Ce petit pays que vous ne connaissez peut-être même pas mais qui pourrait pourtant pousser les relations entre l'Europe et la Russie dans la zone rouge<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Arc de triomphe et la cathédrale de Chisinau.
L'Arc de triomphe et la cathédrale de Chisinau.
©Morgan Bourven

Effet domino

Malgré ses moins de 4 millions d'habitants et un PIB qui ne dépasse pas les 7 milliards d'euros (soit 1,28% du PIB de la France), la Moldavie aiguise les appétits expansionnistes russes... Et pourrait bien pimenter les relations de Vladimir Poutine avec l'Europe.

Hélène Blanc

Hélène Blanc

Docteur ès-études slaves des Langues Orientales, Hélène Blanc est russologue.  Auteur d'une vingtaine d'ouvrages sur l'Union soviétique et la Russie contemporaine, dont certains cosignés avec la politologue moldave Renata Lesnik,  ses derniers opus  s'intitulent :

Les Prédateurs du Kremlin, 1917-2009, Le Seuil, 2009

Russia Blues, Ginkgo éditeur, 2012

Bons baisers de Moscou, Ginkgo éditeur, 2022, avec Claude André

En 2015, elle a dirigé l'ouvrage collectif :"Goodbye, Poutine", chez Ginkgo éditeur, qui comporte trois parties : l'UE - la Russie - l'Ukraine. Et permet de mieux comprendre le dessous des cartes.

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Atlantico : Un article de The Economist (à lire ici) tend à montrer que la Moldavie serait la prochaine cible des Russes, dans leur stratégie de conquêtes territoriales. Jusqu’à quel point êtes-vous d’accord avec ce constat ?

Hélène Blanc :Il est clair que poursuivant les traditions de l'URSS,  Vladimir Poutine mène une stratégie d'expansionnisme territorial et militaire. On peut évoquer le fameux messianisme soviétique, souvent très pesant, auquel le président russe actuel n'a pas renoncé. Déjà dans les années 2002-2004, il était évident qu'il avait commencé à resoviétiser la Russie, ce que j’ai été la première  à constater. Même si le national-communisme n’est plus au pouvoir, la nouvelle idéologie russe se nomme le national- tchékisme. L’appétit de conquête, on l'a vu à l’œuvre en Ukraine mais aussi en Géorgie en 2008. Il est dommage que l'Europe n'a pas tiré la leçon du conflit géorgien. Tout n'est pas uniquement la faute de Poutine, je reconnais que Saakachvili (président géorgien à l'époque) a commis des erreurs d’appréciation. Mais c'est quand même la Russie qui a envahi la Géorgie en 2008 faisant des morts civils et militaires des deux côtés. L’objectif était de faire tomber le président géorgien qui était, en simplifiant, pro-géorgien et pas pro-russe. Alors, il ne me semble pas que ce soit tout à fait le cas des dirigeants moldaves. Moins anti-russes, ils  paraissent disposés à rétablir le dialogue avec la Russie. Dialogue qui, historiquement, a été un peu perturbé avec des hauts et des bas comme avec la plupart des ex-Républiques soviétiques.

Evidemment plus un pays est pauvre, plus il est facile de le dominer dans la mesure où si l'on soutient son économie on détient un levier extrêmement puissant. En Roumanie et en Bulgarie, deux autres Républiques extrêmement pauvres, existent des entreprises aux noms locaux mais avec des actionnaires et des propriétaires russes. Donc, l'économie de la Bulgarie, de la Roumanie et de la Moldavie sont infiltrées par des affairistes russes. En douceur certes, mais lorsque l'on détient les clés d'une économie on peut provoquer un krach boursier très facilement.

On sait que plus un pays est pauvre, plus il est vulnérable car il a besoin de soutiens financiers et économiques pour survivre. On le voit avec la Biélorussie, une alliée inconditionnelle de la Russie. Ces deux états slaves ont réalisé une union très forte entre eux, mais je ne suis pas certaine que si la Russie ne soutenait pas fortement l'économie biélorusse, les rapports fusionnels seraient les mêmes. On peut conquérir des pays par bien des moyens : par la force, par le "charme slave" (sourire), par la dépendance énergétique, par diverses manières, mais le nerf de la guerre reste l'argent et l'économie.

La Moldavie est le pays le plus pauvre d’Europe, en quoi cet Etat est-il une proie facile pour la Russie ?

Il y a un autre problème concernant la Roumanie et la Moldavie : la Roumanie étant intégrée dans l'Union européenne, beaucoup de Moldaves voudraient obtenir le passeport roumain pour bénéficier de Schengen. Dans cette situation, il y a ceux qui voudraient devenir Roumains et ceux qui veulent rester Moldaves. Ce qui divise l'opinion publique. Et plus cette opinion publique est divisée plus la Russie gagne des points.

De plus la Moldavie a un problème avec la République de Transnistrie. C'est un conflit gelé depuis le début des années 1990. La Transnistrie est une toute petite République qui s'est autoproclamée indépendante, ce que les gouvernements européens, moldaves et roumains sucessifs n'ont jamais reconnu. La Transnistrie est soutenue financièrement par Moscou. Donc, c'est en quelque sorte un ver dans le fruit. A cela s'ajoutent des problèmes ethniques car plusieurs ethnies cohabitent dans la petite Moldavie. Ce qui n'a rien à voir avec l'Ukraine, un pays beaucoup plus grand. L'Ukraine c'est 46 millions d'habitants. Rien à voir avec la Moldavie dont la Russie pourrait ne faire qu'une bouchée.

La Moldavie se trouve dans une situation économique très compliquée. Dans quel état d’esprit les populations moldaves sont-elles, et est-ce un argument pour se tourner vers les Russes ?

Vous voulez dire que la Russie soutiendrait les populations moldaves financièrement ? Il ne faut pas non plus faire de la Russie actuelle un géant invulnérable. C'est en réalité un colosse au pied d'argile. Donc, elle ne peut sans doute pas financer tous azimuts comme l'URSS le faisait avec les partis communistes du monde à une certaine époque. Même si Poutine a une chance extraordinaire car depuis janvier 1999, les cours des matières premières et des hydrocarbures se sont envolés. La Russie a donc engrangé des bénéfices gigantesques. Mais, depuis quelques années, elle subit la crise mondiale. Et sa situation ne semble pas vraiment s'arranger pour le moment. La Russie a d'autant plus ressenti la crise qu'il y a eu une forte baisse des prix du pétrole. Or l’économie russe, qui n’a pas su se diversifier, repose essentiellement sur les rentes gazière et pétrolière. La Russie vend aussi des matières premières et des armes. C'est pratiquement tout ce qu'elle exporte parce que, pour le reste, elle ne produit plus rien. Elle vit essentiellement d'importations. Evidemment, les sanctions européennes n'ont pas arrangé les choses. Par ailleurs, le pétrole et le gaz de schiste américains concurrencent fortement la Russie dans ce domaine. La Lituanie, par exemple, a ainsi réussi au 1er janvier 2015 à sortir totalement de la dépendance gazière et pétrolière de la Russie, qui a mené depuis seize ans une politique de « kremlinisation » de l’énergie européenne.  Il y a aussi la chute du rouble qui fait un peu le yoyo.  À quoi s’ajoutent une corruption généralisée, une fuite des capitaux, une colossale évasion fiscale qui fragilisent encore plus l’économie russe. Et puis la guerre avec l’Ukraine par séparatistes interposés, qui coûte très cher. Une guerre qui continue en dépit des accords de Minsk. En fait, Poutine veut la levée des sanctions européennes sans rien lâcher en échange.  Donc la conjoncture actuelle n’est pas très favorable pour la Russie. Dire que les Russes vont aider financièrement la Moldavie n'est pas forcément gagné.   

Un revirement de la Moldavie pourrait-il créer, ou en tout cas renforcer, l’instabilité de la région ? A quel niveau ?

Il faut d'abord nuancer l'impact que pourrait avoir un tel revirement. La Moldavie ne pèse pas bien lourd. Certes, elle a des contacts très serrés avec la Roumanie dont le poids est moins négligeable, mais en tant que telle, elle n'a pas une influence politico-économique suffisante. Quoi qu'il en soit, il semble clair que Poutine tentera d'inclure, de gré ou de force, la Moldavie dans son Union eurasienne qui pour le moment n'avance pas beaucoup. En font partie, l'Arménie,  et le Kazakhstan mais c'est encore un peu faible pour concurrencer l’UE. Il voulait absolument y intégrer l'Ukraine, mais il l'a perdue par sa faute. Bien sûr, il a "récupéré" la Biélorussie. Elle ne pèse pas non plus très lourd, mais c'est un pays de plus dans l'escarcelle de Moscou. Et dans son esprit de supranationaliste, il se rappelle ce dont rêvait Alexandre Soljénytsine : qu'il faut absolument préserver le noyau dur de l'URSS, c'est-à-dire les trois Etats slaves (la Biélorussie, l'Ukraine et la Russie).

Poutine voudrait bâtir une union économique, et peut-être politique, qui concurrencerait l'Union européenne. Donc, il lui faut mettre la Moldavie sous influence russe. Mais honnêtement cela resterait symbolique car ce petit pays, beaucoup moins influent que la Géorgie, la Pologne ou les Etats baltes ne représente pas grand-chose. Sauf, peut-être, en matière géopolitique. Mais, l'Estonie, la Lettonie et surtout la Lituanie possèdent une forte croissance et une importante minorité russe. Donc ils sont beaucoup plus intéressants pour Moscou.

La Russie n'est-elle pas déjà bien implantée en Moldavie ?

Si l'on prend l'exemple des mafias russes et locales créées sur le modèle soviétique, la Moldavie est d'une certaine façon déjà noyautée par la Russie. En particulier, par des hommes d'affaire, plus ou moins honnêtes, qui ont fait fortune à travers des entreprises qu'ils ont fondées en Moldavie. Ces mafias, devenues quasi institutionnelles, ont un poids certain dans l’économie et la politique du pays. Il existe dans ce pays, une corruption dont on n'a pas idée. Chez nous, on observe aussi des formes de corruption mais cela n'a rien à voir avec ce qui se passe là-bas. En Russie, cette corruption est généralisée et non pas ponctuelle. Elle sévit dans toutes les sphères de la société et du pouvoir. Donc à une moindre échelle, on reproduit la même chose. C'est du mimétisme. A tous les échelons, les personnes qui détiennent ne serait-ce qu'un toute petite parcelle de pouvoir, s'en mettent plein les poches. Je n'accuse pas les élites politiques moldaves d'être corrompues mais depuis la fin de l'URSS, les mafias se baladent. Elles en profitent. Elles, qui étaient à l'époque limitées à l'intérieur de l'Union soviétique, sont parties à la conquête du monde. Il y en a dans tous les pays maintenant (aux Etats-Unis, en Europe, etc.) On pourrait évoquer aussi les oligarques. Ils sont certes arrivés après mais c'est la même chose. La différence c'est que les parrains mafieux dirigent des filières de tous les types de trafic, notamment le trafic d’êtres humains. Ce qui n'est pas le cas des oligarques. Ces derniers sont des milliardaires qui font des affaires avec monde entier en utilisant un argent déjà blanchi. Ils ont donc une respectabilité de façade qui fait que personne ne refuse, par principe, de travailler avec eux.

L’Europe occidentale est-elle menacée elle-même à long terme ?

Ce qui a beaucoup énervé le Kremlin c'est qu'en 2014 et en 2015, il y a eu des signatures de zones de libre échange entre la Moldavie, la Géorgie, etc. et l'Union européenne. Donc, plus la Moldavie va tenter de se rapprocher de l'UE, plus Moscou a envie de la soustraire à l'influence européenne. Dans l'esprit de Poutine, c'est blanc ou c'est noir. En gros, celui qui n'est pas avec lui est contre lui. Comme si l'Ukraine ou d’autres pays ne pouvaient pas avoir de bonnes relations à la fois avec la Russie et l'Union européenne. Personnellement, je ne vois pas où est le problème, mais c'est la façon de penser de Poutine ; pour lui,  cette possibilité est inenvisageable.

La Moldavie, elle, essaie de s'en sortir. Elle se dit sans doute que si elle se rapproche de l'UE, sa situation économie pourrait s'arranger. C'est humain comme stratégie. Ce pays est indépendant, mais n'a pas les moyens financiers de son indépendance. La Moldavie est sortie du giron soviétique en 1991, mais n'a pas réussi à réformer son économie, comme les Etats baltes par exemple, pour s'assurer une réelle indépendance. Pourtant, j’ai plusieurs Moldaves d’origine, dont ma consoeur Renata Lesnik ou encore Yves Mourousi. Ce sont des gens formidables, terriblement attachants. Le peuple moldave mérite un autre destin !

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