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Crise : et la parole politique devint un champ de mines...
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Les mots qui brûlent

Jamais les dirigeants politiques n'avaient subi autant de pression pour maîtriser leurs mots afin d'éviter les soubresauts brutaux des marchés dans un univers d'hypercommunication instantanée et mondialisée.

Olivier Babeau

Olivier Babeau

Olivier Babeau est essayiste et professeur à l’université de Bordeaux. Il s'intéresse aux dynamiques concurrentielles liées au numérique. Parmi ses publications:   Le management expliqué par l'art (2013, Ellipses), et La nouvelle ferme des animaux (éd. Les Belles Lettres, 2016), L'horreur politique (éd. Les Belles Lettres, 2017) et Eloge de l'hypocrisie d'Olivier Babeau (éd. du Cerf).

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Les mots ne sont pas de simples codes permettant l’échange d’information, ils ont un véritable pouvoir sur le monde réel. Les économistes, sociologues et linguistes ont décrit depuis longtemps cette force « performative » du verbe qui peut déclencher des phénomènes dits de prophéties auto-réalisatrices.

Les professionnels du marché immobilier ont bien compris qu’annoncer à cor et à cri la montée future des prix aura précisément pour effet de faire monter les prix — les exigences des vendeurs s’élèvent et les acheteurs seront plus nombreux car ils voudront acheter avant la hausse.

Ce genre de phénomène est vieux comme la société. Qu’on se souvienne de Laïos à qui une prophétie prévoyait que son fils Œdipe le tuerait et épouserait sa propre mère ; c’est en y réagissant pour l’éviter qu’il a entrainé l’exacte réalisation de la prédiction.

Aujourd’hui que le monde est entré dans une ère d’hypercommunication caractérisée par la diffusion instantanée des discours, ces effets se constatent à grande échelle. Plus l’auditoire d’un discours est vaste, plus les conséquences possibles sont immenses. Nos dirigeants politiques, à qui tous les micros sont tendus, sont ainsi dotés d’une arme surpuissante que, faute de formation adéquate, ils maîtrisent souvent mal. On pourrait multiplier les exemples de ces paroles malheureuses qui enflamment l’économie et coûtent des milliards.

Quand le Premier ministre François Fillon déclare en 2010 qu’il « ne voit que des bonnes nouvelles dans la parité de l’euro », le terme de parité est traduit trop rapidement par un faux ami : « parity ». Quelques minutes plus tard, les marchés font chuter l’euro à 1,20 dollar, son plus bas niveau depuis 2006, persuadés à tort que la France vient d’annoncer qu’elle souhaite que le taux de change euro-dollars soit de un pour un… Trois ans plus tôt, la phrase du même « je suis à la tête d’un Etat en faillite » avait créé un psychodrame politco-économique dont chacun se souvient… On se prend à penser qu’une telle phrase prononcée aujourd’hui pourrait suffire à dégrader la note de la France.

Mais le plus bel exemple reste les gaffes à répétition de Christine Lagarde qui a fait  preuve à plusieurs reprises d’une étonnante légèreté. En annonçant début septembre que les banques européennes avaient besoin d’une « recapitalisation urgente », la directrice du FMI s’est rendue en partie responsable du plongeon des valeurs bancaires françaises — la Société Générale perdant par exemple 27,6% en quelques séances !

Quand, mi-septembre, la même multiplie les annonces évoquant, le « risque de cercle vicieux entre la dette souveraine, le financement des banques et la croissance négative », elle rend ledit cercle vicieux plus probable que jamais ! Si les banques sont furieuses des déclarations de l’ancienne ministre de l’Economie, c’est qu’elles savent que de tels propos, pour le coup, peuvent réellement les fragiliser. Les banques reposent plus que les autres entreprises sur la confiance. L’économie elle-même n’est d’ailleurs qu’un édifice bâti sur la confiance : celle des producteurs en la demande à venir, celle des consommateurs en leurs ressources futures, celle des créanciers en la capacité des débiteurs à rembourser… Or il n’est rien de plus fragile que la confiance, car elle n’est elle-même qu’une forme de croyance, soumise par nature à toutes les influences.

La maladresse est d’autant plus grande que ce genre de déclaration déclenche le problème redouté tout en rendant son remède inopérant. Même si les banques ont besoin de recapitalisation, il est particulièrement maladroit de le dire car une recapitalisation annoncée est par nature inefficace — prévenus qu’ils vont être dilués, les investisseurs se détournent de la valeur concernée ! On peut penser que, en l’occurrence, charger les banques de tous les péchés est surtout un moyen pour d’anciens responsables exécutifs du gouvernement de faire oublier qu’ils sont collectivement responsables de la mauvaise gestion de l’Etat dont les résultats désastreux éclatent aujourd’hui.

Alors que nous traversons une période particulièrement troublée où les sensibilités sont exacerbées et l’incertitude à son maximum, il serait opportun que nos dirigeants apprennent à éviter, par leur impéritie, de souffler sur les braises du feu qu’ils veulent éteindre.

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