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L'homme, cette nuisance ? Comment la gnose, ce mouvement religieux des premiers temps du christianisme, est revenue influencer l'idéologie contemporaine
©Reuters

Gnose 2.0

La Gnose date des débuts du christianisme et correspond à une doctrine religieuse. Celle-ci se développe sous l'Empire Romain, aux IIè et IIIè siècles et juge le monde radicalement mauvais, de même que l'Homme dans son ensemble. Un raisonnement qui n'est pas sans rappeler l'attitude de certains groupuscules au sein de partis politiques.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Atlantico : Qu'est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la gnose. Il nous semblait que vos préoccupations étaient plutôt d'ordre politique  ?

Roland Hureaux :Je suis revenu à mon premier métier qui est celui d'historien avec un goût particulier pour l'empire romain et quelques compétences en histoire religieuse.

Il s'agit, je le précise, d'un livre d'histoire et non de spéculation.

Comment définiriez-vous la gnose ?

C'est un mouvement religieux que l'on voit apparaître aux débuts du christianisme, d'abord en Orient (Syrie, Egypte), puis à Rome et qui a tenu une place importante dans l'histoire des débuts du christianisme.

Il est illustré par de noms comme Basilide, Carpocrate, Valentin, Marcion.

La doctrine des gnostiques se réfère, au moins en théorie, au christianisme. Mais elle revêt un caractère occulte et donc initiatique. Les gnostiques acceptent le plus souvent le christianisme ordinaire mais y superposent des doctrines secrètes réservées aux élus.

Il y a d'autres caractères plus sulfureux: ainsi la conviction que le monde est radicalement mauvais.

En découle d'idée que Dieu, ou le Premier principe (appelé par certains le Dieu néant) ne saurait en être le créateur. C'est une créature inférieure, un démiurge, ou bien un deuxième Dieu, le dieu du Mal, qui est l'auteur du monde (deux dieux, c'est ce qu'on appelle le dualisme).

Les gnostiques prétendent accepter le Nouveau testament (que toutefois ils altèrent sérieusement, n'acceptant par exemple ni la passion ni la résurrection) mais pas l'Ancien. Ils rejettent l'héritage juif, en particulier la Loi de Moïse.  

Croyant à la suprématie absolue de l'esprit, certains vont jusqu'à admettre la métempsychose. Ils rejettent aussi la chair et la sexualité, en particulier sous la forme du mariage, pratiquant l'abstinence absolue, mais certains, considérant que la chair n'a pas d'importance, s'adonnent au contraire à la licence la plus débridée, ce qui plait beaucoup à Michel Onfray qui s'y est intéressé.

De tous ces caractères quel est le plus important ?

Pour moi, c'est la conviction que le monde est mauvais et que, en conséquence, le salut, comme dans le bouddhisme qui a peut-être subi l'influence de la gnose gréco-latine (le chemin inverse parait aujourd'hui moins probable), le salut, de l'esprit seulement (pas  question de résurrection de la chair chez eux) consiste en ce que l'esprit quitte ce monde et rejoigne le Plérôme, le ciel où siègent le Premier principe et ses multiples émanations appelées éons, anges etc.

La gnose fut-elle cantonnée à l'Empire romain ?

Non, au IIIe siècle apparait en Mésopotamie la figure étonnante de Mani, grand génie aux dons multiples qui fonde les Manichéens. Sa doctrine n'est pas très différente de celle de Marcion : un Dieu du bien et un Dieu du mal. Le salut n'est obtenu que par quelques-uns, qui sont comme des étincelles divines s'abstrayant de la matière tenue pour mauvaise. Le manichéisme se répandit jusqu'en Chine,  et en Occident jusqu'à Carthage où saint Augustin y adhéra un moment. Ce mouvement, considérable, dura tout au long du premier millénaire. 

N'est-il pas né d'influences orientales ?

C'est une vielle théorie que je démonte, celle du vieux fond dualiste iranien qui serait à l'origine de la gnose. Mani était imprégné de culture gréco-latine ; son père était un disciple de saint Jean Baptiste. Ils se réfère à Jésus, que comme les musulmans il tient comme l'avant dernier prophète avant lui.

Et après Mani ?

De nombreux groupes ont repris sous des formes diverses la doctrine manichéenne, sans toujours savoir que Mani avait existé, ses nombreux écrits ayant été perdus. C'est le cas des cathares du midi de la France dont la doctrine ressemble à s'y méprendre à celle de Mani mais ne s'y réfère pas.

Les cathares viennent-ils vraiment des manichéens ?

Les historiens du Midi croient généralement que le catharisme est un produit du terroir occitan. Je pense, comme Henri-Charles Puech et d'autres, que c'est un produit d'importation. Je ne crois pas les hommes si inventifs au point d'inventer deux fois la même doctrine. Mais on peut en discuter.

Après la crise cathare (XIIIe siècle), l'Eglise latine se ressaisit et, voyant le danger d'une dévalorisation trop grande du monde, réhabilite, sous l'inspiration d'Aristote et sous l'égide de saint Thomas d'Aquin, les réalités terrestres comme la sexualité ou la politique que les gnostiques - et aussi il faut bien le dire beaucoup de catholiques marqués  par Saint Augustin - disqualifiaient.

Peut-on dire la gnose a encore de l'influence ?

Certains s'y réfèrent encore, en particulier certaines obédiences maçonniques ou certains "théosophes" comme René Guénon qui déclarent continuer la Tradition, avec un grand T, remontant aux premiers gnostiques.

Mais depuis la fin du catharisme, il est rare que l'on retrouve tous les caractères de la gnose tels que je les énonçais. Le plus fréquent est qu'on retrouve dans telle ou telle école, tel ou tel auteur, deux ou trois caractères mais pas tous. Par exemple dans la philosophie de Hegel ou chez certaines sectes initiatiques modernes comme il s'en trouve ici ou là. Je pense par exemple à la Christian Science.

En outre la modernité a, grâce au progrès scientifique et technique, réhabilité le monde réel, l'idée d'un progrès terrestre qui était ignorée de Valentin ou de Marcion.

Mais certains traits de la gnose se retrouvent dans le monde moderne. L'idée d'une suprématie absolue de l'esprit aboutit au transhumanisme, à la conception que l'esprit peut tout sur la manière, y compris celle dont est composée le corps humain. L'indépendance absolue de la chair et de l'esprit, cela conduit par exemple à la théorie du genre.

Le loi morale, en particulier la morale sexuelle, est remise en cause.

J'ajoute que, si on ne dit plus que le monde est mauvais, certains ultra écologistes ne sont pas loin de considérer l'homme comme une nuisance. A tout le moins trouve-t-on son comportement tellement mauvais qu'il semble toujours à réformer : lutte contre le tabagisme, les chauffards, les pollueurs, le racisme, la xénophobie, l'homophobie. Sans être radicalement mauvais, nous sommes soumis à tellement de tentations mauvaises que la société se transforme en une sorte de maison de rééducation. Vous voyez ce que je veux dire.

La démocratie, très étrangère à la gnose, est de plus en plus récusée au profit d'aréopages internationaux plus ou moins occultes qui se prennent pour une élite d'initiés chargée de conduire les autres.

L'idéologie est sans doute la forme moderne de la gnose.

Même si les théories de Basilide ou de Mani n'ont plus cours, il y a bien, en effet, quelque chose de gnostique dans le monde moderne.

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