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L'augmentation de la résistance aux antibiotiques représente "un immense danger pour la santé mondiale"
©Reuters

Les antibiotiques, c'est pas automatique !

La résistance des bactéries aux antibiotiques est d’une façon générale un très sérieux problème qui touche aujourd’hui tous les continents. Dr Margaret Chan, la directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) tire la sonnette d’alarme en affirmant qu'il s'agit d'un "immense danger pour la santé mondiale"

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Margaret Chan, la directrice générale de l'OMS affirme que la résistance aux antibiotiques représente "un immense danger pour la santé mondiale". Cette menace mérite-t-elle ce degré d'alerte ? N'y a t-il pas une part de catastrophisme ? 

Stéphane Gayet : Il est vrai que la résistance des bactéries aux antibiotiques est d’une façon générale un très sérieux problème qui touche aujourd’hui tous les continents. Nous en sommes à un degré fort préoccupant sur le plan mondial et l’un des rôles de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est bien sûr de tirer la sonnette d’alarme. Mais cela demande à être largement nuancé. Cette nuance porte sur la signification et le niveau de résistance des bactéries, sur la répartition de cette résistance dans le Monde et sur son impact réel dans la thérapeutique.

Sur le plan de la signification et du niveau de résistance des bactéries, il faut préciser qu’il existe des genres bactériens (comme le genre Staphylococcus – staphylocoque en français courant - et le genre Klebsiella – klebsielle en français courant), qu’au sein de chaque genre il existe des espèces bactériennes (comme les espèces aureus – doré – et epidermidis - épidermique - pour le genre Staphylococcus ; les espèces pneumoniae et oxytoca pour le genre Klebsiella) et qu’au sein de chaque espèce il existe des souches ou clonesbactériens (ils sont désignés par des codes alphanumériques). Au sein de certaines espèces, il existe de plus des variétés, en particulier du fait de la présence d’antigènes bien particuliers à la surface de toutes les bactéries d’une même variété. Aucun genre bactérien, aucune espèce bactérienne n’est sensible à tous les antibiotiques : il existe constamment une résistance dite naturelle qui varie selon les genres et les espèces. Les résistances acquises caractérisent quant à elles les souches ou clones et apparaissent en raison de l’utilisation des antibiotiques qui exercent des pressions de sélection. On connaît bien le phénomène de pression de sélection avec les pesticides, mais aussi dans notre société humaine. Pour revenir aux bactéries, on distingue plusieurs niveaux de résistance aux antibiotiques : du plus faible au plus élevé, il y a la résistance naturelle (systématique), la résistance habituelle ou courante, la multi-résistance (BMR : bactéries multi-résistantes aux antibiotiques), la haute résistance (BHR : bactéries hautement résistantes), l’ultra-résistance (BUR) et enfin la pan résistance ou toto résistance (BPR ou BTR).

Sur le plan de la répartition dans le Monde, les comparaisons internationales montrent que le Royaume-Uni et la France se situent à des niveaux de résistance bactérienne voisins, tandis que les pays d’Europe du Nord sont à un niveau plus bas, à l’inverse des pays d’Europe du Sud qui ont plus de résistances. Les États-Unis d’Amérique sont également confrontés à d’importants phénomènes de résistance bactérienne, et même plus graves qu’en France pour certaines bactéries. Le Japon, également à haut niveau de vie, n’échappe pas au phénomène, mais avec des profils particuliers de résistance.

Pour donner quelques précisions, on constate une augmentation générale d’année en année de la résistance des entérobactéries (bactéries entériques : présentes au sein de la flore du colon, telles le colibacille ou Escherichia coli et la klebsielle ou Klebsiella pneumoniae) aux céphalosporines de troisième génération (C3G, antibiotiques apparentés à la pénicilline, parmi les plus utilisés en milieu hospitalier : médicaments injectables et coûteux). Ce type de résistance qui croît est lié au fait que ces souches multi-résistantes (BMR) sécrètent des enzymes qui inactivent certaines céphalosporines : essentiellement des bêta-lactamases (les bêta-lactamines sont le nom de la grande famille d’antibiotiques) à spectre étendu (BLSE, enzymes qui inactivent donc de nombreuses bêta-lactamines dont bien des céphalosporines). Il faut avouer que ce phénomène s’aggrave plus en France que dans d’autres pays européens. Mais, avec d’autres mécanismes de résistance des entérobactéries, l’évolution française est moins défavorable : il s’agit des entérobactéries produisant une carbapénémase ou EPC (les carbapénèmes étant des antibiotiques très haut de gamme, proches des pénicillines et céphalosporines, réservés à l’usage hospitalier : très coûteux et injectables). On observe en effet que les EPC sont en France nettement moins fréquentes et en fréquence plus stable qu’à Malte, Chypre, qu’en Roumanie, Italie et Grèce. Enfin, la résistance à la méticilline (pénicilline étalon anti-staphylococcique utilisée uniquement en laboratoire et non pas en thérapeutique) chez Staphylococcus aureus (staphylocoque doré) et la pseudo résistance (simple baisse de la sensibilité) à la pénicilline de base chez Streptococcus pneumoniae (pneumocoque) diminuent depuis plusieurs années. Mais, s’agissant de la première, la diminution observée en France est moins importante que celle que l’on enregistre d’autres pays européens.

Mais dans de nombreux pays à faible niveau de vie en dehors de l’Europe, on observe des niveaux de résistance très élevés, essentiellement dus à de graves insuffisances en termes de réglementation, de régulation, de formation et d’encadrement des prescriptions et consommations de nombreux antibiotiques qui sont bien souvent en vente libre.

Enfin, sur le plan de l’impact des résistances bactériennes dans la thérapeutique, les infections liées à des souches bactériennes de résistance habituelle ou courante ne posent aucun problème en pratique courante. Celles à des souches de bactéries multi-résistantes (BMR) sont source de difficultés thérapeutiques, mais on est rarement démuni pour traiter un patient. En revanche, les infections liées à des souches de bactéries hautement résistantes (BHR) et bien sûr de bactéries ultra résistantes (BUR, heureusement rares) sont très difficiles à traiter et les échecs thérapeutiques, pouvant conduire au décès, existent, c’est évident. Quant aux infections liées à des souches pan ou toto résistantes (BPR ou BTR), elles constituent évidemment une impasse totale et les décès sont fréquents. Ces dernières restent fort rares en France.

Les médecins sont souvent accusés de donner trop facilement des antibiotiques aux patients. Cette accusation est-elle vraiment légitime ? Quelle est sa part de vérité ? Quels autres facteurs peuvent expliquer une résistance de plus en plus accrue aux antibiotiques ?

De nombreux pays développés ont élaboré une politique de lutte contre la résistance des bactéries aux antibiotiques. Le premier plan national français pour préserver l'efficacité des antibiotiques a défini un programme d’actions pluriannuel 2001-2005 avec pour objectif de maîtriser et de rationaliser la prescription des antibiotiques. Une deuxième phase 2007–2010 a eu pour objectif de poursuivre les actions engagées et mettre en œuvre de nouvelles actions. Ce plan a été piloté par le Comité national de suivi du plan antibiotique. Mais la France est depuis longtemps un pays gros consommateur de médicaments, en particulier d’antibiotiques, et il est difficile de faire changer les habitudes, tant celles des médecins que celles des patients qui suscitent les prescriptions et prennent leurs antibiotiques comme ils l’entendent. Or, un antibiotique mal choisi, donné à dose insuffisante ou de façon inadaptée, ou encore arrêté trop tôt, contribue à sélectionner des bactéries à lui résistantes. L’antibiothérapie est devenue un domaine médical complexe et à dire vrai difficile à bien appréhender par les non-spécialistes. D’où des prescriptions de nature à favoriser les résistances bactériennes, auxquelles s’ajoute une assez fréquente tendance chez le patient à changer la dose et la durée du traitement antibiotique.

Mais ce n’est pas tout : il y a aussi tous les antibiotiques qui se trouvent dans nos aliments provenant de la viande de volaille, de porc, de bœuf et de poisson d’élevage. Si, en médecine humaine, le premier plan antibiotique national date donc de 2001, en médecine vétérinaire, il a vu le jour en 2011 : un retard de dix années a donc été pris par rapport à la médecine humaine ; c’est un gros handicap. Il est particulièrement fâcheux de constater que cet aspect vétérinaire et agricole de la résistance bactérienne aux antibiotiques a très longtemps été laissé dans l’ombre. De plus, certains antibiotiques ont, pendant des décennies, été utilisés comme facteurs de croissance dans l’élevage des porcs et des veaux (cet effet s’explique par une action de ces antibiotiques sur le "microbiote" intestinal - bactéries de l’intestin - : les animaux deviennent plus gras). Heureusement, cette utilisation comme facteurs de croissance est aujourd’hui interdite.

À côté de ce plan vétérinaire, où en sommes-nous avec les plans en santé humaine ? Le plan actuel s’appelle, son intitulé est explicite, "Plan d’alerte sur les antibiotiques 2011-2016" ; il poursuit les actions précédentes et propose un objectif de baisse des consommations d’antibiotiques de 25 %. Il faut quand même saluer les efforts effectués.

Des médecins en outre reprochent aux propos de Margaret Chan d'être infondés, sous prétexte que les données sur lesquelles elle se base sont contestables. Quel crédit doit-on leur accorder ? Leurs critiques sont-elles justifiées ? Doit-on se méfier de la fiabilité des chiffres de l'OMS ?

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) rencontre quand même bien des difficultés à obtenir des données fiables. Le niveau de qualité des bases de données nationales varie beaucoup d’un pays à l’autre. Certaines données restent approximatives du fait du contexte de leur recueil, d’autres sont sciemment modifiées avant leur envoi à l’OMS, d’autres enfin sont carrément manquantes. De ce fait, l’OMS est amenée à effectuer des nettoyages et corrections des différentes bases de données. Il en résulte des extrapolations et en fin de compte des erreurs plus ou moins importantes. Etant donné que le but de l’OMS est de contribuer à l’amélioration de la santé dans le Monde, il est certain qu’elle a tendance à majorer certains phénomènes pour les rendre plus alarmants et ainsi augmenter l’impact de leur annonce et de leur présentation détaillée. Ce n’est pas jeter la pierre à l’OMS que de dire que ses bases de données sont imprécises et qu’elle a tendance à exagérer certains phénomènes, car elle est dans son rôle de chef d’orchestre.

Mais la question de la fiabilité des données numériques n’est pas propre à la santé, c’est un phénomène général. Nous sommes à une époque où l’on regorge de données chiffrées de toutes natures et dans tous les domaines, mais sans bien souvent avoir de garanties sur la qualité et la précision de leur recueil. C’est ainsi, il faut toujours rester très critique face à des données chiffrées et se dire qu’elles sont souvent sujettes à caution. L’OMS fait ce qu’elle peut et, dans l’ensemble, remplit assez bien beaucoup de ses missions. Il faut plus tenir compte de l’ordre de grandeur de ses données chiffrées que des nombres précis.

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