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Le TRI, ce chiffre qu'utilisent tous les financiers mais qui ne dit pas tout de la réalité économique
©Reuters

La finance pour les Nuls

Le taux de rendement interne (TRI) est tellement utilisé en finance qu'il détermine probablement la direction de milliers de milliards d'actifs chaque années. Mais ce chiffre peut masquer la réalité autant que la révéler.

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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Le taux de rendement interne, ou TRI--cette expression peut être barbare désigne en réalité une formule mathématique qui fait bouger des milliers de milliards d'euros par an. Le TRI, c'est la mesure principale qu'utilisent les décideurs économiques--financiers, chefs d'entreprises, gérants de fonds--pour décider d'investir, ou pas, dans des projets ou dans des entreprises. Son utilisation est presque universelle. Il est donc important de la comprendre--et surtout d'en comprendre les limites, car elle en a, comme le rappelle une très judicieuse note du cabinet McKinsey.

Le TRI, c'est quoi ? 
Pour comprendre le TRI, il faut comprendre la VAN. C'est quoi la VAN ? C'est la valeur actualisée nette. C'est un concept absolument crucial.
Toute la finance est l'art (plus que la science) de faire aujourd'hui avec de l'argent en pensant à demain. Et donc toute la finance est structurée par le concept de valeur temporelle de l'argent. En clair, un euro aujourd'hui vaut plus qu'un euro demain, qui vaut moins qu'un euro dans un an. Pourquoi ? A cause de l'inflation, d'abord, mais surtout à cause du risque. Si je vous promets un euro dans un an, cette promesse a une valeur aujourd'hui. Mais cette valeur n'est pas d'un euro, puisqu'il y a un risque que la promesse ne soit pas remplie. Alors, quoi ? 
La théorie financière répond en utilisant un taux d'actualisation. On va pondérer la valeur future d'une somme d'argent avec un taux d'actualisation, et cette valeur pondérée représentera la valeur aujourd'hui d'une somme d'argent qui arrivera demain. 
Par exemple, si je suis l'Etat français et que je promets à un investisseur financier de le payer 100 euros dans 1 an, et que le taux d'actualisation, déterminé, en pratique, par le marché, est de 1%, parce que l'Etat français est bon payeur et que l'inflation est faible, on appliquera ce taux de 1% à l'obligation de payer 100 euros. Sa valeur actualisée nette est donc de 99 euros. En admettant que le taux du marché soit bon--ce qui est un tout autre débat--vous savez au moins que si on essaye de vous vendre cette application pour 100 euros c'est trop cher, si on vous la vend pour 98 euros, vous faites une affaire. 
C'est un exemple très simple. Pour des projets d'investissement complexes et à longue durée, on aboutit à des calculs assez complexes. Mais le principe de la valeur actualisée nette est simple : donner la valeur actuelle d'argent qu'on doit recevoir demain (moins les coûts que l'opération peut engendrer, c'est pour ça qu'on parle de valeur actualisée nette). 
Ce concept est fondamental en finance, et il est lié au TRI car, mathématiquement, le TRI est le taux d'actualisation avec lequel la valeur actualisée nette d'un investissement est nulle. Pour le formuler différemment, on peut dire que c'est le taux auquel un investissement atteint l'équilibre. Le calcul se fait avec une formule relativement compliquée que les financiers apprennent à l'école et ensuite oublient aussitôt puisqu'Excel le calcule tout seul. 
Il est important de comprendre conceptuellement d'où vient le TRI. Pour la pratique, il faut surtout savoir que c'est la mesure "reine" par laquelle les décideurs financiers mesurent la rentabilité d'un investissement.
Et cette mesure a ses limites. Il faut donc les comprendre. 
Les diverses sources du TRI
En fait, toutes les limites du TRI sont des aspects différents d'un fait central, qui est que le TRI résume de nombreux aspects différents sous un seul chiffre. Pour vraiment comprendre un investissement, donc, il faut désagréger le TRI pour voir ses divers composants.
Le rendement de base et la valeur de revente. Mettons qu'on achète une entreprise, ou un appartement--un actif qui verse de l'argent au cours de sa vie--et ensuite qu'on le revend. Le TRI global de cet investissement prendra en compte à la fois le rendement qu'a rendu le bien au cours de sa vie, et le prix de revente. On peut avoir un TRI élevé parce que l'actif est intrinsèquement rentable, ou on peut avoir un TRI élevé parce qu'on l'a revendu cher, même si peu rentable, par exemple à cause d'un effet d'aubaine. Le même TRI représentera deux réalités très différentes. 
La baisse de coûts ou l'augmentation de l'activité. Prenons encore une fois une entreprise, qui dégage des profits trop peu importants. Lapalissade : les profits, c'est le chiffre d'affaires moins les coûts. Donc si on veut augmenter les profits, on peut soit augmenter le chiffre d'affaires, soit baisser les coûts. Dans les deux cas, toutes choses égales par ailleurs, on augmentera les profits, et donc le TRI. Mais la réalité sous-jacente sera très différente.  
L'impact de l'endettement. L'endettement a un effet booster sur le TRI, c'est bien pour cela qu'on parle d'effet de levier. Plus on emprunte d'argent pour réaliser un investissement, moins on doit verser d'argent en propre, et donc plus le rendement potentiel est élevé. C'est le principe de l'achat à effet de levier, les fameux leveraged buyouts des fonds de private equity, également le principe de la plupart des investissements immobiliers. Un fonds rachète une entreprise avec de l'argent emprunté, rembourse les échéances du prêt avec les profits générés par l'entreprise, et rembourse le principal de l'emprunt avec la revente de l'entreprise. 
Mais évidemment, un TRI élevé à cause d'un effet de levier ne décrit pas du tout la même réalité qu'un TRI élevé grâce à une rentabilité forte de l'actif sous-jacent. Et qui dit effet de levier dit risque--comme chacun sait, emprunter c'est très bien quand tout se passe bien, mais lorsqu'il y a un imprévu, ça peut avoir des conséquences désastreuses. Le TRI cache cette réalité. Avec la baisse des taux d'intérêts, et la préférence fiscale pour l'endettement des entreprises, on peut parier que l'omniprésence du TRI est une raison pour laquelle l'endettement des entreprises a monté en flèche, avec des conséquences parfois désastreuses.
Conclusion : il faut comprendre les outils qu'on utilise
La première chose qu'on vous dira à n'importe quel bon cours de finance est qu'aucun chiffre ou instrument de mesure, à lui tout seul, ne vous dira tout sur la réalité que vous appréhendez. On vous apprend beaucoup de techniques, de formules et d'instrument de mesure, mais surtout on vous dit qu'il faut comprendre comment ils fonctionnent et en utiliser plusieurs pour ne pas être leurrés. Le TRI pas plus qu'un autre. C'est quelque chose que, donc, tous les financiers savent en théorie. Mais en pratique, la réalité est bien différente. Souvent--trop souvent--les investisseurs ne regardent que le TRI, sinon McKinsey ne se serait pas fendu d'une note pour rappeler la base à ses clients. Lorsqu'on regarde un investissement, le TRI est important, mais il est au moins tout aussi important de désaggréger le TRI et ses composantes, de regarder ce qu'il comprend vraiment, pour comprendre la réalité sous-jacente. 

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