès gratuit à certains services proposés par les collectivités territoriales. Aller dans le sens d’une allocation unique suppose donc cinq mouvements, redoutables politiquement et techniquement. D’abord, il faut décider de l’ensemble qui sera fusionné. Jusqu’où aller ? Faut-il, par exemple, inclure les prestations familiales ? Ensuite, il faut décider d’un organisme gestionnaire unique. Lequel ? Il faut également choisir une modalité uniforme de financement, de calcul et de versement. Et dire, à moins de se contenter de refaire la peinture sans toucher vraiment au mur, qui seront les gagnants et perdants d’une telle réforme. Il faudrait, enfin, uniformiser la prestation unique afin qu’elle ne varie pas localement en fonction des décisions municipales. Qui décidera de mettre un terme à la libre administration des communes ? Toutes ces questions sont ouvertes. Mais personne n’a encore relevé que la perspective était déjà aussi clairement exprimée il y a 10 ans, quand, en 2005, Martin Hirsch la dessinait assez précisément avec son projet, alors très ambitieux, de RSA. Le passage par le débat financier et parlementaire aura eu raison de sa grande visée. Qui revient pourtant aujourd’hui avec force. Donc imaginer une réforme idéale des minima sociaux, à mon avis, c’est reprendre le projet de RSA d’il y a 10 ans. Et le réaliser vraiment.

Plus globalement, comment devront être pensées les prochaines aides sociales pour ne pas tomber dans les travers que vous avez décrits ? 

Avec un maître mot : la simplicité courageuse.

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