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Disparition brutale de deux cadres supérieurs d’une grosse banque chinoise : alerte rouge sur le climat des affaires en Chine ?
©Reuters

Sans laisser de traces

CITIC Securities, premier broker de Chine, a annoncé que deux membres de son comité exécutif ont disparu du jour au lendemain, sans doute arrêtés par les autorités. La Chine arrête de nombreux acteurs économiques pour délits et corruption, mais derrière cette opération de nettoyage se posent de vraies questions sur l'état de droit.

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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CITIC Securities est une des plus grosses banques d'affaire de Chine, et le premier broker de Chine. Et CITIC Securities a publié un communiqué assez étrange : l'entreprise n'arrive plus à contacter deux des membres de son comité exécutif, Chen Jun et Yan Janlin. 

Personne ne sait ce qui s'est passé, mais selon toute probabilité ils ont été arrêtés par l'Etat chinois. CITIC ne sait pas. Dans son communiqué, la banque cite la presse qui aurait indiqué une "suspicion" qu'on leur aurait "demandé d'aider dans une enquête."

L'Etat chinois veut réglementer la bourse, mais pourquoi et à quel prix ?

Si les deux cadres sont effectivement sujets d'une enquête, cela porterait à au moins dix le nombre de cadres de CITIC, y compris le président, Cheng Boming, à être inquiétés, rapporte Bloomberg

Depuis quelques mois, l'effondrement de la bourse chinoise a détruit plus de 5000 milliards de dollars de valeurs. L'Etat chinois a lancé de nombreuses enquêtes pour trouver des coupables. Le gouvernement chinois a annoncé vouloir traquer des traders "malveillants" qui seraient à l'origine du krach. Le mois dernier, c'était une autre banque d'affaires, Guotai Junan International, qui avait déclaré que son président avait tout simplement disparu. 

Il y a de nombreux problèmes avec cette idée. La première, et la principale, est qu'il n'y a pas besoin de trouver des méchants pour expliquer l'effondrement de la bourse chinoise : ça fait des années que de nombreux observateurs avertissent que la bourse chinoise est en bulle et que, plus largement, l'économie chinoise est en ralentissement, voire en crise, ce qui ne peut qu'avoir un impact sur la bourse. 

La seconde est qu'il est fort possible qu'il y ait eu des impropriétés. Le marché boursier chinois est connu comme un de ceux où les délits d'initiés et autres "magouilles" sont les plus répandues, dans un des pays les plus corrompus au monde.

Mais cela mène au troisième problème, qui est celui de l'état de droit. Certes, si l'Etat chinois cherche des fraudeurs, il va en trouver. La question est : comment les choisit-il ? Et comment décide-t-il de les punir ? L'Etat chinois cherche-t-il des fraudeurs, ou cherche-t-il juste des boucs-émissaires pour un krach dans lequel de nombreux chinois ordinaires ont perdu leur chemise ? Et dans la mesure où les entreprises doivent évoluer dans un environnement où des cadres peuvent "être disparus" du jour au lendemain, quel est l'impact sur le climat économique chinois et l'investissement ? C'est une chose de lutter contre les abus, c'en est une autre lorsque des gens disparaissent du jour au lendemain sans laisser de traces...

Xi Jinping, cador anti-corruption

Le nouveau président chinois, Xi Jinping, a fait de la lutte contre la corruption sa priorité principale. Et ce n'est pas simplement un effet d'annonce. Comme le signale The Atlantic, depuis son arrivée au pouvoir, plus de 400 000 officiels du Parti communiste ont été sanctionnés pour corruption, dont 200 000 pénalement. Il ne s'agit pas seulement de menu-fretin : Zhou Yongkiang, ancien chef de la sécurité du parti et membre du Politburo, a été arrêté. C'est également le cas de généraux de l'armée chinoise, jusqu'alors considérée comme intouchable. Le slogan officiel de la stratégie : "tuer des tigres et écraser des mouches," c'est-à-dire à la fois s'attaquer à la petite corruption ordinaire et aux plus gros corrompus. 

Cette décision de Xi de mener une réelle campagne anti-corruption est salutaire, nécessaire et compréhensible. Le pacte social non officiel en Chine repose sur la présomption que le Parti communiste chinois peut apporter la prospérité au peuple chinois dans son ensemble, et qu'en échange le peuple ne remet pas en question sa direction. La corruption sape les deux socles de ce pacte : d'un côté, c'est un poids économique, et de l'autre elle remet en question la légitimité du parti, fondée, au moins en théorie, sur sa compétence technocratique et son souci de l'intérêt général. 

Mais la question se pose à nouveau : à partir du moment où la corruption est endémique, comment sélectionner les punis ? Xi doit frapper un coup assez fort pour changer les moeurs--mais pas si fort qu'il fait s'effondrer tout le système. Et sans qu'il puisse être accusé d'utiliser sa campagne anti-corruption pour protéger ses amis et évincer ses ennemis. 

En 2010, c'était le tour de Huang Guangyu, nommé à plusieurs reprises l'homme le plus riche de Chine. Il avait fondé une chaîne de magasins d'électroménager et était devenu un des plus gros distributeurs de du pays. L'homme, qui avait commencé en vendant sur les marchés à 14, était accusé d'avoir corrompu des cadres du parti pour obtenir des avantages pour son entreprise. 

Il n'est pas improbable que ça soit vrai. Il est encore moins improbable que presque tous les milliardaires chinois ont au moins une fois trempé dans la corruption. La Chine est loin du niveau de la Russie, où les arrestations de dirigeants pour corruption ou autre délits ne sont presque qu'exclusivement des moyens de confisquer leurs biens aux entreprises au bénéfice des proches du pouvoir, mais il est difficile de ne pas se poser la question. Huang a disparu du jour au lendemain et a été détenu pendant un an sans accusation officielle. Il a été difficile de ne pas penser que le fait que Huang n'a jamais été membre du Parti et, chuchotaient certains, est catholique, n'a joué un rôle dans son arrestation, plutôt que sa corruption.  

Qu'en est-il des cadres de CITIC ? Nous ne saurons probablement jamais la vérité. En attendant, la campagne anti-corruption du président Xi continue. Quant à savoir si elle mènera à un vrai état de droit, c'est encore loin d'être sûr. 

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