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Esprit in silico : les vains espoirs de l’immortalité - Partie 1
©Reuters

Funèbre expérience

Il n'est pas question d'informatique, mais d'expériences qui ont fait l'objet d'études très sérieuses en matière de biologie et neurosciences.

Nicolas  P. Rougier

Nicolas P. Rougier

Chargé de Recherche, Inria.

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« Dans trente ans, les humains seront capables de télécharger leur esprit en totalité vers des ordinateurs pour devenir numériquement immortels ». Ray Kurzweil, directeur de l’ingénierie chez Google et « pape » du transhumanisme (Global Futures 2045 International Congress, 2015).

« Fondamentalement, l’ordinateur et l’homme sont les deux opposés les plus intégraux qui existent. L’homme est lent, peu rigoureux et très intuitif. L’ordinateur est super rapide, très rigoureux et complètement con ». Gérard Berry, professeur au Collège de France, chaire d’algorithmes, machines et langages (Rue89, 2015).

Une seule de ces deux propositions est vraie et pour comprendre pourquoi la première est fausse (sans même considérer sa portée éthique, sociétale ou morale), il faut s’éloigner un peu de l’informatique pour se rapprocher de la biologie et des neurosciences.

Dans son livre Being There : Putting Brain, Body and World Together Again, Andy Clark nous rappelle que le cerveau est avant tout un organe conçu pour contrôler un corps biologique dont la mission principale est d’échapper aux prédateurs et/ou d’attraper des proies. Autrement dit, le cerveau n’est pas un dispositif logique désincarné : il n’existe et ne s’exprime qu’à travers un corps. Pour mieux comprendre cette assertion, il faut se rendre compte que notre corps est littéralement recouvert de capteurs, qu’ils soient chimiques, mécaniques, visuels, thermiques, proprioceptifs (perception du corps) ou nociceptifs (perception de la douleur).

L’ensemble de ces récepteurs informe notre cerveau sur le monde extérieur (exteroception) mais aussi sur le monde intérieur (interoception) ce qui lui permet d’en réguler le fonctionnement. La majeure partie du cerveau des primates est en fait dédiée au traitement de ces informations et la plus grosse part est consacrée aux traitements visuels qui occupent l’ensemble du lobe occipital et s’étendent (en partie) aux lobes temporaux et pariétaux. Nous sommes donc des êtres essentiellement visuels, qui accessoirement, pensons de temps en temps.

L’expérience sensible du monde

Si l’on souhaite un jour, à l’instar de Ray Kurzweil, « télécharger notre cerveau dans un ordinateur », on doit donc se poser la question de savoir ce que l’on fait de ces capteurs. Une solution simple et rapide serait de ne pas s’en préoccuper et de prétendre que les neurones sensoriels resteront silencieux à jamais.

Or, dans les années 1950, le neuropsychologue canadien Donald Hebb a conduit une série d’expériences pour étudier les effets de la privation sensorielle. Il paya généreusement des étudiants pour rester allongés 24 h sur 24 en prenant soin de les couper au maximum de leurs sens (lunette, casque, gants, etc.). La majorité de ces étudiants abandonnèrent l’expérience au bout de deux à trois jours car ils ne parvenaient plus à développer une pensée cohérente et commençaient à souffrir d’hallucinations sonores et visuelles.

Ces expériences intéressèrent beaucoup la CIA (qui avait financé cette étude). L’agence américaine « améliorera » le protocole jusqu’à en faire un instrument de torture psychologique. En conséquence, si nous voulons « télécharger notre cerveau » sans devenir fous, il faut impérativement que ce cerveau soit relié à un corps qui l’informe sur le monde et sur lui-même et qui lui permette d’agir en retour.

Mais de quel corps artificiel disposons-nous aujourd’hui ? Des robots où les rétines sont remplacés par des caméras et les muscles par des moteurs ? Dans une certaine mesure oui, mais on est extrêmement loin de la complexité et de l’intelligence du corps humain comme le soulignent d’ailleurs très bien Rolf Pfeiffer et Alex Pitti dans leur livre « La révolution de l’intelligence du corps ». Au cours de l’enfance, notre cerveau a appris à contrôler ce corps et à tirer parti de ses spécificités et de son intelligence propre. Pour ne prendre qu’un exemple, il suffit de considérer la souplesse de la peau au bout de nos doigts qui nous permet d’attraper très facilement des petits objets par « écrasement » de la peau autour de l’objet. Nul besoin pour le cerveau d’envoyer une commande extrêmement précise. Essayez maintenant la même opération avec des dés à coudre sur chaque doigt et vous comprendrez comment votre corps résout un certain nombre de problèmes par lui-même.

Schéma de la rétine. La complexité d’un organe sensoriel.Cajal/Wikimedia, CC BY-SA

Quid de la caméra ? Même si l’on dispose aujourd’hui de caméras haute résolution, il faut les comparer aux quelques 2x5 millions de cônes, 2x100 millions de bâtonnets ainsi qu’aux divers traitements des cellules horizontales, bipolaires, amacrines et ganglionnaires, et ce, simplement au niveau de la rétine, avant même que cette information ne soit envoyée au cerveau. On est de fait aujourd’hui extrêmement loin de pouvoir reproduire une rétine artificielle, même si les travaux de l’Institut de la vision à Paris nous en rapprochent chaque jour un peu plus.

Dans un premier temps, on pourrait donc se rabattre sur des corps robotiques simplifiés aux capacités sensorielles et motrices différentes. Cela aurait-il une incidence sur notre cerveau ? Oui. Car notre cognition dépend de l’interaction que nous avons avec le monde et cette interaction se fait au travers de nos perceptions et nos actions. Si vous les modifiez, vous modifiez aussi l’expérience sensible du monde ainsi que sa sémantique. La cognition ne peut être qu’incarnée.

Nous détaillerons cette idée dans la seconde partie de notre démonstration qui sera mise en ligne lundi.

The Conversation

Nicolas P. Rougier, Chargé de Recherche, Inria

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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