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Tous vieux et fous... mais heureux ? Ce que la France pourrait apprendre des Japonais sur l’accompagnement de la démence sénile
©Reuters

Fou...Kushima

Une récente étude prouve que d’ici 2025, un japonais sur cinq souffrira de démence. Une maladie qui touche beaucoup de pays développés, notamment la France. Pour lutter contre ce phénomène le Japon a proposé plusieurs mesures.

Thierry  Gallarda

Thierry Gallarda

Psychiatre et psychothérapeute, Thierry Gallarda est chef du service de psychiatrie de l'adulte âgé au Centre Hospitalier Sainte Anne à Paris. Spécialisé dans l'interaction et la relation entre les maladies neurodégénératives et les symptomes de maladies psychiques comme la dépression ou l'anxiété. Il a participé à l'écriture de plusieurs ouvrages sur la psychiatrie et les troubles dépressifs chez les personnes âgées 

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Atlantico : Le Japon a annoncé la mise en place d’une assurance santé qui permettrait de couvrir les patients éligibles en mettant à leur disposition des aides en cas de neurodégénérescence grave. Qu’en pensez-vous ?

Thierry Gallarda : L’assurance santé est une mesure intéressante. Ce qu’on sait, c’est qu’il y a un décalage majeur entre l’installation des maladies neurodégénératives au tréfonds des sutures cérébrales et leurs expressions symptomatiques. Un décalage qui dure au minimum dix ans, plutôt quinze. Il ne faut donc pas s’inscrire dans une démarche curative mais plutôt dans une démarche de prévention. Pour des patients qui sont par exemple atteints de maladie d’Alzheimer débutante à l’âge de 70 ans, on peut imaginer qu’ils ont des déficits cérébraux qui sont déjà palliés depuis 15 ans.  L’idée d’une assurance dès l’âge de 40 ans est donc très bonne. De toute façon la notion de prévention est majeure dans ce champ là. Contrairement à d’autres maladies, le champ des maladies neurodégénératives amène automatiquement une prévention précoce. On ne descendra pas en deça de 40 ans sauf évidemment pour ceux qui ont des maladies génétiques qui peuvent débuter plus tôt. Dans tous les cas, la notion de prévention est primordiale.


La deuxième mesure concerne la possibilité d’un emploi du temps flexible pour les employés, est-il nécessaire en France ?

C’est essentiel. Certains se retrouvent totalement démunis face au manque de flexibilité. Ils ne peuvent pas se permettre d’arrêter de travailler. Ils doivent souvent laisser leur « malade », leurs parents âgés chez eux le matin avec quelques aides à domicile. Repartir au travail et revenir le soir pour finalement trouver un parent qui n’a rien fait de la journée. L’histoire de la flexibilité dans la vie des personnes qui sont amenées à côtoyer des proches ou des individus atteints de démence est essentielle. D’ailleurs le projet de loi d’une adaptation de la société au vieillissement avait été évoqué à l’Assemblée Nationale. La question des aidants, du temps consacré par les aidants nuit et jour ou de leurs dépenses est une question qui n’est absolument pas prise en compte à sa juste mesure en France. Les gens se reposaient il y a quelques années sur l’amour filial. Dans la majorité des familles traditionnelles, les aidants donnaient tout le temps qu’ils pouvaient pour les patients. Dans les quinze, vingt prochaines années, avec les familles éclatées ou recomposées, ca ne sera probablement plus le cas. Donc la flexibilité de l’emploi du temps est une mesure très pertinente.

Est-ce que la mise en place d’une formation spécialisée afin que le corps médical, les infirmières, les physiciens puissent secourir ou prendre soin d’un patient atteint de démence est déjà effective dans notre pays ?

Non, très honnêtement non. Nous faisons par exemple depuis quelques années une formation de trois jours pour les aider à accompagner la souffrance psychique des personnes âgées et mieux la comprendre. On voit à quel point aides-soignants, infirmiers, kinésithérapeutes, ou les médecins spécialisés dans d’autres domaines sont très loin d’avoir des compétences requises pour soigner les patients atteints de démence.  Mis à part les généralistes qui sont forcément un peu sensibilisés lorsqu’ils ont des patients très âgés, des médecins très compétents comme des chirurgiens, mêmes certains psychiatres, sont très loin d’avoir le minimum de connaissances nécessaires pour gérer des histoires comme ça. Même pour les urgences c’est parfois délicat. La formation spécialisée et la sensibilisation du corps médical à ce type de maladie sont un énorme sujet de discussion.


Pour lutter contre les accidents de la route au Japon, le vote d’une loi qui oblige les patients atteints de démence à présenter un certificat médical est envisagé. Pensez vous qu’une telle loi est nécessaire en France ?

Beaucoup de gens réfléchissent sur cette question dans notre milieu et chez les médecins. C’est un sujet extrêmement sensible car les seniors sont extrêmement vigilants sur les restrictions de leurs libertés d’aller et venir ou de circuler… Honnêtement je pense que les accidents de la route qui sont provoqués par les personnes atteintes d’une quelconque démence sont très minoritaires par rapport aux accidents provoqués par les jeunes alcoolisés, drogués ou autres. C’est un sujet très sensible politiquement. Je ne suis pas sur qu’une loi qui obligerait les personnes atteintes à présenter un certificat médical serait effectivement bien accueillie. Je ne suis même pas sur qu’il y ait un débat sur ce sujet à l’heure actuelle en France. Sans légiférer sur le fait qu’il y ait des patients qui sont dans des processus démentiels très débutants et qui conduisent bien mieux que des jeunes qui viennent d’obtenir leur permis. Au niveau du corps médical il faudrait mettre en place des procédures très objectives sur d’éventuelles déficiences visuelles ou attentionnelles qui seraient vraiment à haut risque. Comme ce sont des maladies qui agissent sur de nombreuses années, ce serait très difficile de juger.

Qu’en est-il de la mise en place, comme au Japon, de centre pour permettre aux patients atteints de démence de s’exercer physiquement et psychologiquement à travers des activités intergénérationnelles ? 

Cela se fait un tout petit peu en France dans les accueils de jour. Ce qui est dommage, c’est que ce sont souvent des accueils de jour destinés à des patients assez atteints de la maladie d’Alzheimer. L’idée des japonais correspond plus à des lieux de sociabilité pour les personnes âgées. On en est très loin en France. Dans les pays du sud de l’Europe, en Scandinavie ou au Canada, ces lieux de brassage de population et de générations sont évidemment très porteurs. En France il y a une stigmatisation très précise des vieillards. Les vieillards eux-mêmes sont phobiques des autres vieillards. Ils ont horreur de se retrouver à faire par exemple de la pâtisserie avec des gens dont la moyenne d’âge sera de 85 ans. Cette idée de brassage générationnelle, de mettre en place des situations où des expériences sont transmises, de voir même ce qui se fait un peu en France, où on mélange parfois des crèches et des maisons de retraites, c’est quelque chose d’assez porteur.

Etes vous pour la mise en place d’un service de recherche et secours, auprès des individus, afin que soient détectés les patients atteints et de pouvoir les inciter à souscrire à cette assurance que l’on évoquait plus tôt ?

Le dépistage de masse n’est pas une bonne idée car il doit se faire au niveau médical. Par contre si l’on évoque une communication très grand public sur certains symptômes qui peuvent apparaître, qu’ils soient psychiques ou intellectuels et qui peuvent être gênants, ou suscitant une attention particulière de quelqu’un qui n’est pas spécialisé et qui peut être révélateur d’une maladie neurodégénérative, c’est très intéressant. De là à former les gens, ca me paraît peu probable. Par exemple dans le champ de la prévention du suicide il y a un programme gouvernemental qui s’appelle Mona Lisa. Il porte sur l’implication massive de bénévoles sociaux dans la prévention de la souffrance psychique et des suicides chez les personnes âgées. Etre solidaire se fait. Par contre de là à aller demander à votre voisin « quel jour on est ? » ou quel âge il a, ça serait quand même très intrusif. Ce n’est pas très réaliste.
Je pense que c’est très japonais. C’est intimement lié à leur société, leurs valeurs. Au Japon, c’est le plus souvent la communauté qui tient une place majeure alors qu’en France c’est l’inverse. C’est en relation directe avec la place de la société traditionnelle japonaise. L’individu n’est pas considéré en tant que tel dans ce pays où c’est l’entreprise, l’école qui est au premier chef. On fait passer la bonne dynamique de l’entreprise avant l’individu. En France cela donnerait des tollés de protestations et d’indignations.

Aucune des mesures que l’on vient de voir n’est vraiment effective en France ?

Il y a plein de choses qui sont faites en France mais qui restent extrêmement embryonnaires. Tout ce que l’on vient d’évoquer a été fait mais de manière un peu pointilliste et en total décalage avec les enjeux démographiques, politiques et économiques majeurs qui se profilent avec le vieillissement de la population. On a conscience du fléau, mais il y a un monde d’écart entre en avoir conscience et s’inscrire réellement dans la réalité d’une action de financement de choix politiques forts pour ça. Par contre leur communication est très forte sur la présence des seniors, les préventions et les rappels faits de la canicule et autres dangers.

Mais pour des raisons de choix sociétaux, ce ne sont pas des mesures qui ont été prises. C’est un propos qui est bien évidemment à moduler parce que dans le champ du dégénératif, il y a quand même un certain nombre de choses qui ont été faites.  C’est en ce qui concerne la souffrance psychique, la dépression, que la situation est dramatique. Rien n’a été fait.

Avez vous des idées de mesure qui devraient être mise en place ?

Le plus important reste de se préoccuper du taux de suicide. Le problème est qu’un tel focus a été mis en place sur la maladie d’Alzheimer, que dès qu’on vieillit, on a peur de développer des maladies neurodégénératives. C’est plus compliqué que ca, il y a beaucoup de situations de personnes qui vieillissent durablement sans maladie. On retrouve aussi beaucoup de souffrances liées à l’âge, des souffrances psychologiques, la dépression, l’anxiété, ou la solitude. Elles ne sont pas prises en compte à leur juste valeur. Certains patients brandissent le symptôme d’une maladie neurodégénérative simplement pour être écoutés car le focus a été fait sur le vieillissement, qui ne se résume pas à la maladie d’Alzheimer. En empruntant cette voie, on élude la place des politiques et des sociétés. On médicalise le vieillissement. On a relégué ça à la médecine, alors qu’il y a peut être des ajustements sociétaux et politiques qui doivent être faits. Au delà de 85 ans, il n’y a que 20 % des individus qui sont atteints de la maladie d’Alzheimer en France. 

Tristan Lochon 

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