L’incroyable histoire d’un tableau du célèbre peintre Seurat volé en 1939, puis objet de convoitises inavouables, et finalement restitué 70 ans plus tard à sa propriétaire<!-- --> | Atlantico.fr
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Le tableau "Esquisse complète du dimanche à la Grande Jatte" de Georges-Pierre Seurat
Le tableau "Esquisse complète du dimanche à la Grande Jatte" de Georges-Pierre Seurat
©wikipédia

Vol en chaîne

Deux tableaux de Seurat et de Renoir, propriété des héritiers d’un autre peintre célèbre, Paul Signac, disparaissent en 1939, vraisemblablement volés. Pendant plus de 70 ans, leur trace se perd. Sauf pour le Seurat - évalué à 10 millions d’euros - qui se retrouve, en 1960, au Liban puis chez un galeriste parisien. Grâce à une enquête judiciaire que certains ont voulu égarer, l’oeuvre de Seurat a été récupérée par sa propriétaire… en 2011. Le Renoir demeure introuvable. Récit

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Deux célèbres tableaux de Seurat et de Renoir disparaissent en 1939. Ils auraient été confiés par leur propriétaire, la fille du peintre Paul Signac, à un personnage trouble, condamné plus tard pour trafic de toiles de Sisley, Utrillo et Boudin avec l’occupant allemand.

  • En 1960, le tableau de Seurat se retrouve au Liban. Il a été acheté par un libanais sans que la licence d’exportation pourtant obligatoire, lui ait été délivrée.

  • En septembre 2006, stupéfaction de l’héritière de Paul Signac : elle apprend que l’œuvre de Seurat est à vendre. Elle porte plainte pour recel. Un juge d’instruction est désigné.

  • En 2011, grâce à la justice, l’œuvre du peintre est restituée à sa propriétaire. Trois ans plus tard, celui qui se prétendait en être le propriétaire est mis en examen pour recel. Il devrait passer en correctionnelle prochainement.

C’est une histoire peu banale. Pour tout dire extraordinaire. Celle d’un tableau d’un peintre célèbre, l’impressionniste Seurat, volé en 1939, et qui est réapparu… 70 ans plus tard. Aujourd’hui, celui qui se prétend le propriétaire (ce qu’il pense être en toute mauvaise foi) se retrouve mis en examen pour recel de vol…Et pourrait un jour ou l’autre affronter un Tribunal correctionnel. Sans la pugnacité de la vraie propriétaire du tableau intitulé « Esquisse complète du dimanche à la Grande Jatte », qui n’est autre que la petite-fille du peintre Paul Signac, Françoise Cachin- décédée en février 2011- qui fut l’âme du Musée d’Orsay, avant d’être promue directrice des Musées de France, jamais le circuit de cette œuvre- il a été un temps au Liban-n’ aurait pu être reconstitué…Aujourd’hui, c’est la fille de Françoise, Charlotte, qui a repris le flambeau, toujours aidée par Me Olivier Baratelli, fin connaisseur de tout ce qui touche à l’art et au monde des collectionneurs. Elle a finalement obtenu la restitution du fameux panneau de Georges Seurat disparu pendant plus de 70 ans !

Nous sommes en 1939. Ginette Signac, la fille du peintre Paul Signac, décédé quatre ans plus tôt, et mère de Françoise Cachin, reçoit la visite dans sa maison de Saint-Tropez d’un certain Jean Metthey qui lui propose de rapatrier à Paris deux de ses tableaux qu’elle possède. En cette période troublée, ils seront mieux protégés affirme-t-il. Jean Metthey a de quoi rassurer Ginette, puisqu’il est le fils d’André, un céramiste, ami de son mari. La fille de Signac accepte. Et c’est ainsi qu’un tableau de Renoir, «  Tête de jeune femme sous un chapeau de paille » et un panneau sur bois de Seurat «  Esquisse complète du dimanche à la Grande Jatte » s’en vont vers la capitale.

Arrive la fin de la guerre. Plus de trace des tableaux. Metthey se montre catégorique, ils ont été volés. Ni Ginette Signac, ni sa fille Françoise, à la fin de la guerre n’entendront parler de ces deux œuvres. En 1949, Ginette charge son avocat, Me Marc Jacquier d’intervenir pour savoir où se trouve ce fameux panneau de bois de Seurat. La police est alors alertée. Le commissaire Clot est chargé de l’enquête. Il cherche à entendre le témoin-clé de cette histoire, le dénommé Metthey. Lequel ne répond pas à sa convocation en lui faisant savoir qu’il possède une lettre dans laquelle Berthe Signac, la veuve de Paul, affirme avoir donné le panneau à son fils.

Galopent les années. Les tableaux demeurent introuvables. Jusqu’à ce que Françoise Cachin reçoive, le 11 septembre 2006 un étrange courrier. Etrange et surprenant. Dans ce courrier, un avocat, Me Jean-Loup Nitot, lui indique qu’il est le conseil d’une personne désireuse de garder l’anonymat mais souhaitant acquérir «  L’esquisse complète du dimanche à la Grande Jatte. » A la réception de cette lettre, Françoise est estomaquée. On le serait à moins. D’abord, parce que l’avocat connait son état-civil, son adresse personnelle et sait qu’elle est l’héritière de Paul Signac...

Tout aussi déroutantes, ces quelques lignes écrites dans le courrier par l’avocat. Jugez plutôt : « D’après les recherches effectuées par mon client, il apparait que cette étude [de Seurat] aurait appartenu à M. et Mme Paul Signac et que cette œuvre aurait été volée en 1940. (…) Il apparaitrait que cette œuvre figurerait dans le répertoire des biens spoliés pendant la guerre de 1939-1945. » Là, pas de doute aux yeux de Françoise Cachin : 1- Le mystérieux détenteur de l’œuvre connait son origine frauduleuse puisqu’il en a informé son conseil 2- Ce dernier est un receleur puisqu’il a décidé de la conserver, sachant on origine.

Cette fois, Françoise Cachin ne fait ni une ni deux : via Me Olivier Baratelli, elle porte plainte pour recel. Le 19 février 2007, le Parquet de Paris ouvre une information judiciaire qui met au jour un certain nombre d’anomalies qui apportent qu’un certain nombre de personnes peu scrupuleuses ont pris ou voulu prendre, à différentes reprises possession de l’œuvre de Seurat sans se poser trop de questions. C’est ainsi que d’emblée, la juge d’instruction, Fabienne Pous, qui enquête sur cette disparition, fait une drôle de découverte : aucune trace de la procédure diligentée par le commissaire Clot et rien, mais rien du tout sur les registres du parquet de la Seine entre 1946 et 1951 qui feraient allusion à un vol de l’œuvre de Seurat. Bizarre. Jusqu’à ce qu’on dise à la magistrate que le panneau de Seurat aurait été vendu en 1960 à un libanais, M. Chartouni , sans qu’une licence d’exportation, obligatoire n’ait été délivrée à cet acheteur.

Le magistrat apprend également que dès 1946, Berthe Cachin-Signac, la veuve de Paul Signac avait déclaré la disparition du panneau de Seurat la commission de récupération artistique, comme ayant été volée lors de l’exode de 1940. Aucun doute, donc : dès la fin de la guerre, on sait fort bien que le panneau du célèbre peintre a été volé. Et pourtant, il aurait bel et bien été cédé ! Plus ahurissant : depuis 1961, le catalogue raisonné de l’œuvre de Georges Seurat, établi par CM de Haucke porte cette mention : « ce tableau a été subtilisé en 1940 et cette disparition fait l’objet d’une action en justice. » Y aurait-il là une allusion au fameux Jean Metthey ? En tout cas, plus le temps passe, plus ce personnage présente un pédigrée guère reluisant : témoin, sa condamnation le 3 avril 1947 pour avoir vendu illégalement, à des allemands, des toiles de Sisley, Utrillo et Boudin. ( Metthey est décédé en 1955).

Plus son enquête avance, plus le juge va de surprise en surprise. C’est ainsi qu’il apprend qu’en 2003, le fils Chartouni, Elias a cherché  à vendre le tableau. Mais avant de le faire, il s’était renseigné auprès de l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels pour en connaitre le statut exact du tableau : volé ou pas volé ? Vendable ou pas ? La réponse : encourageante, puisque le tableau n’avait pas été signalé volé. Puis, il avait fait un petit tour au Quai d’Orsay où on lui avait dit qu’un dossier de réclamation avait bien été déposé par la fille de Paul Signac. Le fils Chartouni se croit rassuré lorsque son avocat lui annonce, primo, que selon l’office central de lutte contre le trafic des biens culturels, le panneau « n’avait été ni spolié ni volé. » Et que deuxio, selon le service des archives historiques de la gendarmerie nationale, aucune plainte –toujours pour vol- n’a été trouvée tant auprès du ministère des Affaires étrangères que d’Interpol.

En guise de démonstration, l’avocat de Chartouni fait état d’une note émanant d’un commissaire principal de Marseille. Une note qui ne peut que rassurer son client…Voici ce qu’écrit le policier : «  Il est donc tout à fait impossible que cette œuvre ait fait l’objet d’actions judiciaires (…), que, d’après le droit français, et au vu des circonstances relatives à l’acquisition et à la possession paisibles durant de longues années par votre client. Il ne saurait y avoir d’action sérieuse ni sur le plan pénal, ni au civil de nature à lui contester la propriété du tableau. » Voilà qui est clair et net… Sauf que l’attestation du commissaire semble plus que suspecte. De quelle qualité peut se prévaloir ce fonctionnaire de police pour écrire une telle note, lui qui se trouve être en poste à la brigade des stupéfiants de Marseille ? Evidemment aucune.

Dès lors, le mystère autour de ce tableau commence à être percé…Quelques margoulins ou imprudents personnages ont eu entre les mains le panneau de Georges Seurat. Lequel s’est bien retrouvé au Liban, avant de faire un petit tour chez un galeriste parisien… Lequel avait pour mission de vendre en toute discrétion, le fameux tableau pour le compte de Chartouni. Finalement, en 2011, le juge d’instruction, décide de faire restituer le tableau à la partie civile, en l’occurrence Charlotte Liebert, la fille de Françoise Cachin. Trois ans plus tard, le 2 octobre 2014, Quentin Dandoy, le juge qui a succédé à Fabienne Pous, estimant que Elias Chartouni ne pouvait ignorer que ce tableau avait été volé, qu’il en était un receleur, le mettait en examen.

Dans un ultime sursaut, celui-ci demandait au printemps 2015 l’annulation de sa mise en examen devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de paris. En vain. Le 4 juin suivant, la cour refusait cette annulation. Ce qui devrait conduire Elias Chartouni en correctionnelle. Il sera seul. Son avocat imprudent et le commissaire de police peu regardant sur la déontologie ne seront pas poursuivis.

Affaire terminée ? A moitié seulement. Reste à savoir encore ce qu’est devenue « La tête de jeune femme sous un chapeau de paille » d’Auguste Renoir. Un mystère qu’aimerait bien percer Me Olivier Baratelli…

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