Xavier Bertrand : "Le Front National fait semblant d'être un parti normalisé, c'est faux, il y a toujours la même violence"<!-- --> | Atlantico.fr
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Xavier Bertrand.
Xavier Bertrand.
©Reuters

Grand entretien

En pleine campagne pour les régionales en Nord-Pas-de-Calais-Picardie, le candidat Les Républicains explique pourquoi cette élection est la plus dure de sa vie. Il revient par ailleurs sur la nécessité d'une "offensive Républicaine" en réponse aux attentats, composée entre autre par le rétablissement du service militaire.

Xavier Bertrand

Xavier Bertrand

Xavier Bertrand est Président de la Région Hauts-de-France et Président de Nous France.

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Atlantico : Nous sommes à une semaine du premier tour. Comment vous sentez-vous ? Inquiet ? Plein d’espoir ?

Xavier Bertrand : Je suis totalement concentré sur la campagne et convaincu qu'au final ce sera un résultat très serré. J'en ai toujours eu la conviction. J'ai toujours su que le FN était favori, je le sais depuis les élections européennes de mai 2014, et c'est d'ailleurs aussi parce que c'est difficile que je me suis engagé. Ce n'est pas la seule raison mais c’en est une. Et contrairement à ce que disent les sondages. je sais que la victoire est possible

Selon un récent sondage, Marine Le Pen obtiendrait 40% au premier tour et vous 26%. En cas de triangulaire elle l'emporterait avec 41% des voix…

Et aux dernières élections départementales, l'Aisne devait basculer au Front National, et ça ne s’est pas passé comme ça…

Mais si les sondages avaient raison, si Marine Le Pen faisait un score important, certains au PS dont l'actuel président du conseil régional, vous proposent de fusionner vos deux listes afin d'éviter que la région ne tombe dans l’escarcelle du FN. Pourquoi refuser ?

C'est Manuel Valls qui a agité cette idée, qui a été rejetée par tout le monde, sauf par Madame le Pen qui s'en est fait l'écho car cela lui permettait de profiter de la confusion.

A l'heure où les Français demandent un gouvernement d’union nationale, ne serait-ce pas un bon signe à leur adresser ?

Ma réponse est non. Mes listes et mon programme seront les mêmes au premier et au deuxième tour parce que je crois à la clarté en politique, je crois aux convictions. Mon projet a une cohérence, je ne vais pas faire alliance avec des gens qui ne croient pas à mon projet, qui ne me permettront pas par exemple de proposer une exonération des charges pour tout nouvel emploi créé dans la région. Je ne veux pas faire alliance avec des élus qui ne voudront ni de vidéo-surveillance ni des formations que je veux proposer aux mairies qui équiperont en armement leur police municipale. Je ne veux pas appliquer qu'une seule partie de mon programme, je veux appliquer tout mon programme. Il n'est donc pas question de marchander quoi que ce soit. Les magouilles et les manœuvres du style IVeme république, ce n’est pas mon genre, et c'est aussi cela que les Français ne supportent plus

Quelle sera votre première action comme président de la région si vous êtes élu ?

Ce sera le lancement de l'opération "Proche emploi" afin de trouver, dans les 10 mois, une solution pour la moitié des 120 000 emplois disponibles dans la région mais qui n'ont jamais trouvé preneur. Pour pourvoir ces 60 000 emplois il faut mener une action totalement décentralisée, bassin d'emploi par bassin d'emploi, afin de mettre en relation demandeurs d'emploi et employeurs. Si Pôle Emploi veut travailler avec moi, tant mieux, sinon j'organiserai les choses à ma façon. Je mettrai aussi en place une aide financière pour ceux qui travaillent et qui ont besoin d'une voiture pour aller travailler, pour ceux qui travaillent et qui font garder leurs enfants. Je sais que c'est une dépense nouvelle pour la Région, mais cet argent je le retrouverai dans l'économie régionale. La Région prendra aussi en charge une partie des charges sociales patronales pour tout nouvel emploi créé.

Et pour les personnes âgées qui ont été durement touchées par les hausses d’impôt, je mettrai en place une mutuelle régionale pour diminuer le coût de la mutuelle et mieux rembourser les dépenses dentaires, optiques et prothèses audio.

Vous dites être l'ennemi n°1 de Marine Le Pen, pourquoi ?

Avec Natacha Bouchart et Gérald Darmanin, par exemple, nous incarnons une droite rassembleuse, populaire, qui apporte des solutions aux problèmes concrets des gens, et qui, pour cette raison, empêche le FN de prospérer.

En 2012, aux législatives, Mme Le Pen avait appelé à voter PS pour me faire battre. Sans y parvenir. Il s'est passé la même chose aux élections cantonales : nos candidats, des vrais candidats de proximité, ont su trouver la confiance des électeurs et empêcher que le département ne bascule au FN, comme l'annonçaient pourtant tous les sondages.

Quand on veut on peut proposer des solutions concrètes aux problèmes concrets de nos concitoyens, quand on veut, on peut sortir du déclin une région comme la nôtre.

C’est un sacré challenge d’affronter Marine Le Pen dans une région qui lui est favorable. Diriez-vous que ça a été la campagne la plus dure de votre vie ?

Oui, la plus dure mais pas pour les raisons que l'on croit. Pas parce qu'il y a eu des attaques personnelles, pas parce que j'ai retrouvé les sales méthodes de l'extrême-droite, sa violence, ses mensonges et ses amalgames. Le Front National fait semblant d'être un parti normalisé, c'est faux, il y a toujours la même violence mais j’avais déjà connu cela de leur part. Ce qui rend les choses dures c'est que parmi toutes les personnes que j’ai rencontrées, peut-être 100.000 depuis le début de l’année, il y en a beaucoup qui ne croient plus en rien, qui pensent que la politique n’est plus capable de les aider, d'apporter des solutions à leurs problèmes. Il y en a même qui ne veulent même plus du tout entendre parler de politique. Or quand vous voulez leur parler projet, leur montrer que vous êtes sincère et qu’on ne veut même plus vous écouter, c'est cela qui est dur. Ils sont tentés de faire payer la facture de ces quarante dernières années à ceux qui se présentent aujourd’hui.

Je n'ai jamais été président de la République, j'ai été ministre, je le sais, ça n'est pas pour autant que je suis comptable des quarante années qui viennent de s'écouler. Ce qui est dur, c’est cette impossibilité de communiquer avec ceux qui pensent que la politique ne sert plus à rien, que les hommes et les femmes politiques ne pensent pas aux gens et qu'ils ne s’occupent pas d'eux. J'ai rencontré, durant cette campagne, de nombreuses personnes qui m'ont dit : on n'a pas de travail, on n'arrive pas à s'en sortir. Mais j'en ai rencontré d'autres qui avaient un travail et ne s'en sortaient pas non plus. A ceux-là, la politique nationale n'apporte aucune réponse. Dans le passé, il y a eu les heures supplémentaires et le minimum vieillesse. Aujourd'hui, la politique a les yeux rivés sur la ligne bleue du déficit budgétaire. C'est bien mais on n'apporte plus aucune réponse à ceux qui disent : on travaille mais on n'y arrive plus. Même la promesse du travail n'est plus la garantie de vivre mieux. Ce cri d'angoisse je l'ai entendu mais je n'ai pas l'impression qu'il soit parvenu jusqu’à Paris, or c'est l'une des clés de l'élection, mais aussi la clé de la prochaine présidentielle. Si on fait 100 euros d'économie, il faut aussi consacrer une partie de cette somme à l'investissement et à l'amélioration de la vie des gens. Il ne s'agit pas de mourir (économiquement et socialement) guéri (budgétairement).

Est-ce que les gens ont reconsidéré l'utilité du politique depuis les attentats ?

Nous avons été touchés dans notre chair et la menace est encore très forte. Les gens se demandent si les politiques vont être à la hauteur, s'ils vont savoir les protéger. C'est la raison pour laquelle je voterai toutes les mesures qui protégeront les Français. Je le ferai sans hésiter car je pense que la petite politique – qui finira bien par reprendre ses droits, hélas - ne doit pas avoir sa place face aux défis du terrorisme.

Dans quel état d'esprit trouvez-vous les gens que vous rencontrez depuis ce 13 novembre ? On dit les gens de province encore plus choqués que les Parisiens, est-ce vrai ?

La différence ne se fait pas forcément entre province et Paris mais entre grandes villes et campagnes. Dans le monde rural, les gens se disent qu'ils sont sans doute moins exposés mais que l'on ne s'occupe pas assez d'eux, qu’il n'y en a que pour les grandes agglomérations. Un maire, lors d’une réunion avec le préfet, posait la question de la sécurité lors d’un concours de belote. Il ne faut pas le prendre en souriant et considérer sa remarque comme secondaire, parce que pour les habitants de sa commune, c’est essentiel.

Que leur avez-vous dit depuis ce 13 novembre, quel message avez-vous tenu à faire passer aux gens que vous avez rencontrés ?

J'ai expliqué que le projet que je porte est équilibré autour de deux grands thèmes : le travail et la restauration de l'autorité et de la sécurité. C'était déjà dans le livre projet que j’ai écrit cet été, tout comme le rétablissement du service militaire que je défends depuis longtemps. J'ai même déposé une proposition de loi sur le sujet il y a un an, après les attentats de Charlie Hebdo. Je prônais déjà l'idée d'une offensive républicaine. Depuis le début de ma campagne, je répétais : "Je crains qu'il faille un attentat sanglant pour que l'on se décide à prendre les mesures qui s'imposent". J'aurai préféré avoir eu tort. Mais désormais, l'enjeu n'est pas de dire ce qu’il aurait fallu faire, mais de savoir ce qu'il convient de faire aujourd'hui et demain.

Votre parti, les Républicains, a eu du mal à trouver le ton juste entre un gouvernement assumant un virage sécuritaire et un FN réceptacle naturel des peurs qui ont pu jaillir depuis le 13...

Le FN n'est pas le réceptacle naturel. Il exploite la colère et les peurs, ça oui, mais pour être un réceptacle il faudrait être capable de protéger les Français. Or le FN est aux antipodes de cela : le FN n'a pas voté la loi sur le renseignement, le FN a fait partie de ceux qui ont bloqué le PNR (Passenger Name Record, ce fameux fichier européen des passagers aériens NDLR). Lorsqu'il a fallu protéger les Français, le FN n'a pas voulu le faire. Pourquoi ? Parce que le FN, et il ne faut pas l'oublier, reste un parti d’extrême droite qui se méfie du rôle de l’État, même quand l’État peut protéger.

Le lien qui a pu être fait entre immigration et terrorisme a quand-même contribué à leur apporter des voix...

C'est vrai, les vagues migratoires très importantes que l'on a connues durant la campagne ont fait peur à nos concitoyens et Angela Merkel porte une lourde responsabilité. Sa volte-face sur l’accueil des migrants auquel elle commença par ouvrir les bras pour des raisons économiques avant de se raviser devant l'ampleur du phénomène, a été une publicité géante pour le FN, qui quant à lui ne propose aucune solution concrète pour résoudre cette question.

Quant à votre parti, il semble inaudible. Est-ce pour ça que vous n'avez pas voulu du soutien de Nicolas Sarkozy ?

Je n'ai demandé à aucun ténor du parti de venir me soutenir car c'est une campagne entre gens de la région. Les seuls a qui j'ai demandé de venir ce sont Gérard Larcher et François Baroin -même si j'ai un désaccord avec l’AMF sur la question des crèches de Noël, que je veux maintenir-, pour les associer à des réunions de travail avec les élus locaux.

Quel désaccords avez-vous avec François Baroin, vous n'avez pas apprécié qu'il demande aux maires de ne pas installer de crèches dans les mairies ?

Je n'appliquerai pas les recommandations de l'AMF. Ce ne sont pas les crèches de Noël dans les mairies qui sont une menace pour la France, ce sont les terroristes. La France est un pays laïc, de tradition chrétienne. On ne va pas revenir là-dessus, on n'a pas à s'excuser de cela bien au contraire, nous devons être fiers de nos racines. Par ailleurs, je suis attaché à la laïcité, et même à son renforcement, lorsqu'il s'agit de défendre l'égalité homme femme, et notamment en entreprise.

Vous avez fait campagne sur le thème de l’emploi...

Sur le travail ! La différence est importante car le retour à l'emploi ne suffit pas. La question est aussi de donner du sens au travail, de récompenser le travail, et donc de penser aussi à ceux qui travaillent et qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts. Je ne suis pas seulement sur la question des chiffres du chômage dans ma région, je veux apporter une réponse à ce qu'est le travail aujourd’hui : comment peut-il garantir la promotion sociale ? Cette campagne m'a montré que la politique nationale était maintenant complètement déconnectée de ces questions-là.

Emmanuel Macron a été fortement critiqué dans son propre parti pour avoir dit qu'au-delà des questions de sécurité et de la question de l’islam, le terrorisme trouvait ses racines dans un terreau, celui de la défiance envers l’État qui ne tient plus sa promesse d’offrir à chacun la possibilité d'une ascension sociale. Partagez-vous ce point de vue ?

Je ne comprends pas la polémique que ces propos ont suscitée, notre priorité est d’arrêter les terroristes et on s'invente de faux débats. Je pense que monsieur Macron ne cherchait pas d’excuse sociale ou culturelle au terrorisme. Après, que chacun essaie de comprendre comment nous en sommes arrivés-là, c’est normal. C'est aussi le sens du discours de Nicolas Sarkozy en Alsace. Ce qui est vrai, c'est que la seule sécurité n’est pas la réponse à tout. Quand je parle d'une offensive républicaine indispensable, cela signifie apporter des solutions concrètes aux problèmes que nous rencontrons. Et la réponse c’est l’éducation, la culture, la laïcité, la fierté d'appartenir à une nation grâce au rétablissement du service national pour filles et garçons, et l’emploi bien sûr. Mais rien n'excuse le passage vers le terrorisme.

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