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Percée du FN : toutes ces réactions qui en disent tellement long sur l’incapacité de leurs auteurs à cerner le problème
©Reuters

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Ce dimanche 6 décembre, les Français se sont rendus aux urnes et ont massivement choisi le FN, faisant du parti frontiste le premier de France. Pour autant, de nombreux politiques (et journalistes) persistent à jouer la carte de la diabolisation du parti ; ou restent très vagues dans les problèmes qu'ils cherchent à dénoncer. Un espèce de miroir des tabous dont on n'ose pas parler...

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Atlantico : "Ne soyons pas dupes, le Front National, c’est la politique du pire et le pire de la politique. Le FN est et sera toujours un mouvement d’extrême droite, une rhétorique populiste et démagogique qui repose sur la peur", déclarait Anne Hidalgo au lendemain des élections régionales. Dans quelle mesure est-ce que les différents acteurs (et observateurs) du monde politique tendent à présenter le FN sans jamais formuler de critique concrète ? Quel impact cela peut-il avoir ?

Philippe Bilger : Quand bien même la contestation d'Anne Hidalgo m'apparaît outrancière, il me semble tout de même qu'elle reste dans le registre politique et opératoire. Elle reprend des banalités, certes, qu'on professe souvent à l'encontre du FN, mais elles relèvent du combat politique et technique. En cela, j'ai le sentiment que la maire de Paris ne tombe pas dans le panneau d'autres, qui continuent à déverser l'opprobre éthique sur le FN. En réalité, pour ceux qui le combattent, sa contestation doit relever très clairement d'une lutte politique. Qu'on le veuille ou non, il est inscrit dans l'espace républicain et soutenu par une masse de citoyens dont le nombre fait qu'on ne peut plus le considérer comme une grosse pustule. Sans attacher une importance décisive à la quantité, nous sommes tout de même dans une démocratie. Les votes ont été légitimes, transparents et nous ne pouvons pas traiter ces votes comme s'ils étaient dérisoires. Comme s'ils n'envoyaient pas un message clair et furieux à la classe politique et spécialement au pouvoir politique.

Il y a de bien pires citations que celle d'Hidalgo, qui est dans son registre de socialiste idéologique. Mais, à la rigueur, on peut encore admettre qu'il y a quelque chose qui relève de la démarche politique dans cette dénonciation. En revanche, il est des dénonciations absurdes qui n'ont rien appris et tout oublié. Citons Bernard Henry-Lévy, qui dans une interview hallucinante qu'il donne au Parisien, traite le FN de fasco-soft. Il continue à ressasser la rengaine d'un FN qui ne serait pas républicain. A la limite, qu'il continue à le penser et à le dire, c'est son problème. En revanche, cela arrive au moment même où il dénonce la tragique montée du FN pour lui. A aucun moment il ne relie la contestation absurde que lui et d'autres ont mené et qui a abouti à ces résultats considérables. A aucun moment ces pourfendeurs et ces pompiers pyromanes ne pensent à se remettre en cause. Je trouve ça proprement hallucinant. Dire que le FN n'est pas républicain, quand il est clairement installé dans l'espace républicain, relève de sa liberté. Mais à tenir ce genre de propos il ne faut pas s'étonner de la montée permanente du Front National. Ces dénonciations absurdes aggravent le mal contre lequel elles prétendent lutter.

Sylvia Pinel, ministre du Logement, estimait que la famille Le Pen correspondait à une "petite entreprise familiale fabricante de haine". C'est grotesque. C'est à nouveau une dénonciation morale, une affirmation qu'on se garde bien de démontrer. Il est évidemment plus facile, même si c'est discutable, de parler de haine, d'évoquer l'opprobre morale  que de démonter point par point un programme. Depuis l'exclusion du père, il relève tout de même d'un programme politique et social, aussi contestable et dévastateur qu'il puisse être ou que l'on puisse le considérer. Le Front National engrange un nombre de voix considérable. Continuer à le traiter comme s'il était une force à la fois sulfureuse et officielle, ayant des électeurs à foison mais à démolir éthiquement comme si c'était la peste est la pire des méthodes. La pire.

Carole Delga, tête de liste socialiste, estime que "La mafia des Le Pen, c’est le trafic de la peur, le trafic de la haine, du racisme et de l’exclusion". Concrètement cette façon, qu'ont les politiques et les médias, de manier les euphémismes et les anathèmes pour désigner les problèmes qu'ils peuvent avoir avec le FN traduit-elle quelque chose de nos propres tabous ? Des sujets qu'on ne peut pas aborder ?

C'est, là encore, le ressassement de ces mêmes thèmes qui ne sont même pas de la contestation politique. Encore une fois, il s'agit d'une dénonciation moralisante qui, non seulement, n'aura pas l'ombre d'un effet sur les régionales du dimanche 13 décembre. Elle est abstraite et contre-productive. Ce même genre de propos avait qualifié le FN avant les municipales. Est-ce que cela avait retenu les électeurs d'aller, en grand nombre, vers lui ? Pas du tout. Ceux, qui ont raison de dénoncer politiquement le FN, devraient s'interroger sur la manière dont ils le font. Dans notre démocratie, ils devraient au moins avoir conscience du fait que les armes intellectuelles qu'ils ont utilisé contre le FN, jusqu'à présent (et notamment la gauche, parlons net), sont dévastatrices : elles aboutissent à l'effet inverse.

Quant à savoir si cette maîtrise des euphémismes et des anathèmes traduit nos tabous… Sûrement. Nous sommes face à la montée du FN comme face un problème politique qui révèle l'impuissance des partis classiques et particulièrement du pouvoir socialiste. C'est pour cela que la dénonciation morale et moralisatrice, la répétition de certains mots (haine, angoisse, non-républicains, etc) n'est pas l'affirmation d'une supériorité éthique des adversaires du FN. Au contraire, c'est la marque de leur impuissance concrète. Je crois que le FN, précisément parce qu'il est haut aujourd'hui, mérite une contestation politique, économique, sociale, pénale… inlassable. Mais honnête, dans la mesure où l'on ne peut pas tenir pour rien le fait qu'il est le premier parti de France. Jusqu'à nouvel ordre, il appartient à l'espace républicain et s'y est installé. Si on considère que ses mesures ne sont pas frappées du sceau républicain et bien qu'on les discute ! Qu'on les contredise, qu'on les combatte et éventuellement qu'on fasse battre le Front National à l'élection présidentielle. Il est évident qu'il le sera et j'espère au profit du candidat que la primaire LR aura choisi. Quand on dénonce l'absurdité de la dénonciation moralisatrice, il existe le risque d'apparaître comme un partisan du FN. Il est ahurissant que, pour pouvoir analyser le rapport du FN avec les partis classiques, il faille d'abord préciser qu'on ne votera jamais Front National. Je souhaite voir le FN perdre de son lustre politique. C'est précisément pour cela que je voudrais le voir combattu par des moyens qui le feront baisser et non pas avec des armes qui ne le feront que monter.

Estrosi disait ne pas supporter "le FN, qui est l'héritage du pétainisme. Je me reconnais dans l'héritage du gaullisme social. Je suis à Vitrolles en résistant, c'est dans la Résistance que la France l'a emporté". Qu'est-ce que ce genre de critiques traduit de la politique aujourd'hui ? Des craintes ?

C'est ridicule. Christian Estrosi n'est d'ailleurs pas le seul à abuser de la formule. J'ai le plus grand respect pour les résistants et il est évident que le FN accueille en son sein une frange de nostalgique pétainiste. Pour autant, Florian Philippot est gaulliste. Je doute qu'un parti, quel qu'il soit, puisse aujourd'hui s'affirmer dépositaire de la morale dans sa pureté ou de la résistance. C'est de la pompe grotesque. Christian Estrosi a subi une défaite cinglante au premier tour et il doit désormais faire bonne figure. C'est pourquoi il attaque  aussi RMC, qu'il rend responsable de son échec. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas se battre contre le FN ! Mais il est primordial de ne pas le faire de cette façon. Qu'est-ce que c'est que c'est que ce langage qui laisse croire qu'en PACA, le premier tour était une épopée hugolienne ? Ca n'était guère qu'une défaite considérable. 

Pourquoi continuer à diaboliser le FN alors que les trente ans de rhétorique anti-fasciste incantatoire ont contribué à installer le FN au centre de la vie politique ?

On continue à le diaboliser précisément parce qu'on ne parvient pas à le combattre politiquement. Il y a une montée des attentes, des espoirs, des frustrations, des exaspérations. Face à ce flot qui ne cesse de monter, les partis classiques (et précisément, malheureusement le pouvoir socialiste…) ne savent pas quoi faire. Je crois même qu'ils jettent du feu dans le brasier. Il est évident que derrière cette montée aux régionales, il y a un certain nombre d'exaspérés, liés à la disparition de l'autorité de l'état, à l'affaiblissement de la justice, et donc à une certaine conception socialiste du pouvoir ; une certaine conception pénale du socialisme. Maintenir, comme on le fait, Christiane Taubira n'est pas un élément neutre pour expliquer ce qui s'est passé le 6 décembre. En outre, le président de la République est le premier responsable : c'est très bien d'être – à l'intérieur comme à l'extérieur – le chef de guerre contre le terrorisme, mais il faudrait d'abord s'occuper des crimes et des délits ordinaires. De l'autorité de l'Etat dans ce qu'elle a de quotidien. Il est évident qu'on diabolise le FN parce qu'on n'arrive pas à le combattre politiquement.

Finalement, quelle solution rhétorique ces acteurs politiques pourraient imaginer pour faire un véritable barrage efficace au FN ? 

Tout d'abord, commencer par ne pas en parler et le combattre politiquement. L'opposition a a faire ce qu'elle doit. J'approuve, pour une fois et c'est rare, la position de Nicolas Sarkozy, qui a également été approuvée par François Fillon, Alain Juppé, Bruno Le Maire… C’est fondamental. Dans sa position, il y avait à la fois le respect de la démocratie, c’est-à-dire de ses électeurs qui ont voté massivement pour le FN dans six régions, ainsi que la conscience qu'il doit être combattu politiquement parce qu'il ne représentera jamais une voie opératoire et efficace pour la France. On peut retenir du FN, si on le souhaite, en matière d'autorité de l'Etat, d'ordre, de sécurité, de justice ou d'immigration. C'est peu ou prou déjà le cas chez les Républicains : quelqu'un comme Thierry Mariani n'est pas très éloigné de ce que propose le FN sur ces plans. Rien ne l'interdit donc. Les Républicains peuvent rendre opératoire ces aspects positifs et, du reste il faut combattre le Front National comme l'a proposé Nicolas Sarkozy, en montrant qu'il n'est pas une voie d'avenir, ne peut pas prospérer, aboutira à une dégradation de la santé de la France… Il ne s'agit pas de dire qu'il n'est pas dans notre espace démocratique, de le pourfendre équitablement, mais il s'agit techniquement et politiquement de démontrer ses absurdités.

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