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Décollecte record du Livret A : pourquoi le placement préféré des Français poursuit sa lente descente aux enfers 
©DR

Bas de laine

95% des Français possèdent un livret A, ce qui lui vaut son surnom de "placement préféré des Français". Néanmoins, en octobre et pour le septième mois consécutif, il subit une décollecte de 2,29 milliards d'euros. Ce mouvement devrait continuer durant les prochains mois, dans le cadre d'un rééquilibrage de l'épargne de court terme.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : En octobre et pour le septième mois consécutif, les épargnants ont davantage retiré que déposé de l'argent sur leurs livrets A. Il subit une décollecte de 2,29 milliards d'euros en octobre selon les chiffres rendus publics lundi par la Caisse des Dépôts. Ce mouvement va-t-il se poursuivre dans les prochains mois? Pourquoi? Quels sont les éléments d'explication de ces retraits?

Philippe Crevel : Pour le septième mois consécutif, le Livret A a connu, au mois d’octobre, une nouvelle décollecte. Elle s’est élevée à 2,3 milliards d’euros faisant suite à celle du mois de septembre qui avait déjà été de 2,4 milliards d’euros. Sur 10 mois, la décollecte est de 8,5 milliards d’euros Depuis le début de l’année, seul le mois de mars aura enregistré une très légère collecte positive, avec 110 millions. En intégrant le Livret de Développement Durable, la décollecte atteint, en octobre, plus de 3 milliards d’euros.

Comme pour septembre, le mois d’octobre réussit assez mal au Livret A. Sur dix ans, le Livret A a été en décollecte 5 fois durant ce mois et cela a été le cas ces trois dernières années. Octobre est toujours un mois de dépenses avec les impôts locaux et la fin de la rentrée à financer. Par ailleurs, ce n’est pas un mois de primes pour les salariés…

Mais sans nul doute, la baisse du taux du Livret A continue toujours à se faire ressentir sur la collecte. Tout pousse à penser que le Livret A devrait continuer son mouvement de glissade durant les prochains mois. Nous sommes engagés dans un processus de rééquilibrage de notre épargne de court terme.

2015 sera, en effet, la cinquième année de décollecte en vingt ans pour le Livret A. La décollecte la plus importante a été enregistrée en 1996 avec -8,3 milliards d’euros. En 1999, elle s’était élevée à 6,7 milliards d’euros, en 2005 à 1,3 milliard d’euros quand, l’année dernière, elle avait de 6,1 milliard d’euros.

Néanmoins, il n’y a pas péril en la demeure ; le système du financement du logement social n’est pas remis en cause par cette décollecte compte tenu du niveau de l’encours, plus de 254 milliards d’euros contre 165 milliards d’euros en 2008. Du fait des faibles taux de rémunération des titres courts, la Caisse des Dépôts peut même trouver avantage à réduire la voilure du Livret A.

Comment faut-il l'interpréter ? Les Français épargnent-ils moins ou dirigent-ils leur épargne vers d'autres placements ? Pourquoi ?

Les ménages se détournent du Livret A et du Livret de Développement durable. Ils privilégient le Plan d’Epargne Logement et l’assurance-vie tout en maintenant d’importantes liquidités sur leurs comptes courants. Le Plan d’Epargne Logement bénéficie d’un taux de rémunération attractif, 2 % pour ceux ouverts à compter du 1er février 2015. L’assurance-vie profite tout à la fois de la garantie en capital des fonds euros et de la bonne tenue des unités de compte. L’assurance-vie pèse en France plus de 1500 milliards d’euros et est de loin le premier produit d’épargne loin devant le Livret A.

Nous assistons à un rééquilibrage entre les différents types de placements. Les ménages après la crise de 2008/2009 et la réplique de 2011/2012 ont opté pour des placements de court terme sans risque, le Livret A servant de valeur refuge aidé en cela par le relèvement de son plafond.

Un nouveau cycle s’est engagé en 2014 sur fond de baisse des taux et de retour à la normale sur les marchés financiers. Les ménages avaient placé de 2009 à 2013 plus de 82 milliards d’euros sur le Livret A. La décollecte en cours reste mesuré au regard des placements des années précédentes. En 2014, elle s’est élevée à 6,13 milliards d’euros et elle pourrait atteindre, cette année 10 milliards d’euros, ce qui constituera néanmoins un record historique.

Le léger rebond de la consommation réduit également mais à la marge les facultés d’épargne à court terme. Le taux d’épargne des ménages reste élevé autour de 15,2 % du revenu disponible brut.

En conséquence, doit-on s'attendre à une baisse ou à une hausse du taux, sachant que celui-ci a déjà atteint son plus bas historique avec 0,75% depuis le 1er août dernier ?

Le taux du Livret A dépend soit des taux des marchés monétaires, soit du taux d’inflation ; or ces taux sont nuls ou quasi-nuls. En l’état, le Gouvernement pourrait être amené si l’inflation ne repart pas d’ici le mois de janvier d’abaisser à 0,5 % le taux du Livret A. S’il ne l’a pas fait, c’est avant tout pour des considérations d’ordre politique. Le Gouvernement espère qu’à la fin de l’année, l’inflation remonte autour de 0,3 % ce qui lui permettrait de ne pas se poser la question d’une nouvelle diminution du taux du Livret A. A défaut, de toute façon, il est fort possible qu’il décide de ne pas en-deçà de 0,75 % pour ne pas désespérer le petit épargnant qui est un électeur qui ne dort pas…

En quoi le livret A, souvent qualifié de "placement préféré des Français", est-il un instrument politique ? Dans quel(s) but(s)? Le gouverneur sortant de la Banque de France, Christian Noyer, le déplorait fin octobre sur Europe 1 en déclarant: "C'est absurde. Le livret A, c'est un instrument économique, un instrument d'épargne, ça devrait suivre les taux d'intérêt de la Banque centrale européenne". Qu'en pensez-vous ?

Le Livret A est le produit d’épargne le plus largement diffusé en France. Plus de 95 % des Français ont un Livret A. De plus, il est un des rares produits à être totalement défiscalisé et à être garanti par l’Etat. C’est ce cocktail qui le rend populaire. Il en résulte que toute mesure relative au Livret A est éminemment politique. Le Livret A a été sacralisé même si son poids dans le patrimoine des Français est modeste, un peu plus de 250 milliards d’euros sur plus de 10 000 milliards d’euros.

L’ancien gouverneur de la Banque de France avait raison de souligner qu’il serait bon de banaliser un peu ce produit d’épargne de court terme qui par les symboles qu’il porte sert un peu trop de maître étalon aux placements en France. Christian Noyer avait souligné que le Livret A ne pouvait pas être en contradiction avec la politique monétaire de la BCE. En effet, le taux de rendement du Livret A est très élevé au regard de la politique des taux décidée par la BCE. Il n’encourage pas suffisamment à la consommation ni à la réorientation de l’épargne vers des placements de long terme plus productifs.

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