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BFMTV, dans les coulisses de la chaîne d'info n°1 : la couverture polémique de la prise d'otages de l’Hyper Cacher
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Bonnes feuilles

Les frères Kouachi et Amedy Coulibaly en direct, Leonarda discutant avec le président de la République, l'arrestation de Dominique Strauss-Kahn : autant d'images et de polémiques autour d'une seule et même chaîne : BFMTV. Pour la première fois, son directeur général apporte un éclairage à l'occasion des 10 ans de la première chaîne d'info. Extrait de "Priorité au direct", de Guillaume Dubois, publié aux éditions Plon (1/2).

Guillaume Dubois

Guillaume Dubois

Guillaume Dubois est directeur général de BFMTV depuis 2009. Il était auparavant directeur de la rédaction de la chaîne depuis sa création en novembre 2005.

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Que s’est- il vraiment passé ? C’est la soeur de la touriste en question, dont le prénom n’est d’ailleurs pas Fabienne, qui a appelé la chaîne à Paris pour proposer que l’on appelle sa soeur à Tunis à qui elle venait de parler et qui souhaitait témoigner. La rédaction appelle pour connaître la situation, et enregistre la conversation. Pas de direct. Le prénom est changé, le dialogue est expurgé de tout indice sur l’endroit où elle se trouve et le témoignage est ensuite diffusé en annonçant que la témoin se trouve dans un bâtiment voisin du musée. Rien à redire. Télérama a juste préféré faire un gros titre bien accrocheur plutôt que chercher à vérifier l’information. Donner des leçons de journalisme sans même passer un coup de fil au sujet mis en cause, chapeau l’artiste ! Mais peut- être l’auteur nous a- t-il confondus avec une autre chaîne d’info. Une chaîne qui a reçu le même coup de fil que BFMTV mais a diffusé la conversation en direct sur son antenne, n’a pas changé le prénom de son interlocutrice et a bien précisé à l’antenne que celle- ci était dans une salle du troisième étage.

La connerie volant ce jour- là en escadrille, L’Express titre par exemple à la une de son site que BFMTV a été en direct avec des otages à Tunis. Il n’y a eu ni direct ni otages, mais ce n’était sûrement que des points de détail. Le lendemain, les quotidiens s’estiment autorisés à nous promettre de nouvelles sanctions – qui ne viendront évidemment pas. Le surlendemain, le chroniqueur télé du Figaro caricature la scène sur BFMTV dans un billet d’une méchanceté risible tellement elle est à l’opposé de ce qui s’est passé à l’antenne. Un coup de griffes d’un gars qui pose ses fesses dans un canapé et regarde la télévision, quand même, on se pince.

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Avec un terreau si fertile, le terrible crash dans les Alpes, quelques jours plus tard, de l’Airbus de Germanwings donne lieu à un semblable festival de fausses colères. Même Laurent Ruquier, dont on ne savait pas qu’il animait une grande émission culturelle sur Arte, y va de son indignation face à la mobilisation de l’antenne de BFMTV sur l’événement. Bref, à Paris, le « BFM bashing » est au top.

Peu après, on voit même une porte- parole officielle du Parti socialiste, totalement inconnue, se fendre d’une déclaration à l’AFP pour dénoncer le « voyeurisme obscène », je cite, de BFMTV. L’objet de son courroux ? La diffusion de quelques images venues d’Arizona montrant une voiture de police renversant volontairement un homme armé. Le sujet montrait ensuite le chef de la police expliquant que cette décision avait été prise en dernier recours devant l’impossibilité d’arrêter le délinquant autrement. Et précisait surtout que celui- ci était sorti de l’hôpital dès le lendemain. Plus de peur que de mal, mais des images plutôt spectaculaires. Franchement grotesque, cette sortie de Corinne Narassiguin, retenez son nom, elle pourrait un jour faire parler d’elle sur un malentendu, n’a d’ailleurs pas été reprise au- delà de l’AFP. A défaut de lancer une polémique qui l’aurait fait sortir de l’anonymat, elle aura quand même profité de la dépêche pour balancer une saloperie en notant « le précédent regrettable de la diffusion des images insupportables de l’exécution du policier Ahmed Merabet lors de l’attentat contre Charlie Hebdo ». Oubliant opportunément que BFMTV n’avait pas diffusé cette séquence atroce. C’est exigeant la politique, mais la malhonnêteté n’est manifestement pas un frein à l’embauche. Pour résumer tout cela, j’emprunterais bien son titre au chef- d’oeuvre posthume de John Kennedy Toole. C’est « La conjuration des imbéciles ». Ce n’est pas bien grave.

Plus douloureuse sera la plainte contre BFMTV déposée par six des anciens otages de l’Hyper Cacher pour « mise en danger de la vie d’autrui ».

Trois mois après les faits, c’est la suite du feuilleton des dix- neuf secondes de Dominique Rizet : l’annonce au conditionnel de la présence d’une femme dans la chambre froide de la supérette. Jamais répétée ensuite, jamais écrite à l’écran, mais qui est bien là, à 14 h 58 le vendredi 9 janvier 2015. Dix- neuf secondes au milieu de soixante- dix heures d’antenne en direct non- stop, un exercice jamais fait en France jusque- là, une mobilisation considérable des équipes, un travail d’information qui a convaincu les Français qui ont plébiscité BFMTV durant ces trois jours, mais Rizet a commis une grosse maladresse à l’antenne à cet instant, il le regrette, la chaîne l’assume. Elle n’a eu aucune conséquence pour les otages et c’est tant mieux.

La source de Dominique est évidemment policière, comment pourrait- il en être autrement ? Elle est en première ligne, les policiers sont très nombreux sur place, il a le RAID, il y a la BRI. « Si Coulibaly veut descendre dans la chambre froide, j’le fume », dit le flic au téléphone à Rizet, qui sur le moment pense à tort – il ne dispose pas de tous les éléments et son informateur vraisemblablement non plus – que cette femme (il y a en fait plusieurs personnes au sous- sol) n’est donc pas en danger.

L’article 223-1 du code pénal définit la mise en danger de la vie d’autrui comme une « violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ». On est interpellé, à la lecture de ces quelques lignes du code, de comprendre que les plaignants, ex- otages, pensent que ce qui est pour BFMTV une terrible maladresse était de sa part une action délibérée. Comment ont- ils pu en arriver à cette conclusion ? L’intensité dramatique de ce qu’ils ont vécu ce jour- là ne permet pas de s’imaginer à leur place.

L’avocat des plaignants dit vouloir établir une jurisprudence qui limite, demain, le champ d’action des médias en pareille situation. C’est son droit. Mais les médias sontils l’ennemi ? La liberté de la presse, la liberté d’informer doivent- elles vraiment être limitées, encadrées par la justice ou le législateur ? La société n’y aurait- elle pas plus à perdre qu’à gagner ? Et puis, l’exercice n’est pas qu’intellectuel, ce n’est pas juste un débat lancé sur la place publique. Le délit, s’il est jugé avéré, est puni d’un an d’emprisonnement.

La justice tranchera.

Extrait de "Priorité au direct", de Guillaume Dubois, publié aux éditions Plon, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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