L'union nationale, ce fantasme qui cache la mort du politique<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
L'union nationale, ce fantasme qui cache la mort du politique
©

L'union (ne) fait (pas) la force

Les Français seraient favorables à 55 % à un gouvernement d'union nationale après l'élection de 2012, selon un sondage CSA. François Bayrou ou Dominique de Villepin défendent également cette idée. Mais n'est-elle pas dangereuse pour la démocratie ?

Serge Berstein

Serge Berstein

Serge Berstein est un historien français du politique. Docteur ès lettres, il enseigne à l'Institut d'études politiques de Paris. Membre des conseils scientifiques de la Fondation Charles de Gaulle et de l'Institut François-Mitterrand, il est  également l'auteur de nombreux ouvrages.

Voir la bio »

Atlantico : 55% des Français se montreraient favorables à un gouvernement d’union nationale en 2012, selon un sondage CSA publié ce jeudi. Pourquoi cette idée suscite-t-elle un tel engouement ?

Serge Berstein : Deux éléments doivent être pris en compte. Le premier correspond au goût d’une assez grande fraction de l’opinion publique pour le fait que tous les politiques travaillent ensemble dans l’intérêt de la communauté nationale. Cette idée a déjà séduit par le passé, et il est surprenant de voir que l’opinion publique a été très favorable aux périodes de cohabitation, pourtant rejetées par la classe politique. La cohabitation implique une collaboration minimale entre deux mouvances politiques. Celle-ci a mené vers une évolution du débat politique, où l’on s’est aperçu de la convergence d’action de partis idéologiquement opposés. Les Français ont donc un goût pour l’union des compétences politiques.

La deuxième réponse est la prise de conscience, dans l’opinion publique, que la crise est suffisamment grave pour devoir mettre entre parenthèses les oppositions idéologiques, personnelles…, et que tout le monde tire dans le même sens pour aider la nation à surmonter l’obstacle.

C’est une idée qui a déjà été mise en pratique, au cours de l’Histoire, dans des périodes difficiles. L’exemple le plus évident était la guerre de 1914, quand Raymond Poincaré a demandé l’Union sacrée. Elle a bien fonctionné durant trois ans… Mais tout dépend de ce qu’on entend par union nationale.

Justement, à quoi correspond dans la pratique un gouvernement d’union nationale ?

C’est une entente de partis rivaux électoralement. Toutes les forces politiques n’y figurent pas nécessairement. C’est un concept assez largement contraire au principe même de la démocratie. Ce dernier implique le débat d’idées, de solutions opposées. Théoriquement, en démocratie, l’élection est là pour trancher entre des vues a priori contradictoires sur la façon de mener la politique de la nation.

Parce que la démocratie suppose l’existence d’une opposition, l’union nationale en génère de nouvelles, qui vont jouer contre les forces politiques associées dans cette union. L’Union sacrée de 1914 a réuni presque toutes les forces de l’échiquier politique. Sauf qu’au bout d’un moment, à gauche en particulier, on s’est aperçu que l’Union sacrée reprenait quelque peu les thèmes du nationalisme français, aux dépens de ceux que défendaient une partie de la gauche. On vit ainsi naître chez les socialistes une opposition à la direction du parti acceptant l’union nationale, et qui donna naissance au communisme, et donc à une opposition de type différent, rejetant tous les partis qui constituaient l’union.  

D’après l’exemple historique de 1914, l’union nationale ne peut fonctionner que provisoirement, lorsqu’une situation grave l’impose. Aujourd’hui, elle ne pourrait donc être viable ?

Elle serait d’autant moins viable que nous sommes dans une période électorale. Par conséquent, faire une union nationale signifie, pour ceux qui s’opposent à Nicolas Sarkozy, accepter de se bâillonner et de suivre l’actuel gouvernement. C’est un suicide électoral pour l’opposition. C’est probablement la dernière chose que l’on peut attendre aujourd’hui. L’idée que met donc en avant le gouvernement, par exemple à propos de la règle d’or, est d’obtenir, comme en Italie ou en Espagne, une réponse générale et positive sur les solutions proposées, permettant d’avancer. Mais l’union nationale est une trêve du débat politique, qui se termine par une sorte de gouvernement où l’opposition entre pour aider la majorité en place à atteindre une issue positive.

Cela s’est produit en Angleterre en 1931, mais l’union n’a évidemment pas tenu très longtemps.

C’est donc illusoire dans une campagne électorale. On voit d’ailleurs que les politiques français qui se disent favorables à une telle idée sont François Bayrou et Dominique de Villepin, deux candidats qui reviennent de loin politiquement. L’union nationale serait-elle le simple rêve d'outsiders ?

Oui, c’est une formule réaliste. Une union nationale se ferait en écornant les éléments les plus politiquement significatifs des forces politiques en présence. Il est évident que ces deux hommes l’intègreraient sans difficulté, mais ce serait au prix de ce qu’attend le PS des prochaines élections (présidentielles et législatives), à savoir renverser la majorité. Le bénéfice reviendrait donc aux instigateurs, en l’occurrence l’actuelle majorité. En outre, on est sûr qu’une telle union alimenterait l’opposition apportée par le Front national et le Front de gauche…

Le problème est de savoir jusqu’à quel point la gravité de la crise peut forcer une situation de ce type. Néanmoins l’opinion publique la verrait certainement d’un très bon œil.

L'union nationale constituerait-elle du pain béni pour le Front national ou les partis d’extrême-gauche qui seraient les seuls partis sans doute écartés du gouvernement ?

Certainement. La cohabitation, par exemple, nourrit le Front national en lui permettant de se présenter comme la voix des sans voix, de ceux qui ne sont pas représentés, entre une gauche modérée et une droite républicaine.

Que l’opinion publique la soutienne, j’en suis convaincu. Mais la dangerosité d’une telle idée semble non moins vraie : elle aboutirait sur une anesthésie du débat démocratique.

Peut-être que les électeurs du Front national ou d’extrême gauche voient leurs partis présents dans une hypothétique  union nationale… Mais ce serait douteux. Un tel gouvernement, s’il était mis en place, engloberait l’UMP, le PS, ainsi que quelques centristes « récupérables » comme Hervé Morin ou François Bayrou. Le périmètre est circonscrit à cette partie, large mais centrale, de l’électorat. Par la suite, l’audience des partis composant cette réunion d’idées s’amenuiserait gravement pour les échéances électorales suivantes, et fragiliserait le système politique actuel.

Propos recueillis par Romain de Lacoste

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !