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L’état d’urgence permanent : mais jusqu’où ira François Hollande ?
©Reuters

Débridé

Déchéance de la nationalité, extension de la durée des gardes à vues dans les affaires terroristes, de l'utilisation de la vidéo-surveillance... Le texte législatif concernant la consolidation de l'état d'urgence sera présentée le 23 décembre en Conseil des ministres.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Pouria Amirshahi

Pouria Amirshahi

Pouria Amirshahi est membre du bureau national du PS. Il est également député de la neuvième circonscription des Français établis hors de France (Afrique du Nord et de l'Ouest).

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Atlantico : Déchéance de la nationalité, extension de la durée des gardes à vues dans les affaires terroristes, de l'utilisation de la vidéo-surveillance... Le texte législatif concernant la consolidation de l'état d'urgence sera présentée le 23 décembre en Conseil des ministres. Au lendemain des attentats, vous avez voté "contre" la prolongation de 3 mois de l'état d'urgence. Concrètement, quelles sont vos craintes aujourd'hui ? 

Pouria Amirshahi : Vous venez d'en énoncer une partie. Mais avant tout, il fait savoir de quoi on parle. Il ne s'agit pas seulement d'un "texte législatif" mais d'une modification de notre Constitution...en pleine était d'urgence ! Du jamais vu en démocratie. Nous aurions parfaitement pu laisser la possibilité de proroger de 12 jours la durée de l'état d'urgence, si besoin, comme le prévoyait la loi ; or son inscription dans la constitution et l'allongement de sa durée pour 3 mois, soit … 1/4 de l'année, signifie une dérogation extraordinaire au droit commun, sans que par ailleurs ne soient abrogés les articles 16 (pleins pouvoirs) ou 36 (état de siège). Sans compter que le projet de révision prévoit d'ajouter 6 mois supplémentaires de prérogatives exceptionnelles à la police pour "lisser" la sortie du dispositif d'état d'urgence. On sombre dans l'état d'exception permanent dont on ne sait pas ce que demain des pouvoirs encore plus autoritaires en feront.

Jusqu'où, selon vous, le Président est-il prêt à aller pour la sécurité du territoire ?

Pouria Amirshahi : Je ne suis pas à sa place, mais je constate que les premières annonces ont été puisées dans le panier des propositions de l'extrême droite et de la droite la plus réactionnaire. Je pense évidemment à la déchéance de nationalité pour des bi-nationaux nés français. La dernière fois que cela s'est produit, c'est sous Vichy, quand ce régime a retiré aux juifs leur statut de citoyens issus du décret Crémieux. Certes cette fois, ce n'est pas en fonction de leur religion supposée mais en fonction de leurs actes terroristes avérés que la déchéance de nationalité pour des citoyens français, nés français, serait rendue possible. C'est la première fois que l'on remet en cause ainsi le droit du sol. Ensuite, c'est une entorse à notre pacte judiciaire républicain qui veut qu'un criminel soit jugé et puni en France. Enfin, quelle incroyable désinvolture à l'égard des autres nations dont relèveraient aussi ces potentiels "déchus" !? Ainsi, la  République aurait financé la scolarité, les études, l'accompagnement de jeunes français  depuis leurs naissance et rejetterait ses échecs sur la responsabilité d'autres pays qui n'y s'étaient absolument pour rien ??! Je ne vois pas pourquoi ni comment ces autres États accepteraient si facilement d'être le réceptacle de nos propres échecs... Et ils auraient bien raison.

En quoi les moyens juridiques à la disposition des pouvoirs publics en dehors de l'état d'urgence sont vraiment suffisants ? 

Pouria Amirshahi :  Non seulement nos 19 lois antiterroristes depuis 1986 nous ont doté de dispositifs très sophistiqués, mais contrairement à ce que l'on entend parfois, la justice n'est pas un frein, mais une garantie d'efficacité, non seulement pour la protection des droits et des libertés mais aussi pour le respect des procédures engagées. Les articles 706-89 et 706-93 autorisent les perquisitions de nuit ; les articles 100 et suivants et 796-95 du même code de procédure pénale autorisent les écoutes, posés de micros, surveillance informatique dans le cadre de la lutte antiterroriste. Par ailleurs, je suis stupéfait qu'on fasse si peu de cas des dérapages, des dérives et des erreurs manifestes possibles et même désormais avérées. La procédure, c'est la sœur jumelle de la liberté ! Enfin, le recours à l'état d'urgence ne devrait être qu'exceptionnel, pour une durée limitée à 12 jours et invoqué avec une très grande précaution. Car, que sé passe-t-il si un attenta survient pendant cet état d'urgence qu'on rallonge désormais à 3 mois ? Quel est le cran au-dessus ? Pour combien de temps ? Et que dire devant la la la menace, forcément permanente, d'attaques aux armes chimiques ? Ce discours de la peur est sans fin, il fige la société. Le groupe Daesh n'aurez faire, lui, de notre "état d'urgence". À l'inverse,  nous avons besoin de nous mettre en mouvement, de dépasser l'état de peur ou de sidération dans lequel nous sommes prisonniers.

Comment décrire la position de la droite sur les le renforcement des mesures de l'état d'urgence ? Que craint-elle concrètement, à quels risques fait-elle allusion, jusqu'où pense-t-elle que le gouvernement peut aller ?

Bruno Cautrès : La droite est en fait un peu prise à contre-pied sur cette question car les mesures mises en place par l'exécutif sont vraiment des mesures d'ordre public et de sécurité très fortes. Le position de la droite est donc relativement inconfortable, coincée entre le soutien au titre de l'unité nationale autour de la lutte contre Daech et le terrorisme et l'opposition à François Hollande. Nicolas Sarkozy a manifesté de fortes critiques sur le fait que l'on aurait tardé à prendre la mesure du problème après les attentats de Janvier. Il n'est de fait pas facile à la droite de trouver un angle d'attaque du pouvoir exécutif; il n'est pas non plus facile pour elle, au plan tactique, de laisser Franois Hollande retirer trop de bénéfices de sa nouvelle posture de "chef de guerre". Dominique de Villepin est celui qui est allé le plus loin sur les raisons de fond pour lesquelles il soulève des questions fortes à propos des différents risques de ces mesures sécuritaires. Il a intégré ses réserves (possibilité de dérive de mesures qui devraient, selon lui, être limitées dans le temps) à une critique sous-jacente plus large : il a parlé "d'éteindre un incendie avec un lance-flamme" à propos de la guerre contre Daech via des bombardements en Syrie. On voit ici s'exprimer une position très "villepiniste" qui n'est pas sans rappeler le refus de la guerre en Irak, la traditionnelle politique néo-gaulliste de compréhension du monde arabo-musulman plutôt que de bombardements. Cette position est assez courageuse car elle prend le climat dominant en France à rebrousse poil. Mais est-elle toujours d'actualité tant le menace semble forte et avoir muté ? C'est aussi depuis la France que se sont fomentés les attentats, même s'ils l'ont été en lien ou sur commande du terrorisme de Daech.

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