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"Mein Kampf, histoire d'un livre": comment le brûlot antisémite de Hitler fait toujours aujourd'hui figure de véritable best-seller mondial
©Reuters

Bonnes feuilles

C'est un des livres politiques les plus vendus de tous les temps. Un des plus terrifiants aussi. Diffusé à 12 millions d'exemplaires en Allemagne, à des centaines de milliers dans une vingtaine de pays avant 1945, Mein Kampf se vend, aujourd'hui encore, dans le monde entier, y compris en France. Extrait de "Mein Kampf, histoire d'un livre", de Antoine Vitkine, publié chez Flammarion (1/2).

 Antoine  Vitkine

Antoine Vitkine

Antoine Vitkine, né en 1977, est un journaliste et écrivain français. Il est également réalisateur de documentaires français.Il est diplômé de Sciences Po et titulaire d'un DEA de relations internationales.Il a réalisé une quinzaine de films documentaires pour Arte, Canal Plus, etc... Parmi lesquels: "Mein Kampf, c'était écrit", "Les esclaves oubliés", "Dati l'ambitieuse"... Il a également travaillé pour France 2 et l'INA.En 2005, il est l'auteur d'un essai intitulé les Nouveaux imposteurs, traitant des théories du complot, depuis le 11 septembre 2001. En 2006, il publie La Tentation de la défaite, un ouvrage de politique-fiction sur l'islamisme radical et la politique étrangère française.

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Malgré, au fil du temps, les efforts des Bavarois, Mein Kampf est aujourd’hui publié et vendu à travers la planète, que cela soit sous des formes intégrales ou abrégées : Grèce, Chine, Bulgarie, Japon, Croatie, Russie, Nouvelle-Zélande, Corée du Sud, Australie, Italie, Inde, Turquie, Finlande, Indonésie, Colombie, Pays-Bas, Maroc, Danemark, Argentine, Brésil, Espagne sont quelques-uns des pays où on trouve Mein Kampf en librairie.

Il n’empêche que, au cours des dernières années, l’État de Bavière a été régulièrement interpellé par les ambassades allemandes. Le ministère des Finances est parvenu, par un recours aux tribunaux ou par des interventions diplomatiques, à faire retirer Mein Kampf de la vente en Russie (1992), au Portugal (1998), en République tchèque (2000), après que l’éditeur y eut tout de même écoulé plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires, en Pologne (2005) et plus récemment en Turquie. Dans aucun de ces cas, les éditeurs n’étaient connus pour publier exclusivement de la littérature néonazie : du Portugais Hugin au Tchèque Zitko, il s’agissait d’éditeurs classiques. L’éditeur polonais XXL poursuivait même un objectif ouvertement pédagogique et publiait en même temps Le Petit Livre rouge de Mao. En Suède, les Bavarois connurent en revanche une déconvenue et durent céder à l’issue d’un bras de fer avec l’éditeur local en 1998 : la Cour suprême de Suède avait refusé de reconnaître les droits de la Bavière sur le texte.

>>>>>>>>>>> A lire également : "Mein Kampf, histoire d'un livre" : qui sont ceux qui achètent (et parfois plébiscitent) encore par milliers le brûlot antisémite de Hitler ?

Si, en Allemagne, l’action du ministère peut se comprendre par la nécessité de tenir symboliquement à distance la « bible nazie », son action internationale prête nettement plus à interrogations. On pourrait penser que le livre appartient à toutes les nations, puisqu’elles ont généralement souffert de ses effets ; charge à elles de décider ce qu’il faut en faire, en fonction de leurs propres lois et principes. Tel n’est pas l’avis de Bernd Schreiber, qui, en 2007, se félicitait des succès remportés par son équipe. Quant à trouver cette politique étrange, comme je le lui faisais remarquer, il la jugeait au contraire « cruciale » et avait recours à une métaphore pour la justifier : « Même s’il s’agit d’une comparaison délicate, une personne qui compose une oeuvre ou une pièce de musique se réserve le droit de décider où et par qui ses pièces sont représentées. C’est la même chose dans le cas de Mein Kampf 1. »

Hors des frontières de l’Allemagne ou de l’Autriche, la politique de la Bavière fut d’une efficacité limitée. Malgré l’interdiction décrétée, Mein Kampf n’a disparu ni au Portugal, ni aux Pays-Bas, ni en République tchèque, ni en Pologne. Il est seulement condamné à une clandestinité relative, car les justices se montrent souvent clémentes à l’égard des libraires contrevenants. Ce débat trouve, de toute manière, sa conclusion. L’entrée de Mein Kampf dans le domaine public entraîne mécaniquement la fin de la possession des droits d’auteur par l’État de Bavière et la fin de sa capacité à agir su r le plan international.

Le cas russe est différent : on n’y compte pas moins de trois éditions publiées ces dernières années et le livre devient un des objets de ralliement d’une extrême droite florissante ; ainsi, le Parlement s’est décidé à l’interdire. Sans zèle toutefois : le livre fut exposé à la Foire du livre de Moscou en 2007 sans que les autorités y aient trouvé quelque chose à redire – l’éditeur fut même récompensé du prix du « jeune entrepreneur de l’année ». Bien que ce pays ait souffert du nazisme, les propos de Hitler sur le marxisme juif qui aurait tenu l’URSS sous sa coupe rencontrent en effet un lectorat attentif. En Ukraine, où il est officiellement prohibé, le livre figure en bonne place sur les stands, pendant les meetings du congrès des nationalistes ukrainiens, influente formation d’extrême droite. Le livre symbolise le combat contre les Russes, mais aussi contre les Juifs, puisque les nazis étaient leurs ennemis. Dans une Europe postcommuniste encore mal arrimée à la démocratie, les remugles d’un passé manipulé par des minorités agissantes se font sentir.

Ainsi, dans une majorité d’États, Mein Kampf est légal au regard du droit local. C’est par exemple le cas en Italie, où il a fait l’objet de plusieurs rééditions depuis la fin de la guerre. Un éditeur universitaire, Napoleone, en propose même une édition abrégée à un prix modique. Dans le sud du pays, épargné par les drames de l’occupation allemande, le livre connaît même un regain d’intérêt, dans un contexte de renforcement de l’extrême droite et de ses idées. Mein Kampf et son auteur sont toutefois bien moins populaires que leur éditeur d’autrefois, Benito Mussolini 2. Celui-ci continue de jouir d’une image relativement positive dans une partie de la population italienne 3. Profondément, cette popularité du Duce est rendue possible parce que le tournant radical du régime fasciste, symbolisé par la mise en place des lois raciales de 1938 calquées sur le modèle allemand, est souvent minoré, voire ignoré. Ainsi l’historien Giorgio Fabre, en publiant en 2004 son ouvrage sur l’édition italienne de Mein Kampf, dans lequel il apportait un éclairage nouveau sur le tournant antisémite du régime, a-t-il suscité maintes polémiques : « Lorsque vous commencez à investiguer sur ce sujet, vous rencontrez de considérables problèmes. Une partie des élites a entièrement falsifié la réalité après la guerre et continué jusqu’à aujourd’hui à méconnaître les réalités de la collaboration entre Mussolini et Hitler, à refuser de clarifier les liens idéologiques entre le fascisme et le nazisme 4. »

Dans tous les cas, les chiffres de vente ne sont jamais très élevés – de quelques centaines à quelques milliers d’exemplaires chaque année, au mieux. Mais, à l’échelle mondiale, si l’on cumule ces chiffres depuis des décennies, Mein Kampf fait figure de véritable best-seller. Selon le magazine new-yorkais Cabinet, il s’en vendrait ainsi 20 000, année après année, en version anglaise. Si, pure hypothèse, l’on considère que ce chiffre est à peu près stable, on peut donc estimer que les éditions anglophones se sont écoulées à environ 1,2 million d’exemplaires depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Extrait de "Mein Kampf, histoire d'un livre", de Antoine Vitkine, publié chez Flammarion, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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