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Syrie : à quoi joue la Russie ?
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Rusée Russie

La Russie a créé la surprise jeudi en proposant une résolution sur la Libye. Moscou et les autres pays émergents restent pourtant marqués par le précédent libyen d'il y a quelques mois. Ils continuent de s'opposer à une décision ferme contre le régime de Bachar el-Assad.

Denis Bauchard

Denis Bauchard

Ancien diplomate et spécialiste du Moyen-Orient, Denis Bauchard est consultant à l'IFRI.

Il est également l'auteur de  Le nouveau monde arabe : enjeux et instabilités paru en 2012 aux éditions André Versaille.

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Atlantico : Surprise jeudi soir au Conseil de sécurité, la Russie a finalement proposé une résolution de sanction contre la Syrie. Après avoir bloqué les démarches françaises pendant de longues semaines Moscou semble changé d’approche. Est-ce une décision surprenante ?

Denis Bauchard : C’est effectivement une surprise. Cette proposition reflète un réel embarras des Russes. L’unanimité des témoignages, qui montrent la brutalité de la répression, et la pression internationale, notamment les critiques très vives de la France,  ont finalement joué leur rôle. Le texte n’est bien évidemment pas  satisfaisant car il met sur le même plan la répression brutale et des manifestations pacifiques. Mais il peut servir de base à une négociation. Reste à voir si la démarche russe est purement tactique, si c’est un leurre, ou s’ils veulent aboutir à une véritable condamnation de l’action répressive du régime pouvant déboucher sur des actions concrètes contribuant à faire pression sur Damas.

Dans tous les cas, les Russes ne sont pas seuls. La Chine et les autres pays émergents travaillent directement avec Moscou sur ce dossier et vont également faire entendre leur position.

Pourquoi la Russie et la Chine sont-elles si hostiles à toute tentative de résolution ferme face à la Syrie, comme le défend notamment la France ?

La Russie préside le Conseil de sécurité pendant le mois de décembre. Elle peut avoir un rôle important, d’initiative comme de blocage. Pourquoi tant de réticence vis-à-vis de toute résolution de sanction ou de condamnation à l’égard de la Syrie ? C’est d’abord une question de principe. La Russie est extrêmement réticente à toute forme d’ingérence à l’intérieur des États. Elle y voit une atteinte à la souveraineté. De plus, la Russie a d’importants intérêts commerciaux et militaires en Syrie. Le gouvernement syrien loue une base maritime située à Tartous, qui était auparavant une des bases de la marine soviétique. Il faut y ajouter un vif mécontentement sur les conditions dans lesquelles la résolution 1973, qui a permis à la coalition de l’OTAN d’intervenir en Libye au nom de la "responsabilité de protéger les populations", a été mise en œuvre et qui ont dépassé le mandat donné par les Nations unies.

Pour ce qui est de la Chine, nous retrouvons la même position. Pékin n’a pas d’intérêts majeurs mais applique le même principe de non-ingérence. C’est pour cette même raison que Pékin s’oppose à des sanctions contre l’Iran, par exemple.

Cependant les grands pays émergents présents au Conseil de sécurité partagent également ces  réticences. A Moscou, quelque chose est passé totalement inaperçu le 24 novembre dernier : les vice-ministres des Affaires étrangères du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud se sont rencontrés. Ils ont publié un communiqué extrêmement clair dans lequel ils condamnent toute ingérence dans les affaires intérieures des États. Tout un paragraphe concerne la Syrie. Ils reconnaissent qu’il faut faire place aux aspirations de liberté des Syriens mais que toute intervention de forces étrangères doit être exclues au profit d’un dialogue national.

Quelles sont les conséquences de la liberté avec laquelle la résolution 1973 sur la Libye a été interprétée par les pays occidentaux ? La Russie et la Chine se sont-elles laissées convaincre ?

Je ne sais pas si elles se sont laissées convaincre ou surprendre. Le contexte était, rappelons le, très émotionnel. Les déclarations fracassantes du colonel Kadhafi et de son fils, Seïf al-Islam, affichant leur volonté d’exterminer les rebelles de Benghazi, ont fait craindre le pire. La Russie ne s’est pas opposé à cette résolution.

Par rapport aux termes de la résolution, il y a eu une vraie dérive de la part de la coalition. Il y a eu, outre la protection des civils, un vrai soutien aux rebelles qui a permis de déstabiliser le régime libyen. Sans l’intervention des troupes de l’OTAN, le colonel Kadhafi serait certainement encore à Tripoli. Au-delà de l’appui-feu, il y a eu présence de conseillers militaires britanniques et français, approvisionnement en armes ou encore destruction de cibles qui ne menaçaient pas directement les civils, notamment dans la résidence de  Mouammar Kadhafi.

Je pense que le concept de "responsabilité pour protéger" pour justifier une intervention étrangère armée risque de ne pas pouvoir être réutilisé  pour l’instant. Dans un avenir proche, je vois mal une résolution comparable à la résolution 1973 qui a permis l’intervention de l’Otan, en  Libye être adoptées sur la base de ce même principe. Dans le communiqué du 24 novembre, les vice-ministres des Affaires étrangères du Brésil, de l’Inde, de la Russie, de la Chine et de l’Afrique du Sud expliquent bien que "la seule solution acceptable en Syrie est une négociation pacifique" et qu’une intervention extérieure non conforme à la charte de l’ONU  était "exclue".

Est-ce la naissance d’un axe diplomatique des pays émergents face aux puissances occidentales ? Leurs voix ont-elles plus de poids que celles de Paris ou Londres ?

Ce mouvement se manifeste depuis plusieurs mois. Les pays émergents sont en train de devenir une force qui entend peser sur les relations internationales. Cette tendance se confirme à la fois au sein du Conseil de sécurité et du G20. Ces même pays entendent également défendre leurs intérêts face au désordre monétaire européen.

Ils se font entendre plus qu’avant mais ils ne dirigent pas pour autant le monde. Ils veulent participer au pouvoir au sein des grandes instances internationales sans accepter toutes les conséquences de ces nouvelles responsabilités. Ils ne s’impliquent pas totalement sur le plan financier. S’ils revendiquent leurs droits, ils ne sont pas tout à fait cohérents en ce qui concerne l’application de leurs devoirs.

Les déclarations de l’ambassadeur français qui dénonçait la "responsabilité morale" du Conseil de sécurité ou d’Alain Juppé qui évoquait des "crimes contre l’humanité" ont-elles contribué à faire évoluer la position russe ? 

Ces déclarations ont sans doute contribué à faire évoluer la Russie et à lui faire prendre cette initiative. Elles répondaient aux préoccupations des opinions publiques : nos responsables politiques entendent montrer qu’ils font tout pour trouver une solution. C’est également un signe de soutien adressé aux populations syriennes et au Conseil national syrien.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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