Régionales : mais pourquoi la droite baisse-t-elle autant dans les sondages face au FN ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Nicolas Sarkozy, président des Républicains.
Nicolas Sarkozy, président des Républicains.
©Reuters

Descente aux enfers

Selon les résultats d'un sondage Ipsos/Storia pour le Cevipof sur les élections régionales qui se tiendront dimanche 6 décembre, la droite est particulièrement en retrait dans plusieurs régions, où elle est respectivement concurrencée par l’extrême droite et par la gauche.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Si les listes de gauche sont en peine, la droite ne semble pas épargnée par la dynamique frontiste... Pour quelles raisons la droite perd-elle l'adhésion des électeurs qui souhaitent une "alternative"? Que propose-t-elle de moins que le Front national ?

​Bruno Cautrès : La droite fait face à un scenario qui n’était pas celui prévu d’une victoire facile et assez nette aux élections régionales. Les crimes terroristes du 13 novembre ont bouleversé le contexte de ces élections : non seulement l’émotion est considérable dans le pays, reléguant un peu derrière la volonté de sanctionner le pouvoir vis-à-vis de ces maigres résultats économiques, mais encore François Hollande a endossé un rôle de « chef de guerre » qui bloque le passage aux leaders de la droite pour exister fortement en ce moment. Et puis, et surtout je dirais même, tout se passe comme si le Front national bénéficiait d’un exceptionnel « alignement des planètes » : l’accumulation des mauvaises nouvelles économiques, le climat sécuritaire qui pousse tout vers la droite, la menace terroriste à l’intérieur du pays et l’infiltration par les terroristes des rangs des réfugiés syriens qui a été reconnue par les autorités. Au-delà de « l’effet climat post-attentats », il faut bien sûr parler des raisons plus structurelles qui expliquent une droite en mal de repères : la défaite de Nicolas Sarkozy en 2012, après une seul mandat, l’échec de François Hollande sur le plan économique pour le moment, ont donné le sentiment à certaines franges de l’électorat que les deux grandes familles politiques étaient à bout de souffle et dépassées par les évènements. Considérées dans ces franges (classes populaires mais aussi classes moyennes déclassées ou touchées par les augmentations des impôts et taxes) comme co-responsables de la situation, les deux familles politiques de la gauche et de la droite sont durement touchées par la dynamique FN. Par ailleurs, on voit, dans notre panel électoral, le FN progresser dans presque toutes les couches de la population.

Au bout du compte, le FN a su retourner le stigmate à son avantage même si une majorité d’électeurs continuent de douter de sa capacité à gouverner le pays : à force d’être cloué au pilori il a sans doute su retourner ce capital négatif en posture de victime, de parti des bannis à qui on refuse les portes du pouvoir, c’est le fameux « UMPS ». Par ailleurs, la droite a donné d’elle-même le spectacle peu engageant d’une famille divisée : après la guerre à mort Copé-Fillon, c’est à présent le jeu des postures, des petites phrases, des coups médiatiques Juppé-Sarkozy-Fillon-Lemaire. Si Nicolas Sarkozy a martelé que son but était de réunir sa famille politique, force est de constater que la perspective des primaires a aiguisé les rivalités. Ni les règles d’organisation, ni les codes de bonne conduite plus ou moins bien respectés n’ont empêché le spectacle de la division. Les hommes politiques pensent qu’ils font assaut de stratégie et de jolis coups lorsqu’ils casent une petite phrase qui est un message subliminal contre l’un de leur camp ; mais les électeurs, dont beaucoup se débattent dans les difficultés matérielles de la vie, regardent cela de manière très négative. Ils n’attendent pas des petites phrases mais des propositions et beaucoup plus encore ils attendent que leur vie quotidienne devienne plus facile et vite. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder les résultats d’une autre enquête du CEVIPOF, le Baromètre de la confiance politique (dont nous réaliserons une nouvelle vague sous peu).

Il faut néanmoins prendre quelques précautions dans les prévisions pour ces régionales : la bataille d’interprétation sur qui est le vainqueur ne trouvera sa réponse qu’à l’issue du second tour lorsque l’on saura combien la gauche, la droite (avec le centre) et le FN ont gagné de régions. Par ailleurs, les résultats du premier tour et ce qui va se passer à compter de dimanche soir, peuvent avoir des effets de mobilisation différentielle. Enfin, les derniers jours avant une élection réservent souvent une petite surprise : les électeurs de droite vont-ils vouloir réagir à l’avalanche de sondages favorables pour le FN et ne pas se laisser prendre la victoire qu’ils attendaient ? La gauche va-t-elle donner un coup de collier pour sauver les meubles ? 

Jérôme Fourquet : Dans les sondages, les Républicains font jeux égal avec le FN, donc ils incarnent eux aussi une alternative. Il est vrai malgré tout que la dynamique récente est plutôt favorable au FN, car l’actualité a remis au centre du débat les questions identitaires et celles qui touchent à la sécurité. Sur ces sujets là, c’est le FN qui incarne une véritable rupture. Autant, sur les enjeux plus classiques, l’électorat de droite peut trouver de quoi épancher sa soif sur des marchés économiques, ou du travail, de l’assistanat, etc. ; Autant sur les questions sécuritaires et migratoires, la vraie rupture est le FN. Nicolas Sarkozy avait cherché après les attentats de janvier à récupérer cette thématique, en attaquant sur le président et en ventant son bilan. D’un autre côté, la gauche vient piller les idées de la droite en matière de sécurité pour chercher à s’emparer du sujet. Le FN se distingue donc des autres, et encore plus aujourd’hui, dans la mesure où le gouvernement à pris des mesures dures.

Il ne s’agit pas pour autant de baisse de la droite. Elle demeure à un niveau faible, mais elle ne s’est pas effondrée. Nous avons vu aux européennes et aux départementales que nous sommes dans un univers de tripartition. Notre vie politique était habituée au jeu de balancier gauche-droite. Dans ce mécanisme là, l’extrême impopularité du gouvernement était un boulevard espéré pour la droite. En 2010, lorsque là droite était au pouvoir, la gauche avait réussi son pari aux régionales. A droite, ils pensaient en faire autant aujourd’hui, sauf que ce n’est pas le cas, car le FN est entré en jeux. De fait, le mécanisme qui fait que l’opposition récolte des soutiens au fur et à mesure que le gouvernement devient impopulaire ne fonctionne plus, car il nourrit certes la droite classique, mais aussi le FN. La droite est donc beaucoup plus basse que ce qu’elle devait être dans le schéma classique du bipartisme.

Le tournant sécuritaire du gouvernement -qui emprunte certaines propositions de la droite- aurait-il pu donner corps à la critique "UMPS", à une indifférenciation du PS et du parti Les Républicains ?

Bruno Cautrès : Il est certain que l’on assiste à quelque chose d’exceptionnel avec un pouvoir exécutif de gauche qui tient un langage et prend des postures habituellement plutôt de droite : la loi et l’ordre, la sécurité, l’état d’urgence, le renforcement législatif, voire constitutionnel, des pouvoirs administratifs de lutte contre le terrorisme. Et l’on voit bien que la droite n’est pas à l’aise pour trouver un angle d’attaque : Nicolas Sarkozy s’est positionné sur le terrain d’une critique de ce qui n’aurait, d’après lui, pas été fait depuis Janvier ; Alain Juppé a voulu dans un premier temps se différencier de Nicolas Sarkozy en soutenant largement l’action de l’exécutif, puis en essayant de trouver quelques critiques et enfin en disparaissant de ce débat. Mais je pense que ce sont surtout les grands problèmes non-réglés au plan socio-économique qui ont pu convaincre des électeurs du FN que la gauche et la droite c’était la même chose : au fond, certains électeurs tirent le bilan qu’ils ont essayé la droite (2007-2012), la gauche (depuis 2012), que les majorités passent et les problèmes demeurent.


Quelles sont alors les questions que la droite ne pourra pas se permettre d'éluder, tant sur sa capacité à proposer une lecture du monde que dans ses méthodes ?

Bruno Cautrès : Si la droite gagne la présidentielle de 2017, elle devrait (et je dirais la même chose de la gauche si le cas se présentait) avant tout mettre un grand coup de frein à la « machine à promesses » : non, on ne change pas la France en cent jours ! La réalité d’un pays moderne et développé dans une période de transformation profonde du capitalisme (effets de la globalisation), ne peut plus s’accommoder de ces promesses sans lendemain ou dont on découvre les effets pervers et inattendus au moment de les mettre en œuvre. Cela ne veut pas dire l’immobilisme ; cela veut sans doute dire se fixer peu de grands objectifs et vouloir faire avancer le pays sur deux ou trois de ces problèmes : chômage des jeunes et formation en alternance, repenser le lien lycée-université par exemple.

La "machine à divisions" également devrait trouver une solution : au fond, la question du lien de la droite et du centre façon RPR-UDF d’antant n’a toujours pas trouvé sa solution. Comme le PS à une époque (et comme le PS sans doute le redeviendrait en cas de défaite en 2017), la droite d’aujourd’hui est obsédée par l’élection présidentielle. Les électeurs, un peu effarés par ce spectacle, voient des hommes politiques qui ont déjà tout eu s’écharper pour obtenir la seule marche qu’ils n’ont parfois pas encore occupée ou sur laquelle ils veulent revenir. Une partie, je pense significative, de l’électorat de droite attend de l’air frais, du renouvellement. A condition que les « jeunes » (qui parfois ont déjà dépassé la quarantaine) ne répliquent pas les automatismes que leurs aînés leur ont appris….

Jérôme Fourquet : Le FN a des propositions très concrètes et soumet une certaine vision du monde. Il s’agit de cette vision qui est de plus en plus partagée. Il y a certes des interrogations sur les aspects économiques, notamment quant à la sortie de l’euro, mais sur l’aspect du rapport à l’immigration, du contrôle aux frontières, etc. : 90% des sympathisants adhèrent et le désir.

Mais un substrat de mécontentement de l’ancienne présidence peut malgré tout surgir. Nicolas Sarkozy avait promis de tout passer « au karcher », mais dans le fait cela n’a pas été le cas. Les Français regardent, stupéfaits, l’implantation du djihadisme en France et objectivement personne en fera croire en Français qu’il s’agit d’une génération qui est née en mai 2012 à cause de François Hollande. Les filières sont mises en place depuis des années dans certains quartiers. Il réside donc une insatisfaction de la droite sur la question sécuritaire, mais aussi sur les questions économiques. Nous nous souvenons des fameuses promesses « travailler plus pour gagner plus », la remise au carré des comptes publiques… Ce sont également ces raisons qui expliquent que Nicolas Sarkozy peut avoir des difficultés parmi de l’électorat de droite. Il est vu comme étant le responsable du quinquennat de 2007-2012.

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