Rapport Collombat : la France malade de ses préfets<!-- --> | Atlantico.fr
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La préfecture du Lot.
La préfecture du Lot.
©Reuters

Dérives

Dans un rapport annexé au projet de loi de finances pour 2016, Pierre-Yves Collombat, sénateur, met en lumière les dérives du corps préfectoral malgré le décret de mai 2015. Si les préfets ont pour mission de représenter l'Etat, ils sont aussi le relais du gouvernement.

Pierre Monzani

Pierre Monzani

Pierre Monzani est préfet, Directeur général au sein de l'Assemblée des départements de France.

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Le texte du parlementaire Pierre-Yves Collombat fait écho au rapport sur le sujet de la Cour des comptes de 2014, tout aussi sévère à l'égard des préfets. Quel est l'état de santé du corps préfectoral aujourd'hui en France ?

Éric Verhaeghe : Paradoxal! D'un côté, la décentralisation ne cesse de progresser depuis 1983. Plus le temps passe, plus le volume de missions confiées aux collectivités locales augmente, et plus celles confiées à l'Etat diminuent. La logique voudrait donc que le corps préfectoral soit en réduction constante, et d'une certaine façon il l'est, en tout cas facialement. Le rôle des services de l'Etat ne cesse de se réduire localement, comme celui des Douanes avec la suppression des frontières, ou celui de l'administration de l'agriculture avec la disparition progressive des paysans. Etre préfet aujourd'hui, c'est avoir beaucoup moins de pouvoir qu'il y a quarante ans. D'un autre côté, malgré cette diminution constante du rôle du corps préfectoral, les hauts fonctionnaires qui composent ces corps ont beaucoup de mal à "lâcher le manche". Depuis 1983, l'Etat n'a cessé de multiplier les entorses à la décentralisation pour conserver, dans tous les domaines, des segments de compétences qui lui permettent de diminuer les pertes d'emploi et d'influence. Voilà pourquoi l'état du corps préfectoral est paradoxal: à la fois en repli, mais résistant.

Pierre Monzani : Mes collègues sont mobilisés au service de la sécurité des Français, menacée par une barbarie qui défie notre civilisation. Dans l’action il n’y a pas de place pour les états d’âme. Cela étant affirmé, il est évident que le corps préfectoral, dans sa partie la plus lucide, souffre d’un abaissement de l’Etat. Par rapport à cela, à cette perte de sens, les errements de gestion sont accessoires.

Comment expliquer ces dérives ? Ont-elles un lien avec la sociologie des préfets, leur formation ?

Éric Verhaeghe : Les préfets ont en réalité connu une mutation profonde de leur sociologie. Jusque dans les années 80, le corps préfectoral était dominé par des hauts fonctionnaires très ancrés dans la compétence technique et finalement assez peu politisés. Depuis les années 80, la politisation du corps s'accroît fortement. C'est d'ailleurs l'objet premier du rapport Collombat. Le sénateur souligne par exemple que, sur les 14 "primo-nominations" de préfets intervenues en 2015, seules 5 d'entre elles ont concerné des candidats ayant occupé au moins un poste de sous-préfet. Autrement dit, pour devenir préfet, il ne faut plus, comme à une certaine époque, faire ses preuves sur le terrain et préparer sa nomination en apprenant concrètement le métier. Il devient indispensable de suivre un parcours beaucoup plus politique, par exemple en passant en cabinet ministériel. C'est cette politisation qui pose problème, puisqu'elle fait le jeu des petits marquis, éloignés du terrain et de la vraie vie, et toujours à tortiller dans les allées du pouvoir, à plaire aux puissants. Cette logique de politisation aura tôt ou tard un effet inattendu. Aujourd'hui, le statut de la fonction publique se justifie par la nécessité d'éviter la politisation de la fonction publique. On voit bien qu'il est devenu inopérant.

Pierre Monzani : Il faut redonner au corps préfectoral une haute idée de sa mission et de la grandeur de celle-ci. Quand vous êtes préfet, vous ne devez jamais vous plaindre, servir est un privilège, vous devez être présent et actif dans votre département y compris les samedis et les dimanches, vous devez vous transcender pour incarner la République.

Que certains collègues oublient cette beauté du service, c’est effectivement un problème majeur, non de formation mais d’éducation. j’ai ainsi vu avec stupeur, alors que je n’étais plus en poste bien sûr, un sous-préfet en uniforme le col ouvert dans une cérémonie devant un monument aux morts. j’ai vu aussi un collègue, ou supposé tel, retirer une plaque commémorative parce qu’elle portait le nom d’un ministre de Nicolas Sarkozy. C’est indigne.


Le rapport semble regretter 128 préfets « hors poste territorial », c'est-à-dire en attente d'un vrai poste ou nommés ailleurs. Est-ce un problème de taille ?

Éric Verhaeghe : C'est surtout un symptôme de taille! Symptôme de plusieurs phénomènes. Premier phénomène, répétons-le, la politisation à outrance de la haute fonction publique. Les 128 préfets "hors poste" sont des préfets retirés du terrain et occupés à autre chose qu'à diriger une préfecture. Le ratio combinatoire est simple à comprendre: la France compte 100 départements. Il existe donc plus de préfets hors des préfectures que dans les préfectures. Le rapport sénatorial précise qu'on en compte 18 comme conseillers du gouvernement, et 24 en cabinet ministériel. Ces proportions montrent que le titre est aujourd'hui détourné de sa mission d'origine. Deuxième phénomène: c'est une nouvelle illustration de l'incapacité de l'Etat à gérer ses ressources humaines. L'Etat recrute beaucoup plus qu'il n'a besoin et crée donc, à terme, des situations de rupture. En réalité, alors que l'Etat devrait réduire ses dépenses, la politisation du corps produit un résultat inflationniste.

Pierre Monzani : Je suis d’un avis radicalement opposé, il est sain que les préfets servent en dehors du corps préfectoral. Bénéficier d’autres expériences professionnelles, c’est être capable de mieux servir ensuite car c’est la diversité de ce que l’on vit qui enrichit. C’est l’autre intérêt du  spoil system qu’il faudrait mettre en place : le corps préfectoral est un corps politique, les préfets représentent l’Etat et le gouvernement, il faut l’assumer et cela permet d’apprendre en dehors de l’Etat en cas d’alternance politique.

Mais ce qui est anormal ce sont les préfets de complaisance qui sont préfets sans avoir jamais servi sur le terrain. Pour mériter le titre de préfet il faut avoir fait ses armes et non pas se servir, parfois avec désinvolture, d’un titre honorifique désincarné et usurpé.Je suis d’un avis radicalement opposé, il est sain que les préfets servent en dehors du corps préfectoral. Bénéficier d’autres expériences professionnelles, c’est être capable de mieux servir ensuite car c’est la diversité de ce que l’on vit qui enrichit. C’est l’autre intérêt du  spoil system qu’il faudrait mettre en place : le corps préfectoral est un corps politique, les préfets représentent l’Etat et le gouvernement, il faut l’assumer et cela permet d’apprendre en dehors de l’Etat en cas d’alternance politique.

Mais ce qui est anormal ce sont les préfets de complaisance qui sont préfets sans avoir jamais servi sur le terrain. Pour mériter le titre de préfet il faut avoir fait ses armes et non pas se servir, parfois avec désinvolture, d’un titre honorifique désincarné et usurpé.

Quid de la rotation des préfets. Le rapport de la Cour des comptes explique que l'affectation a diminué, passant de 3 à 2 ans. Dans quelle mesure cela peut-il nuire à la continuité des politiques publiques ?

Éric Verhaeghe : La rotation rapide souligne bien que le rôle d'un préfet est de moins en moins technique et de plus en plus politique, et singulièrement policier. Plus personne n'attend d'un préfet qu'il connaisse les dossiers techniques du département où il est nommé. Ce rôle-là est confié aux sous-fifres. Le préfet doit gérer les relations avec le gouvernement, organiser les visites officielles et commander la police. La rotation accélérée des préfets est donc synonyme d'un appauvrissement des fonctions et d'une absence grandissante de l'Etat dans les logiques de développement territorial.

Pierre Monzani : Dans un mode qui va vite, l’Etat doit prendre de la hauteur. Pour le chef de l’Etat le quinquennat est une stupidité, on ne réduit pas l’ampleur d’une clef de voute sans menacer la cathédrale. De même pour les représentants de l’Etat, on doit privilégier une logique de mission et non un conformisme de carrière, et deux ans c’est évidemment trop court.

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