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“Cette fois ci, c’est différent !” : la même et illusoire rengaine depuis huit siècles de crises financières
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A l'Ouest, rien de nouveau

Les économistes Reinhart et Rogoff se sont plongés dans l'histoire des turbulences financières rencontrées par les marchés ou les États depuis le Moyen Âge, à chaque fois persuadés du caractère unique de ces crises. Pourtant, si les techniques financières évoluent, les mécanismes restent les mêmes. Et une "règle" se dégage : quand un pays s'endette au-delà de 90% de son PIB, sa croissance est étranglée.

C'était le livre économique événement outre-atlantique il y a 2 ans. Un énorme succès critique. Tout l'establishment de la presse internationale a salué l'ouvrage : pour le New York Times, The Economist, The Washington Post ou The Wall Street Journal : This time is different (Cette fois c’est différent), l’ouvrage de Carmen Reinhard et Kenneth Rogoff, est  unique, exceptionnel. Il faut dire qu'il offre un point de vue inédit sur la crise que traversent les Etats occidentaux endettés, en le mettant en perspective avec huit siècles d’histoire de crises financières.

"Cette fois c’est différent ne fait pas qu’expliquer ce qui est allé de travers dans nos crises les plus récentes. Cet ouvrage fournit également une feuille de route qui montre comment les choses vont probablement tourner dans les années à venir", écrit le Wall Street Journal.

La méthode employée par les deux auteurs est en effet inédite, ou presque : ils ont parcouru des milliers d’ouvrages, de livres de compte, de registres divers, concernant 66 pays et ce depuis 800 ans. Leur ouvrage, une compilation de ces données, révèle l’existence d’au moins 290 crises financières, et de 200 cas de pays en situations de défaut de paiement. Et c’est l’Espagne qui remporte la palme du pays le plus souvent en défaut, avec déjà huit cas à son actif.

Alors cette fois, est-ce que ça sera vraiment différent ?

Carmen Reinhart se rappelle d’une publicité publiée par le Evening Post le 14 septembre 1929, montrant un groupe de Français piégé par un investissement du 18ème siècle. « La position des investisseurs est si différente aujourd’hui ! », s’exclame la publicité. Un mois après cette publication, le jeudi 24 octobre 1929, c’est le krach de la bourse de New-York et le début de la Grande dépression.

"Chacun veut croire qu’il est plus intelligent que les pauvres âmes des pays en développement, et plus intelligent que ses prédécesseurs", raconte Carmen Reinhart. "Ils ont tort. Et nous pouvons le prouver."

Reinhart et Rogoff sont deux figures plutôt atypiques. Le New York Times fait le portrait de ces deux économistes, l’un ancien joueur d’échec professionnel, l’autre fille d’émigrés cubains, considérée comme "la femme économiste la plus influente au monde". Les deux se sont rencontrés quand Kenneth Rogoff, alors économiste en chef du Fond monétaire international, l’embauche pour travailler avec lui. Ce qui les caractérise avant tout, c’est l’originalité de leur méthode : placer les données avant tout, avant les théories en particulier.

"Tous les économistes lisent les mêmes sources, utilisent les mêmes jeux de données, parlent aux mêmes personnes. On produit des extrapolation d’extrapolation sans fin, et tout cela est récompensé depuis des années", déplore Carmen Reinhart.

Les quelques économistes qui ont tenté avant eux de baser leur travail sur l’étude des données ont souffert de cette mode qui consiste à préférer les études financières "riches en théorie et pauvres en données". Résultat, déplore Kenneth Rogoff, "la plupart des publications académiques en macroéconomie placent la cohérence théorique et l’élégance avant l’étude des données", et elles n’ont permis ni de prévoir la crise financière, ni d’évaluer son développement.

D’après la compilation des données collectées, Reinhart et Rogoff estiment que les conséquences d’une crise provoquée par la dette sont "profondes et prolongées", entrainant "un déclin important de la production et de l’emploi". Les crises récentes ont en moyenne causé une hausse du chômage de plus de quatre ans, et de plus de 7 %. Et s’en remettre crise est généralement plus long que la crise elle même…

Il existe pourtant un signe annonciateur. Selon les auteurs, quand la dette d’un pays atteint 90% de son PIB, la croissance s’étrangle, l’emploi ralentit, ce qui aggrave la situation financière de l'état et donc généralement son déficit.

"Oui, mais…" répond en substance Joe Weisenthal, dans le journal Business Insider. Certes, "la dette, c’est mal, et la réduction du déficit, c’est bien". Il n’y a qu’à réduire la dette, et "voilà" (en français dans le texte) la croissance ! Mais l'auteur estime que cette démonstration manque d'un lien de cause à effet. Et qu’un pays dont la croissance s’effondre peut utiliser la dette comme stimulus.

Pour Joe Weisenthal, Reinhart et Rogoff sont "les deux économistes les plus dangereux au monde en ce moment". "Le problème, c’est qu’ils ne donnent pas l’impression d’avoir une idéologie (…) Ils ressemblent à d’austères chercheurs académiques venus délivrer une vérité douloureuse (et c’est le cas !). C’est pour cela que leurs idées sont si crédibles, et c’est pour cela qu’ils sont si dangereux."

Mais Reinhard et Rogoff ne sont pas les seuls à baser leurs travaux sur l’histoire, et l’étude des innombrables données qu’elle recèle. Un chercheur italien, Stefano Ugolini, s’est lui aussi appuyé sur le passé pour proposer quelques pistes d’études aux banquiers centraux. Alors que la crise leur donne le sentiment d’être "en territoire inconnu", Stefano Ugolini affirme l’histoire de la politique monétaire n'est faite que de deux cycles récurrents : une alternance entre l’internalisation et l’externalisation de la création de monnaie.

Le chercheur s’est intéressé, depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours, aux organisations alors en charge de la création monétaire, et il a observé les différentes stratégies mises en place au fil du temps. Sa conclusion : ce qui importe, "ce n’est pas qui dirige la politique monétaire, mais si cette institution est crédible ou non".

Au fil de l’histoire, il remarque que la monétisation de la dette, le fait de "faire marcher la planche à billet" en temps de crise, est une pratique courante, et la plupart du temps couronnée de succès. "Cela montre que le débat aujourd’hui ne devrait pas être "Est-il admissible de monétiser la dette ? », mais plutôt « Sommes nous capable d’évaluer le coût et le bénéfice à long terme d’une telle pratique ? »".

Cette fois c’est différent a le mérite d’éclairer d’un jour nouveau les politiques économiques et financières. Kenneth Rogoff raconte que le ministère des Finances japonais, outré de la mention d’un défaut de paiement du pays, a demandé aux auteurs de l’ouvrage de se rétracter. Kenneth Rogoff a répondu aux plaignants en leur faisant parvenir un article du Times datant de 1942. "Merci d’avoir appris aux Japonais quelque chose sur leur propre histoire", ont répondu les officiels du ministère.

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