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Budget 2016, le double loup : recettes fantômes et dépenses post-attentats imprévisibles
©Pixabay

Quand c’est flou

Si le Sénat a modifié la mouture du Budget pour 2016, il a validé tous les amendements gouvernementaux en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme... Sans remettre en cause les prévisions de croissance, ou souligner le caractère fluctuant des dépenses à venir.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Selon le Gouvernement, le budget pour 2016 (le PLF : projet de Loi de finances) s'inscrirait dans une continuité vertueuse.

En apparence, la trajectoire des finances publiques semble en effet rapprocher la France des exigences communautaires, particulièrement de la règle des 3%.

Dans le PLF pour 2015, l'Etat avait indiqué un déficit prévisionnel de 3,8% pour l'année en cours. Dans les documents budgétaires pour 2016, le déficit 2015 est effectivement évalué à 3,8%. Tout serait donc en pleine conformité malgré les aléas géostratégiques ou conjoncturels.

Mais toute cette présentation ne relève que d'une analyse tronquée et qui pose des questions de conformité à l'éthique des chiffres.

En premier lieu, bien des analystes gomment du spectre de leurs travaux le niveau de la dette qui passerait, selon les propres chiffres gouvernementaux, de 96,3% à 96,5% du PIB en 2016 soit un glissement de près de 5 milliards alors même que les taux obligataires permettent à la France de s'endetter à moindre coût en comparaison avec les années précédentes.

Clairement, la bataille de la dette est devant nous : c'est d'une tristesse soutenue que de ne pas le reconnaître. Il est vrai que l'appui de la politique non conventionnelle de la BCE (le désormais célèbre QE) permet de glisser des poussières urticantes sous le tapis de la lucidité nationale ou des petits arrangements pour un Etat dispendieux.

Deuxième foyer de tristesse, le Gouvernement a véritablement sous-estimé les surcoûts liés aux opérations militaires (OPEX) et au renforcement du dispositif de sécurité intérieure. A la tristesse des conséquences humaines tragiques du 13 novembre vient s'ajouter la tristesse du citoyen qui est las d'être pris pour un âne par les experts de Bercy. Car enfin, on nous a dit qu'il y aurait un foyer additionnel de dépenses de 600 millions puis de 850 millions et bien entendu personne ne fait un calcul pluriannuel et nous fait croire qu'il s'agit de dépenses épisodiques alors qu'elles seront gravées dans le temps notamment les recrutements qui doivent se jauger sur plusieurs décennies d'engagements financiers.

Les attentats du 13 novembre conduisent à renforcer, légitimement, notre arsenal sécuritaire. Mais, une fois de plus, le chiffrage annoncé pose question.

En 2015, le budget de la police s'élève à 9,7 milliards d'euros, celui de la Gendarmerie 8,2 mds et celui de la Défense 31,4 mds. Autrement dit, les 850 millions de rallonge budgétaire représentent un peu moins de 1,4% du total des trois budgets précités. Est-ce réaliste ?

De surcroît, ramenée à l'échelle – toujours instructive – d'un département métropolitain, tout ceci signifierait que le France fait un effort de 8,5 millions d'euros par unité de chef-lieu. Et combien rapporté aux plus de 500.000 kilomètres carrés ?

Chacun, hors polémique qui n'est pas le moteur de ces lignes, voit bien que l'avenir se déroulera autrement. Avait-on envisagé de tirer 5.000 munitions (source Procureur de Paris) lors de l'assaut à Saint-Denis ? Non. Donc, nous ignorons la réalité de l'effort intérieur et du coût concomitant des opérations extérieures (coût des bombardements).

D'où une partie du bien-fondé de la phrase du Président de la République qui a indiqué au Congrès que le pacte de sécurité prime le pacte de stabilité. S'il l'a dit, c'est parce qu'il maîtrise parfaitement le fait que le budget 2016 est drapé d'attentisme et dénué de réalisme.

De fait, si l'on prend une simple calculette, un surcoût de 850 millions ne représente que moins de 1,2% du déficit programmé aux alentours de 70 milliards. De qui veut-on se moquer ?

Si 10.000 hommes et femmes sont appelés à venir renforcer notre sécurité, il faut lire, en termes budgétaires, qu'il s'agit de recrutements représentant un coût sur 30 à 40 ans. Soit une somme de plus de 20 milliards.

Donc, les 850 millions que l'on indique au pays sont à imputer à notre traditionnelle erreur qui consiste à ne pas raisonner en coûts complets. Donc à ne jamais présenter le véritable impact pour les impôts de demain. Il est vrai que le mot du Cardinal de Retz est souvent enseigné à l'ENA : " On ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment". La prise de parole hâtive de Pierre Moscovici (voir ici) en est la démonstration ardente. Et à trop vouloir démontrer, on se perd.

Troisième élément de tristesse : le curieux acharnement à croire que la reprise repose sur des fondements en granit. Et permettra donc des rentrées fiscales appropriées.

Dès le 16 septembre 2015, l'OCDE ramenait sa prévision de 1,7% à 1,4% (pour 2016). Chiffre repris à la décimale près par la Commission européenne en date du 5 Novembre. Tandis que Bruxelles pointait du doigt nos futures maigres performances en matière de chômage et de déficit public.

C'est la dure réalité qui nous est masquée et que le Sénat n'a pas eu l'opportunité technique de remettre davantage en cause. La lecture des dernières annonces de la Banque de France vont totalement à l'encontre de certaines déclarations ministérielles tenues devant l'Assemblée nationale il y a moins d'un mois. Les sachants n'osent pas prendre le micro mais s'échangent déjà des prévisions réajustées à hauteur de 1,3% voire moins.

L'irréalisme des hypothèses macroéconomiques qui forgent l'armature du PLF sera un boomerang qui nous conduira à un collectif budgétaire aussi requis que dense.

En clair, le budget 2016 tiendra d'autant moins la route que le retournement conjoncturel mondial est désormais franchement confirmé. Récessions franches au Brésil et en Russie. Soubresauts en Chine. Faux rebond aux Etats-Unis, etc.

Et que la déflation rôde (Japon, zone Euro) avec son corollaire quant aux moindres rentrées fiscales.

Tabler sur des recettes fiscales générées par 1,5% de taux de croissance en 2016 (hypothèse du PLF) est infondé ce que ne démentent pas, dans des cénacles privés, certains membres du HCFP. (Haut-Conseil des Finances Publiques).

En restant dans les limites de l'épure classique, qui ne voit que ce budget est triste par la rusticité des outils qu'il utilise ? Ainsi, son caractère passif, du type " stratégie au fil de l'eau ", est patent pour ce qui concerne l'évolution de la fiscalité affectée (voir ici).

Ne vaut-il pas mieux contingenter les budgets de ces plus de 350 agences plutôt que de s'attaquer aux paramètres d'éligibilité à l'allocation adulte handicapé (AAH) ?

Leur intimer 5% d'économies, c'est apporter près de 6 milliards.

Où est l'ambition de rebudgétisation de ces sommes ? Le PLF 2015 se limitait à moins de 20 milliards. Combien pour 2016 ?

Voilà une proposition concrète, tangible et dotée de faisabilité. Où sont donc les concepteurs de Bercy chargés du bien public ?

Autre dossier : le fonctionnement du maquis des AAI : autorités administratives indépendantes.

Une démonstration grandeur nature nous est fourni par un récent rapport sénatorial (4 Novembre 2015) émis par Madame Marie-Hélène DES ESGAULX, présidente, et Monsieur Jacques MÉZARD, rapporteur de la commission d'enquête sur le bilan et le contrôle de la création, de l'organisation, de l'activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes. (AAI).

Ce texte est hélas édifiant car il montre notre propension à la création de satellites de l'Etat sans fil rouge, sans étude d'impact ni analyse relevant de la sociologie administrative (lire ici).

Pour la conjoncture 2016, l'avenir tranchera. Poincaré disait que "les programmes électoraux ne sont que les inventaires des désillusions du lendemain". Or, un budget n'est pas un programme de tréteaux, c'est l'acte majeur du temps démocratique de la nation.

Ici, tout sera vicié par la surdité sélective des Pouvoirs publics alors même que d'éminents esprits internationaux nous auront collectivement mis en garde.

Lorsque le 5 Octobre 2015, Maurice Obstfeld, le nouvel économiste en chef du FMI (successeur du français Olivier Blanchard) déclare : "Six années après que l'économie mondiale est sortie de sa récession (de 2009) la plus large et la plus profonde de l'après-guerre, un retour à une expansion mondiale robuste et synchronisée continue de se dérober", je ne doute pas que le Secrétaire d'Etat au budget, - Christian Eckert - épaulé par sa solide formation mathématique, ne soit pas à même d'en tirer des conclusions d'évidence. 

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