BFMTV, dans les coulisses de la chaîne d'info n°1 : la tumultueuse interview de Bill Gates <!-- --> | Atlantico.fr
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Le milliardaire Bill Gates.
Le milliardaire Bill Gates.
©Reuters

Bonnes feuilles

Les frères Kouachi et Amedy Coulibaly en direct, Leonarda discutant avec le président de la République, l'arrestation de Dominique Strauss-Kahn : autant d'images et de polémiques autour d'une seule et même chaîne : BFMTV. Pour la première fois, son directeur général apporte un éclairage à l'occasion des 10 ans de la première chaîne d'info. Extrait de "Priorité au direct", de Guillaume Dubois, publié aux éditions Plon (2/2).

Guillaume Dubois

Guillaume Dubois

Guillaume Dubois est directeur général de BFMTV depuis 2009. Il était auparavant directeur de la rédaction de la chaîne depuis sa création en novembre 2005.

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Le maire de Paris Bertrand Delanoë est le premier politique à essuyer les plâtres,  le ministre du Travail Xavier Bertrand le deuxième. Rien de bouleversant. L’émission suivante, en revanche, est un événement : Bill Gates est l’invité de « La Tribune BFM ».

Une star. Homme le plus riche de la planète, créateur avec son épouse de la plus  grosse fondation caritative au monde, le fondateur de Microsoft vient rarement à Paris. Et quand il passe n’enchaîne pas, loin s’en faut, les interventions médiatiques. Un grand média audiovisuel, un journal de presse écrite au maximum. Autant dire que la toute jeune chaîne d’info et sa petite audience d’alors n’aurait jamais dû passer dans son radar. C’est compter sans Eric Boustouller, le président de Microsoft France et à ce titre organisateur en chef de la visite parisienne du grand patron américain. Boustouller aime bien la chaîne, et c’est un ami d’Alain Weill, deux bonnes raisons. Il propose l’interview de Bill Gates à Alain, qui m’en parle. On prend, bien sûr, c’est parfait pour « La Tribune BFM ». J’ai déjà eu la chance de l’interviewer dans une vie antérieure. Ce n’est pas un politique au sens classique du terme, mais tant mieux, ça illustre notre différence, et puis son statut dépasse tout. Il ne parle pas français ? On fera traduire en simultané. Et quel meilleur casting pour une émission qui démarre à peine ?

>>>>>>>> A lire également : BFMTV, dans les coulisses de la chaîne d'info n°1 : la couverture polémique de la prise d'otages de l’Hyper Cacher

Il y a une contrainte, quand même. Bill Gates n’est disponible que durant la journée de mercredi alors que l’émission a lieu le dimanche. Pas de problème, il suffit de l’enregistrer à l’avance. Mais ce qui ne serait qu’une simple formalité pour toute autre chaîne ou presque est un casse-tête pour nous. BFMTV n’a qu’un seul studio, et il est utilisé toute la journée pour l’antenne en direct. On n’a jamais enregistré quoi que ce soit à l’avance…

Il faut jongler. Ce sera à la mi- journée, au beau milieu de la tranche « Aujourd’hui le monde ». A partir de 13 heures, on rediffusera l’heure précédente, en croisant les doigts pour qu’il ne se passe rien de grave dans l’actualité, pour reprendre ensuite le direct soixante minutes plus tard. Entre 13 et 14 heures, place à « La Tribune BFM », Bill Gates, Olivier Mazerolle mais aussi Ruth Elkrief et Hedwige Chevrillon, recrutées pour l’occasion afin d’épauler Olivier et donner un côté plus événementiel au rendez- vous. Une heure pour enregistrer une émission d’une heure, avec changement de décor au passage. Pas le choix. C’est chaud mais c’est jouable, car avec la pub, une heure d’antenne ne fait pas vraiment une heure.

Le jour J. « On répétait la mécanique depuis vingt-quatre heures, se rappelle Antoine Joannès, en charge du studio et des équipes techniques en régie. C’était le truc à ne pas louper. » Il fallait notamment installer deux traducteurs – l’un pour traduire les questions à Bill Gates, l’autre pour traduire ses réponses aux journalistes et aux téléspectateurs. Là encore, BFMTV n’a pas l’habitude. La tension est grande, y compris côté journalistes. Olivier Mazerolle accepte mal le brief qui leur est fait par les communicants français de Microsoft, eux- mêmes tétanisés par l’enjeu. Ne pas parler de ci, ne pas parler de ça. En gros : ne pas l’emmerder. « J’ai interviewé Léonid Brejnev du temps de l’URSS, et les Soviétiques ne m’ont jamais parlé comme ça », explose d’un coup Olivier, rouge de colère. J’essaye de calmer tout le monde.

Bill Gates arrive. A peine le temps de le maquiller, de l’équiper d’une oreillette pour la traduction des questions, et il faut y aller. L’interview se fait debout, de part et d’autre d’un gros pupitre où vont se succéder les trois journalistes.

Introduction et première question. Stop ! Bill Gates s’arrête et assure qu’il n’entend pas bien dans l’oreillette. Emoi, ordres et contre- ordres en régie, boutons relevés et d’autres baissés sur la console- son, on réessaye. On reprend… pas mieux ! Bill Gates s’interrompt de nouveau. Cette fois il dit percevoir une sorte d’écho dans l’oreillette. La tension monte, le rythme cardiaque de chacun s’accélère. Rebelote, tout le monde retient sa respiration. Nouveaux changements dans la configuration du son en régie ; on la refait. Patatras, ça ne marche toujours pas. Un petit sifflement dans l’oreille gêne désormais le président de Microsoft. Le sketch involontaire dure pas loin d’un quart d’heure. Gates reste très patient, on le sent tout de même un brin agacé au bout de la troisième interruption. Autour, c’est la panique. L’ingénieur du son se liquéfie, Joannès court dans tous les sens, je suis sans voix. Nous sommes tous pétrifiés, humiliés devant l’un des maîtres du monde et sa cour.

Alain Weill, qui est présent durant toute la scène, raconte parfois qu’il s’agit de l’un de ses pires souvenirs en dix ans de BFMTV.

A force de chercher à régler le problème, on y parvient à peu près. L’interview se déroule tant bien que mal. Ruth, Hedwige et Olivier défilent devant la star du jour, qui leur répond poliment en évitant soigneusement toute question qui fâche. Quand, pour provoquer le milliardaire, Mazerolle lui demande, par exemple, de commenter la situation de la France où des partis politiques extrêmes rejettent le système capitaliste, Bill Gates répond avec le sourire qu’il y a souvent de bonnes idées partout et que lui-même se situe plutôt au centre. La belle affaire.

Que s’est- il passé ? La légende veut que le téléphone portable non éteint d’un cadre de Microsoft présent sur le plateau soit à l’origine du pataquès. Une histoire de fréquences radio qui se feraient des misères entre elles. Explication pratique, arrangeante même. Plus crédible est celle du changement de dernière minute intervenu à la traduction. Une traductrice a demandé d’échanger sa place avec celle de son confrère en découvrant qu’on l’installait dans un recoin peu agréable – la chaîne n’ayant pas encore de cabine spécifique à cet usage. Elle obtint gain de cause – grave erreur –, et les modifications nécessaires dans le traitement du son jusqu’à la console du technicien n’ont pu être effectuées correctement et dans les temps.

Nous sommes quelques- uns, ce soir- là, à avoir le moral dans les chaussettes. Trop de risques ont été pris, le timing était trop tendu, le dispositif technique trop light, et l’on s’est à moitié crashé. Reste qu’il faut bien monter une émission pour dimanche. Avec les soucis du début de l’enregistrement, il n’y a qu’une grosse demi- heure de temps utile : un bout par- ci, un bout par- là, entre deux interruptions. Surtout, les traductions simultanées sont inutilisables. Montage au cordeau pour récupérer un maximum de minutes d’interview, sous- titrage, les quarante- huit heures suivantes ne sont pas de trop pour parvenir à un résultat correct. Et c’est le cas. Dimanche 3 février 2008, Bill Gates est l’invité exceptionnel de « La Tribune BFM », comme si de rien n’était. « Pour le téléspectateur, le coup était finalement réussi, résume Antoine Joannès. Seuls Bill Gates et son entourage ont pu avoir des doutes… »

Extrait de "Priorité au direct", de Guillaume Dubois, publié aux éditions Plon, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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