Exécution d’un Chinois par l’EI : pourquoi la riposte de Pékin risque de se faire attendre<!-- --> | Atlantico.fr
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Fan Fan Jinghui a été assassiné par l'Etat Islamique.
Fan Fan Jinghui a été assassiné par l'Etat Islamique.
©Reuters

Attentiste

Le 18 novembre dernier, au lendemain des attentats de Paris, le monde apprenait l'exécution sommaire de deux otages de l'Etat Islamique. Parmi eux, un ressortissant chinois du nom Fan Fan Jinghui. Pour autant, en dépit de la puissance militaire et économique chinoise, L'Empire du Milieu ne compte pas réagir.

Denis Lambert

Denis Lambert

Ancien élève de l’Ecole normale supérieure et docteur d’Etat es Sciences, Denis Lambert a longtemps mené des recherches en Physique atomique. Il s’est ensuite intéressé aux conséquences géopolitiques de l’avancement différencié de la Science et de la Technologie selon les pays. Il s’est enfin focalisé sur la géopolitique de l’Asie, si dynamique mais hétérogène. En plus de nombreux articles sur la Défense, il a déjà publié :

"Géopolitique de l’Inde : védisme, laïcité et puissance nucléaire", Ellipses (2007),
"Géopolitique de la Chine : du bronze antique au plutonium", Ellipses (2009).

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Quelle réaction de la Chine au meurtre de son ressortissant en Syrie ?

Le groupe Etat islamique a annoncé mercredi 18 novembre "l’exécution", c'est-à-dire l’assassinat par balles d’un otage norvégien, Ole Johan Grimsgaard-Ofstad, de l’Université norvégienne de Sciences et Technologie de Trondheim, et d’un otage chinois, Fan Fan Jinghui, indiqué comme consultant. Les photos publiées, dans le magazine Dabiq de l’organisation terroriste, porteraient l’inscription "exécutés après avoir été abandonnés par les nations et les organisations infidèles" ce qui ajoute aux crimes contre les individus l’insulte contre leurs nations. La mise en scène est cependant moins outrée qu’un égorgement qui traite la victime comme un animal.

Le contexte, qui a largement occulté l’annonce des deux meurtres, est celui des lendemains du massacre de Paris, le 13 novembre, et des opérations de bombardement qui s’en sont suivies. Le choix d’une victime chinoise, alors que la Chine est traditionnellement opposée à toute intervention dans les affaires intérieures d’un pays, même au nom des droits de l’Homme, est difficile à expliquer. 

La Chine a reconnu officiellement la mort de son ressortissant. Pour elle, attachée à la légalité formelle, le gouvernement de la Syrie est celui de Bachar el Assad, et l’Etat islamique ne constitue que l’une des entités rebelles à l’intérieur d’un Etat étranger. Or, pour elle, l’ingérence, même humanitaire, même policière et tournée contre le crime, rappelle de mauvais souvenirs.

Selon elle, les Occidentaux se sont comportés du XVIème au XIXème siècle comme s’ils avaient tous les droits à l’extérieur de l’Europe, et pouvaient ne pas tenir compte des autorités locales existantes. Ils ont pourtant formalisé la non-intervention dans les affaires intérieures, par le traité de Westphalie, mais ont restreint à leur propre sol la portée du traité. Maintenant ils prétendent imposer un droit à l’ingérence qui les arrange moralement dans de nombreux cas, quitte à l’oublier ailleurs. La Chine n’a pas oublié les humiliations subies alors comme les guerres dites "de l’opium" - rappelons que la participation française en 1839-42 ne visait qu’à libérer des missionnaires prisonniers et torturés et à venger les morts. Elle veut bien participer à des opérations de police internationale, mais à condition d’en tirer bénéfice.

L’occasion s’en est déjà trouvée : alors que la Chine manque d’occasion d’exercer sa marine lors de manœuvres multinationales, elle a eu l’intelligence de participer à la lutte commune contre la piraterie en Somalie. Elle y a gagné le double intérêt d’une opération en vraie grandeur de projection de force navale à longue distance et d’une découverte des modes opérationnels des forces occidentales. Au contraire, elle ne récolterait que des conséquences néfastes à intervenir en Syrie.

La Chine sait que des éléments islamistes ouïghours participent aux exactions de l’EI et redoute certainement le retour au Xinjiang de criminels djihadistes exercés à la guerre civile. Elle redoute néanmoins la réaction des Ouïghours (musulmans) dans le cas d'une politique qui paraîtrait les cibler trop directement. Rappelons qu’à la suite d’émeutes anti-Ouïgours dans le Guangdong le 25 juin 2009, déclenchées par une rumeur de viol d’une fillette han par des immigrés ouïghours de l’intérieur, le Xinjiang avait été le théâtre d’affrontements sanglants (plus de 200 morts et de 3000 blessés à partir du 5 juillet). Un accident volontaire place Tian an Men, fin octobre 2013, a ravivé les craintes de guérilla urbaine d’autant que les explosions de Tianjin (175 morts, 800 blessés et 6000 évacués d’urgence à partir du 12 août 2015), jugées accidentelles et rappelant l’affaire AZF de Toulouse, ont rappelé la vulnérabilité de toute société industrialisée.

La Chine doit donc insister sur le caractère criminel de droit commun et rejeter toute catégorisation en critère politique, religieux ou ethnique. Il y va de son action future de maintien de l'ordre dans sa propre région autonome du Xinjiang, essentielle par sa richesse naturelle mais aussi par ses frontières avec l’Inde, le Pakistan, l’Afghanistan, le Tadjikistan, le Kirghizistan, le Kazakhstan, la Russie et la Mongolie extérieure. La traversée du Pakistan par une liaison ferroviaire et des oléoduc et gazoduc lui permettra, en particulier, d’accéder directement au golfe Persique en diminuant l’enclavement de sa partie orientale *.

Il serait donc étonnant que la Chine se montre virulente et demande vengeance par la force. Elle demandera plutôt que justice soit faite au travers des instruments nationaux de police. Elle sait attendre, et elle est bien décidée à ne soutenir au Conseil de Sécurité, dont elle est un membre permanent disposant du droit de veto, que les décisions qui lui conviennent.

* de même que la traversée de la Birmanie aura un effet semblable pour le Sichuan tout en permettant d’éviter le détroit de Malacca. La liberté des mers n’est pas une préoccupation essentielle de la Chine en mer de Chine méridionale, mais la sécurité de son approvisionnement, en particulier pétrolier, si ! C’est d’ailleurs l’explication du fameux "collier de perles" de hâvres portuaires, qui ne correspond pas à un plan machiavélique de domination des mers.

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