Et s’il était temps d’envisager que nous ne rembourserons pas toute la dette ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Entre approche keynésienne et doctrine libérale, l'Europe ne sait pas par quel bout prendre la crise.
Entre approche keynésienne et doctrine libérale, l'Europe ne sait pas par quel bout prendre la crise.
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Défaut de paiement

Tiraillée entre approche keynésienne et doctrine libérale, l'Europe ne sait pas sur quel pied danser. Le pragmatisme et la realpolitik doivent l'emporter sur les vieux clivages d'économistes. Première étape : reconnaître un défaut de paiement raisonné de la dette européenne.

Henri  Regnault

Henri Regnault

Henri Regnault est diplômé de l’ESSEC (1970) et l’Institut d’Études Politiques de Paris (1972) et Docteur d’Etat en Sciences Économiques (Université Paris Dauphine, 1975). Il est spécialisé en économie du développement et économie internationale.

Depuis septembre 2007, il écrit, en toute liberté et hors de toute préoccupation académique, « LA CRISE,  lettre plus ou moins trimestrielle, gratuite et sans abonnement ! ».

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La situation économique mondiale créée par le surendettement des Etats est inextricable. Il n’y a pas d’issue dans le cadre des routines économiques dominantes, entre une approche conjoncturelle keynésienne inadaptée à un blocage structurel de surendettement (public et privé) et un moralisme ordo-libéral à l’allemande à l’opposé de la realpolitik indispensable. Loin de ces références d’une autre période, nous avons besoin d’une stratégie pragmatique de sortie d’une situation qui stérilise les potentiels de croissance et qui ne peut nous conduire qu’au pire, dont les émeutes britanniques n’ont été qu’un avant-goût.

Cette stratégie ne peut pas passer par des politiques d’austérité qui rendent encore plus impossible le remboursement de la dette, par contraction du revenu national, diminution des recettes fiscales et, in fine, accroissement du déficit budgétaire. Cette stratégie ne peut pas passer non plus par des politiques de relance coûteuses et impossibles à financer dans les conditions actuelles. Ces deux voies conduisent à l’aggravation du problème plus qu’à sa solution. Rouler la dette à l’infini ne sera plus possible car les créanciers deviennent méfiants devant cette forme de cavalerie qui consiste à emprunter toujours plus pour assurer les échéances de la dette antérieure. Enfin, les banques centrales ne peuvent pas faire de miracle et si la monétisation de la dette n’est pas le diable, elle trouvera vite ses limites, sauf  à provoquer une perte de confiance dans les monnaies fiduciaires… l’antichambre du pire. Les Etats doivent donc prendre leurs responsabilités et poser un acte fort, ouvrant un degré de liberté dans le système: soustraire la dette souveraine aux marchés, à travers l’affirmation régalienne d’un défaut de paiement raisonné, organisé et administré, couplé à une réforme budgétaire et fiscale assurant à très court terme l’équilibre des budgets primaires des Etats, hors service de la dette. Le défaut et la réforme sont indissociables, l’un sans l’autre n’a aucun sens et aucune viabilité.

Le défaut : condition indispensable

Aucune solution n’est indolore. Le défaut raisonné fera des victimes : les épargnants (à travers la décote de leurs assurances vie, fonds de pension et autres placements bourrés de dettes souveraines), les banques et les compagnies d’assurance qui ont prêté aux Etats et dont certaines devront être nationalisées pour échapper à la faillite. Il faudra voir après ce qui pourra être fait pour les créanciers partiellement spoliés par le défaut et les indemniser au mieux, une fois la croissance repartie et les budgets des Etats remis en ordre : rembourser ce qui pourra l’être quand ce sera possible, mais sans la pression des marchés irrationnels et des spéculateurs cupides, et sans remettre en cause les équilibres fragiles de nos sociétés. Dans un premier temps, le défaut est la condition indispensable pour éclaircir le paysage économique et permettre le retour à un calcul économique sain, débarrassé des craintes inflationnistes, liées à un risque de monétisation outrancière (avec la fièvre de l’or purement stérile qui va de pair), et des angoisses déflationnistes induites par le rigorisme allemand (et les anticipations de dépression qui vont avec). La règle d’or de l’équilibre budgétaire  peut ainsi devenir une vraie stratégie de retour à la croissance si elle s’accompagne d’un défaut raisonné qui permette d’équilibrer le budget primaire dans le maintien des devoirs des Etats, car il n’est pas question de sacrifier :

-        ni une éducation accessible à tous, une recherche performante et les infrastructures d’avenir, nécessaires à la croissance de demain,

-        ni la solidarité sociale, la sécurité et la justice indispensables à la cohésion des sociétés,

-        ni la défense, dans un monde plein de dangers où la négligence en la matière est fatale.

 Jouer collectif

L’idéal serait qu’un tribunal international de la dette détermine les coefficients de dépréciation nécessaire des dettes souveraines pour repartir sur des bases saines. Toutefois l’idéal n’est pas de notre monde, les  grands pays débiteurs n’agiront pas de conserve et le tribunal international de la dette n’existera pas. Donc tout cela va se passer dans la plus grande brutalité des rapports de force internationaux. Mais l’issue ne fait aucun doute : le défaut partiel d’une bonne partie des pays développés. Pour limiter les dégâts collatéraux,  le plus tôt sera le mieux. La question clef pour la zone euro est sa capacité à organiser collectivement un tel défaut raisonné : sinon, elle éclatera, ses ex-membres joueront perso et prendront individuellement  de plein fouet le défaut que les Etats-Unis, eux, sauront organiser après les élections de 2012, pour relancer leur croissance et sauver le dollar, après avoir amusé la galerie avec de la monétisation. Dans ce cas, ce ne sont pas les fondamentaux économiques qui auront fait la différence (ils sont plutôt en faveur de la zone Euro) mais la crédibilité de la gouvernance. Non, l’Europe n’est pas sauvée et les Etats-Unis ne sont pas défaits : tout reste à écrire.

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