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La Finlande veut mettre en place un revenu de base : pourquoi l'idée est séduisante, mais en réalité ça ne marcherait pas
©Reuters

Allocs pour tous

La Finlande a annoncé un plan pour mettre en place le revenu de base. Pour la première fois, il semble que la proposition soit politiquement crédible, et qu'une idée jusqu'ici considérée comme utopique puisse voir le jour. Mais quelles seraient les conséquences réelles ?

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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On parle de plus en plus de l'idée du revenu de base. L'idée est de verser, inconditionnellement, à chaque citoyen, un revenu mensuel. Dans la plupart des versions de cette proposition, l'idée est de remplacer les aides sociales.

Cette idée qui circule depuis très longtemps chez de nombreux penseurs et économistes--en France, elle est portée par Christine Boutin--ne fut jamais considérée que comme une utopie. Mais aujourd'hui elle semble en passe de se réaliser, en Finlande.

Pour l'instant, il ne s'agit que d'une proposition de KELA, la Sécurité sociale finlandaise, mais, comme le signale Olivia Goldhill de Quartz, la proposition a de bonnes chances d'aboutir. Le Premier ministre, Juha Sipilä, a indiqué qu'il était en faveur de la proposition, et la plupart des grands partis y sont ouverts. Un sondage mandaté par KELA montre que 61% des finlandais seraient en faveur de la proposition. 

L'argument pour le revenu de base

Pour les partisans, le revenu de base aurait deux avantages principaux : la solidarité et l'efficacité. Le volet solidarité est évident : avec un revenu de base garanti à tous, par définition, chacun a droit à un revenu. Mais l'efficacité, aussi. Un revenu de base permettrait de simplifier grandement le gloubiboulga administratif des nombreuses aides sociales qui existent, pour le remplacer par un système très simple. Le revenu de base aiderait également l'emploi et les salaires, car il mettrait fin à l'effet de découragement du travail qui fait que des personnes préfèrent recevoir des aides plutôt que travailler car ils y gagnent moins. Pour de nombreux emplois pénibles, les employeurs seraient obligés de hausser les salaires car les gens ne seraient pas obligés de les prendre faute de mieux. 

La proposition finlandaise

En Finlande, la proposition est de verser à chaque citoyen adulte un revenu de base de 800 euros par mois. La proposition aurait un coût certain : 46,7 milliards d'euros par an. Dans la proposition de KELA, avec la suppression de toutes les autres aides, le système social économiserait quelques millions d'euros par an. 

Mais il ne s'agit pas d'un vrai revenu de base, puisque seuls les adultes pourraient le toucher. Si tous les citoyens le touchaient, selon une analyse de Bloomberg, le coût annuel ne serait plus de 46,7 milliards, mais de 52,2 milliards. Par comparaison, le budget 2016 de l'Etat finlandais prévoit des revenus de 49,1 milliards d'euros. 

Et c'est un vrai sujet, puisque la proposition supprimerait toutes les autres aides, y compris la politique familiale. Une mère célibataire avec trois enfants recevrait autant qu'un jeune célibataire. 

KELA indique que la plupart des récipiendaires d'aides sociales seraient gagnants. La proposition détaillée n'est pas encore publique, mais il est possible que certains qui reçoivent de l'aide au logement ou des pensions de handicap seraient perdants. 

La bataille d'études

Les partisans du revenu de base se battent sans cesse à coup d'études, et les études en science sociale sont souvent peu fiables. Pourtant, c'est un des rares domaines où il existe des études fiables. 

En effet, en sciences sociales, l'étalon-or de la qualité probante sont les études randomisées à groupe témoin. C'est comme pour les études pharmaceutiques : pour savoir si un médicament fonctionne, il ne faut pas juste donner le médicament à des gens et voir comment la situation évolue. Il faut prendre une population cible, la répartir aléatoirement dans un groupe actif et un groupe témoin, donner le médicament au groupe actif, et un placébo au groupe témoin. C'est le groupe témoin qui assure le caractère probant de l'étude ; sinon il est impossible de savoir si les évolutions constatées sont dues au médicament ou à un autre facteur.

En sciences sociales, ce genre d'études à groupe témoin sont encore très rares. Mais, justement, il y a eu plusieurs études à groupe témoin sur le sujet. Comme l'a relevé le chercheur et entrepreneur Jim Manzi, il y a eu une série d'études aux Etats-Unis entre 1968 et 1980, dans des milieux urbains et ruraux, en récession et en période de prospérité, et une nouvelle série d'expériences dans les années 1990. Il y a eu une autre série d'études au Canada.

Il y a d'énormes batailles d'interprétation sur ces études, mais le résultat qui ressort de toutes les études est qu'une aide inconditionnelle réduit la volonté à travailler et le nombre d'heures travaillées. 

Comme le résume Manzi, il y a beaucoup de débat sur le chiffre, mais pas sur le signe : tout le monde est d'accord pour dire qu'un revenu inconditionnel baisse la quantité de travail, la question est de savoir si l'effet est fort et néfaste. Par exemple, au Canada, la plupart de la réduction venait d'étudiants et de mères célibataires--peut être des gens qu'il n'est pas grave de voir moins travailler, au contraire. 

La seule étude à groupe témoin qui montrerait une augmentation du travail fut menée en Ouganda. Mais mis à part le fait qu'il est risqué de généraliser des résultats obtenus en Ouganda aux pays industrialisés, cette étude concernait des revenus alloués inconditionnellement à des gens qui avaient postulé en montant des dossiers de création d'entreprise ou de recherche d'apprentissage, pas à la population globale. 

Le problème statistique et économique est clair : il est possible d'interpréter certaines études pour dire qu'un revenu de base ne baisserait presque pas le niveau de l'emploi, ou ne supprimerait que de l'emploi qu'on aimerait voir supprimer, mais ce n'est pas l'interprétation la plus probable au regard de l'ensemble des études. Le plus probable est qu'un revenu de base ferait augmenter le chômage et baisser la croissance.

Au-delà, cela pose un problème politique épineux : dans une période de chômage, de déficits et de dépenses élevés, est-il juste de demander aux contribuables travailleurs de payer pour verser un revenu inconditionnel ? Depuis les années 1990, dans tous les pays industrialisés, la tendance a été vers une augmentation des conditions pour les revenus sociaux, parce qu'il a été découvert dans les décennies précédentes que les revenus sociaux inconditionnels faisaient exploser les budgets et encourageaient l'indolence. Cette réalité politique a-t-elle vraiment changé ?

Possible en théorie, pas en pratique

L'autre problème du théorie de base est que c'est une idée qui semble plus facile à mettre en place en théorie qu'en pratique. Prenons l'exemple de la Finlande : c'est déjà la proposition la plus audacieuse, et pourtant il ne s'agit toujours pas d'un revenu de base, puisqu'il n'est pas versé à tout citoyen, mais uniquement aux adultes. Et cela crée un vrai problème au regard de la politique familiale. 

Et c'est un cas particulier d'un problème plus général. Aurait-on vraiment la simplification administrative escomptée ? Par exemple il risquerait toujours d'avoir un problème de fraude, qui implique une administration et des contrôles. 

Plus généralement, l'idée d'un revenu de base universel est séduisante, jusqu'à ce qu'on voie qui sont les perdants. On a vu le problème des mères célibataires--quid des personnes en situation de grave handicap, qui ont besoin de plus ? Leur dit-on juste "Non, merci" ?

Et, pour pousser le raisonnement, quid du niveau de vie selon les régions ? 800 euros par mois permet de vivre en Lozère, pas du tout à Paris. Où est l'égalité, alors ? Mais si on crée une pondération au niveau du coût de la vie, cela veut dire une nouvelle administration, des barèmes, de la fraude, des contrôles--bref, la fin de tout ce qui fait l'attractivité du modèle. 

L'idée du "grand soir" réglementaire et fiscal achoppe souvent à la réalité concrète. L'idée "prélever à chaque personne un pourcentage du revenu" est une idée toute simple, et pourtant l'impôt sur le revenu français est un dispositif extrêmement complexe. D'ailleurs il ne prend pas en compte tous les revenus, ce qui explique pourquoi on a créé la CSG. Tout le monde est contre les "niches fiscales" dans l'abstrait, jusqu'à ce qu'on veuille toucher à sa propre niche. Veut-on vraiment détruire la réduction d'impôt pour le don aux associations, et ainsi détruire le secteur associatif ?

Admettons même, pour continuer le parallèle, qu'on arrive à "toiletter" complètement l'impôt sur le revenu, tôt ou tard, les niches reviendraient. Pour des raisons "mauvaises"--l'influence des lobbies, inévitable en démocratie--mais également pour de "bonnes" raisons liées au fait qu'il existe des situations différentes qui méritent une politique publique différente. 

Il a fort à parier que, sur le long terme, la même chose se produirait avec le revenu de base. La simplicité de l'idée est à la fois ce qui fait son intérêt, mais aussi ce qui fait son impossibilité pratique. Une version du revenu de base qui serait possible en pratique ne serait plus le revenu de base. 

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