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Compromis Renault-Nissan : ces signaux incompréhensibles que l’Etat français envoie à tous les autres actionnaires des entreprises dans lesquelles il est présent
©Reuters

Tout ça pour ça

Après 8 mois de tension entre Nissan et les représentants de l’Etat, un accord a finalement été trouvé entre les deux acteurs de la négociation.

Charles Pinel

Charles Pinel

Ancien analyste financier à la Banque Worms, Charles Pinel est associé de Proxinvest depuis 2003. Il est diplômé en économie et en gestion (Dauphine) et de la SFAF.

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Atlantico : Pourquoi le processus a-t-il été si long et si conflictuel ?

Charles Pinel : L’accord qui avait été mis en place il y a maintenant 16 ans a été obtenu à la faveur d’un rapport de force, qui était à l’époque à l’avantage de Renault. Or, ce que nous avions relevé à l’époque, c’était la rupture d’égalité entre les actionnaires que cet accord entérinait. Le fait que Nissan ait été privé de droit de vote a créé un fort déséquilibre. C’est donc sans surprise que nous avons observé un tel climat de conflictualité.

L’avant-dernier épisode est lié à la montée de l’Etat au capital, réalisée afin de bénéficier des droits de votes doubles, à la faveur de la loi Florange. Cette décision révèle, selon nous, que l’Etat se préoccupe d’abord de ses intérêts, et néglige ceux des actionnaires minoritaires, voire ceux du Groupe dans son entier. D’autant plus que lorsque l’Etat a augmenté sa participation, il s’est partiellement couvert et n’a pas assumé le risque économique.

Toutes ces décisions envoient de très mauvais signaux aux actionnaires. En outre l’Etat sait pertinemment que les autres actionnaires, pour bénéficier du droit de vote double, doivent être nominatifs. Ceux qui ne le sont pas ne peuvent donc pas en bénéficier même s’ils sont au capital depuis plus de deux ans. L’Etat a manifestement tiré avantage de cette rupture d’égalité, ce qui est loin d’être très sain pour la bonne gestion d’un groupe, quelle que soit son envergure.    

Le compromis finalement obtenu aujourd’hui est-il satisfaisant ?

Le nouvel accord n'a rien de satisfaisant pour les actionnaires car il maintient le principe des droits de vote double sur des sujets essentiels. Les impératifs de l'Etat, qui obéit à un timing propre, peuvent diverger de ceux de l'entreprise. Il peut en être ainsi par exemple du montant du dividende. Ce compromis est avant tout celui d'intérêts particuliers.

Comment les investisseurs interprètent l’ambiguïté de la position de l’Etat actionnaire, qui oscille entre interventionnisme et retrait minoritaire ?

Les investisseurs sont de manière générale très attachés à la visibilité des capitaux. Notamment les investisseurs étrangers qui ont davantage de recul. Lorsque ces derniers voient qu’il existe des mécanismes qui permettent à un actionnaire d’obtenir des avantages particuliers, comme les fameux droits de vote double, ils les interprètent comme de très mauvais signaux.

L’autre mauvais signal qu’il faut considérer, c’est l’absence de séparation les fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général. Même lorsqu’un dirigeant “tout puissant” comme Carlos Ghosn  s’oppose à l’Etat, on ignore au fond pour quels intérêts il agit. Il y a beaucoup trop de conflits d’intérêts. Il faut au contraire un président du conseil d’administration indépendant, afin de faire office de contre-pouvoir. Sans cela, ce seront toujours des intérets particuliers qui seront servis,  et non l’intérêt stratégique global des entreprises.

Comment expliquer ces rapports conflictuels entre l’Etat et les grandes entreprises ?

L’Etat dispose de droits particuliers dont il use davantage pour servir des intérêts de circonstance que pour servir des intérêts de long terme. Sa politique de financement de la dette par les dividendes en est la meilleure illustration. Les besoins de l’Etat, déterminés par ses impératifs budgétaires, ne sont pas les mêmes que ceux qu’exige la pérennité des grandes entreprises. Le cas d’EDF en constitue un bon exemple. Plus encore, concernant Orange entre autres, l’Etat a l’habitude de faire nommer des administrateurs qui lui seront ensuite redevables.

Ce qui entraîne une très grande méfiance de la part des investisseurs. A tel point que les entreprises où l’Etat détient une participation subissent de véritables décotes : les investisseurs craignent par-dessus tout qu’une décision cour-termiste soit prise par l’Etat. Ce qui entraîne un effet paradoxal : l’Etat perd du profit là où il voulait justement en gagner. A ce titre, il n’est pas abusif de dire que la présence de l’Etat dévalorise les entreprises. Tout cela est imputable à un problème général de gouvernance et de conflit d'intérêts.

Au contraire, l’Etat aurait tout intérêt à se plier au processus conventionnel de désignation des conseils d'administration, qui sont de toute façon nommés, et donc révocables, par les actionnaires dont il fait lui-même partie. Cette procédure demeure finalement la meilleure garantie possible pour que l’intérêt de tous les actionnaires soit pris en compte.

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