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Pourquoi la formation et l'apprentissage méritent beaucoup mieux que des mesures prises en état d'urgence
©Reuters

Lutte contre le chômage

Manuel Valls a annoncé, ce lundi, un plan massif pour l'emploi, insistant sur l'apprentissage et sur la formation des demandeurs d'emploi. Bien que bénéficiant de moyens considérables, la formation obtient peu de résultats en terme d'emploi. Plutôt que de réformer, il faudrait refonder le système.

Yannick L’Horty

Yannick L’Horty

Yannick L’Horty est Professeur à l’Université Paris-Est, directeur de la fédération de recherche « Travail, Emploi et Politiques Publiques » du CNRS.

Il est spécialiste du marché du travail et de l’évaluation des politiques publiques dans le domaine de l’insertion et de l’emploi.

Dernier ouvrage paru : Les nouvelles politiques de l’emploi, Collection Repères, la découverte.

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Lundi, le Premier ministre Manuel Valls a annoncé un plan massif de lutte contre le chômage, en favorisant notamment l’apprentissage et la formation des chômeurs.  On constate que les régions qui comptent le plus grand nombre de personnes non-qualifiées, comme le Nord Pas-de-Calais Picardie, sont les plus durement touchées par le chômage. Une preuve de la nécessité de favoriser apprentissage et formation dans les territoires ?

Yannick L’Horty : C’est sans doute la direction à suivre. La Région devenant le pilote, avec la nouvelle réforme, il est important que les moyens mis en oeuvre soient en adéquation avec l’ampleur des besoins des demandeurs d’emploi. Soit on renforce la formation des demandeurs d’emploi et l’apprentissage, soit on favorise la mobilité des demandeurs d’emploi et des jeunes sans qualification , pour qu’ils puissent aller dans des régions plus favorables en perspective d’emploi. Les territoires les plus touchés par la crise voient les prix de l’immobilier baisser fortement. Les propriétaires ont beaucoup de mal à le vendre. Un frein de marché quasi-naturel. Mais il y a aussi des obstacles juridiques, comme les différentes taxes sur la transmission des biens immobiliers.

Éric Verhaeghe : L’idée selon laquelle le chômage de masse procède d’une “friction” entre les compétences des travailleurs et les compétences attendues sur le marché s’appelle la théorie des appariements. Elle est particulièrement nourrie par la révolution numérique, où les emplois demandent des compétences nouvelles que les publics les plus fragiles n’ont pas acquises. En ce sens, face à une révolution disruptive comme celle imposée par le numérique, l’ambition de former massivement les chômeurs peut avoir du sens, à condition qu’elle vise à délivrer de véritables compétences et pas seulement des “stages occupationnels” qui ont un effet à court terme sur les statistiques, mais qui n’équipent pas durablement les bénéficiaires des stages face aux exigences du marché.

En proposant de former les chômeurs, Manuel Valls ne surprend donc personne. Il est dans la droite ligne de la politique lancée en son temps par Nicolas Sarkozy. En 2009, le gouvernement Fillon avait notamment demandé aux partenaires sociaux de négocier un accord interprofessionnel dont l’ambition essentielle était de financer la formation des chômeurs avec les fonds des entreprises. Cette politique avait débouché sur la mobilisation d’un milliard d’euros pris dans les fonds de la formation professionnelle au bénéfice des chômeurs. Elle avait justifié la construction d’une nouvelle usine à gaz: le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels.

Six ans plus tard, Manuel Valls remet donc sur la table un sujet déjà traité avant lui. C’est le drame français: au lieu de se battre pour faire fonctionner ce qui existe, chaque gouvernement préfère créer une couche nouvelle de réglementation dont il peut revendiquer la paternité.

Y a-t-il des secteurs ou des territoires où l’apprentissage fonctionne bien ?

Yannick L’Horty : Ca marche assez bien en Ile de France, mais ce territoire est très singulier sur le marché du travail. Cependant, il difficile de préciser ces constats, car l’apprentissage est considérablement monté en puissance ces dernières années. Avec les réformes passées et annoncées, le cadre de l’apprentissage n’est pas stabilisé.

Quand on voit les faibles résultats en terme d’emploi, alors que 35 milliards d’euros sont consacrés chaque année à la formation professionnelle, n’y a-t-il pas un gâchis économique et humain, un manque d’efficacité ?

Yannick L’Horty : Malgré l’ampleur des moyens consacrés, on n’a pas des résultats satisfaisants. Car les personnes qui devraient en bénéficier le plus, à savoir les plus éloignées du marché du travail, sont les moins concernées par les dépenses de formation professionnelle. Et, au sein des demandeurs d’emploi, les moins qualifiés sont les moins concernés par la formation. Il y a un problème de ciblage. Le chômage persistant s’explique en grande partie l’inadéquation entre les qualifications offertes par les demandeurs d’emploi et les qualifications demandées par les chefs d’entreprise.

Éric VerhaegheValls se heurte ici aux mêmes difficultés que la majorité précédente.

D’une part, les entreprises mobilisent près de 20 milliards pour former leurs salariés (soit 3% de la masse salariale environ). Le problème est qu’elles entendent bien faire profiter leurs propres salariés de cet effort, et n’ont que peu d’inclination à en faire bénéficier les chômeurs. Qui plus est, les salariés les plus formés en entreprise sont généralement les salariés les mieux formés à l’extérieur de l’entreprise, et plus spécifiquement les cadres.

D’autre part, les chômeurs sont ceux qui ont le plus besoin de se former pour s’adapter au marché du travail, mais ce sont ceux dont la formation est la moins financée.

La tentation est donc forte d’obliger les entreprises à financer la formation des chômeurs… ce qui, intellectuellement, paraît séduisant, mais, pratiquement pose quelques problèmes pour un gouvernement qui assure baisser la pression fiscale sur les entreprises.


Comment expliquer ce manque d’efficacité ?

Yannick L’Horty  : Il y a une offre de formation peu visible, avec des dizaines de milliers de prestataires, une grande complexité institutionnelle. Les structures mêmes de l’organisation de la formation sont inefficaces. Il y a un problème structurel, du financement à la conception, jusqu’à la mise en œuvre de ces dispositifs au profit des salariés. Les entreprises financent le système : soient elles forment soit elles paient des taxes. On pourrait souhaiter qu’il y ait un système plus lisible pour le financement de la formation, sous la forme d’une cotisation. Ensuite, ces fonds vont aux différents acteurs : les OPCA ( organismes paritaires collecteurs agréés), les opérateurs de formation, et les régions qui jouent désormais un rôle de pilotes.

Éric Verhaeghe : Toute la question est de savoir si cette politique de formation permet de lutter efficacement contre le chômage. Le débat porte bien entendu sur la validité de la théorie des appariements dans le cas français. Le chômage en France baissera-t-il avec des chômeurs mieux formés? Le débat est ouvert…

La théorie néoclassique préfère souvent souligner que le chômage existe parce que le marché est trop rigide, notamment du fait d’une indemnisation ou d’une protection accordée aux chômeurs trop généreuse. C’est sous ce prisme que l’on peut analyser la permanence de plusieurs centaines de milliers d’offres d’emplois qui ne trouvent pas preneurs aujourd’hui sur le marché du travail.

Intuitivement, les employeurs savent que les candidats qui se présentent à eux lorsqu’ils ouvrent une annonce posent des problèmes qui ne relèvent pas forcément de la formation. C’est le cas du chômeur qui est orienté sur une offre d’emploi mais qui entend bien maximiser sa situation salariale en obtenant les avantages horaires ou sociaux les plus importants. C’est aussi le cas du chômeur qui a perdu son employabilité en éprouvant de vraies difficultés à exécuter loyalement son contrat de travail. Sur ce point, la contestation du rapport de subordination prévu par le contrat est un grand classique.

Une difficulté majeure tient à l’absence de statistiques sur ce sujet. Les problèmes de recrutement font partie des grands tabous de la société française et ils ne sont pas documentés. C’est dommage, car il est très probable que le énième de plan de formation des chômeurs que le gouvernement prépare n’ait qu’un impact très limité sur le chômage….

Dans le Grand Est, par exemple, la hausse du chômage est liée à la désindustrialisation de la région. Ne faudrait-il pas former les chômeurs dans d'autres secteurs ?

Yannick L’Horty : C’est ce qui est fait, en grande partie. Une bonne partie des financements sont utilisés pour réorienter les demandeurs d’emploi vers des métiers qui offrent plus d’opportunité, y compris au niveau local. Il faut avoir une logique territoriale. Voir si, dans le bassin d’emploi, il y a des gisements d’emploi vacants qui pourraient être occupés par les demandeurs d’emploi, moyennant un effort de formation.

Plutôt que d’ajouter des réformes au système, ne faudrait-il pas le refonder ? Et comment le faire ?

Yannick L’Horty : La réforme récente, issue d’une large concertation avec les partenaires sociaux, est plutôt à la marge des circuits de financement. Compte tenu du contexte durable de dégradation du marché du travail, des inégalités persistantes entre les territoires, du constat que les personnes les moins qualifiées sont les plus exposées à un chômage de longue durée, peut-être faudrait-il repenser une réforme plus radicale de la formation professionnelle en France.

Il y a eu des propositions pour refonder ce système. On pourrait renforcer le rôle des Urssaff à la place des OPCA, en tant que collecteurs de la cotisation de formation. Une réforme des circuits de financement pour les rendre plus lisibles.

On pourrait également mettre en œuvre un principe de droit à la formation pour tous, surtout pour les demandeurs d’emploi. Un droit activable, sous la forme d’un chèque formation.

On pourrait aussi généraliser les dispositifs d’évaluation des formations existantes, du point de vue des trajectoires des personnes. Regarder si telle ou telle  offre de formation produit un effet réellement positif sur la durée du chômage d’un demandeur d’emploi dans tel ou tel territoire. 

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