Lutte antiterroriste : quand l’angélisme juridique du Conseil d’Etat privilégie l’intérêt des djihadistes… à celui des victimes<!-- --> | Atlantico.fr
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L'angélisme juridique du Conseil d’Etat privilégie l’intérêt des djihadistes.
L'angélisme juridique du Conseil d’Etat privilégie l’intérêt des djihadistes.
©www.flickr.com/photos/eschipul

Cas d'école

L'ancien président de la République Nicolas Sarkozy propose à nouveau de punir le fait de consulter un site internet faisant l'apologie des actes terroristes ou favorisant l'incitation au djihad. Or, cette mesure avait fait l'objet d'une proposition de loi à la fin de son mandat, "renforçant la prévention et la répression du terrorisme", qui n'a jamais pu être présentée, car le Conseil d'Etat avait jugé en avril 2012 la mesure non-conforme à la Constitution, "privative de liberté" et portant atteinte à la "liberté d'opinion et de communication".

Atlantico : Dans quel cadre ce projet de loi renforçant la prévention et la répression du terrorisme était-il inscrit ?

Henry : Suite aux attentats de Montauban et de Toulouse, qui ont particulièrement ému l'opinion publique et qui ont été reçus comme une secousse et une alerte très forte quant à notre vulnérabilité face au terrorisme islamiste, le président Nicolas Sarkozy  avait demandé qu’un projet de loi sur la lutte contre le terrorisme soit préparé. Il s’agissait d’un projet en partie symbolique car son mandat prenait fin : ce projet devait être présenté au cours du dernier Conseil des ministres qu'il présidait comme président de la République. Le Parlement n'aurait pas pu, sauf en cas de réélection de Nicolas Sarkozy, être saisi du texte puisque les vacances parlementaires commençaient avec la fin du mandat et la campagne présidentielle. Ce manque d'effectivité immédiate du projet de loi n'enlevait rien à son utilité et à sa nécessité. Il réagissait de manière forte à la montée en puissance du terrorisme islamiste.

Le texte a ensuite était soumis aux sages du Conseil d'Etat et quel a été son avis ?

Comme tout projet de loi, il devait être présenté pour avis devant le Conseil d'Etat chargé d’examiner les projets de loi sur le plan juridique. L’avis rendu est tenu secret, il n’est donné qu’au gouvernement. En général le Conseil d'Etat propose des modifications de rédaction. Il arrive parfois que le Conseil d'Etat estime qu'un projet du gouvernement soit en contradiction avec la Constitution ou un traité international, notamment de droit communautaire. Dans ce cas, il a la possibilité d'avertir le gouvernement dans une note sur ces doutes juridiques et peut proposer une modification. Le degré le plus extrême est l'utilisation d'une « note de disjonction » de l'article en cause du projet de loi du gouvernement, c’est-à-dire quand le Conseil d'Etat refuse de l'examiner parce qu'il l'estime radicalement inconstitutionnel ou contraire à un traité. Les experts du gouvernement ne sont guère fiers quand cela arrive. Cela signifie que le gouvernement est passé à côté d'un motif juridique extrêmement important et doit refaire sa copie pour une raison juridique grave. Pour le reste, le Conseil d'Etat n'a pas à avoir, en théorie, d’appréciation sur les choix du projet du gouvernement, qu'il soit de droite ou de gauche. 

Et pourquoi la surprise ici a été forte ?

Le projet de loi était inspiré, pour ne pas dire copié-collé, de l’article 227-23 du code pénal qui permet de poursuivre ou de punir les personnes qui, sans aucun motif journalistique, scientifique ou policier, consultent un site à caractère pédophile. Les services de renseignement estimaient que le code pénal connaît une lacune dans l'arsenal répressif concernant la consultation des sites qui font la propagation des actes de terrorisme et qui font appel à l'apologie du terrorisme.  Le projet de loi « anti Mohammed Meraha » si on peut dire donc été rédigé, à l'identique de l’article 227-23, permettant de poursuivre et de punir d'un délit les résidents français consultant de tels sites, y compris hébergés à l'étranger. Ce projet d’incrimination donne un cadre légal pour réunir des preuves en amont de passage à l’acte. Il n’est pas anodin de consulter un site de Daech !
Or quelle n'a pas été notre stupéfaction lorsque le Conseil d'Etat a considéré que le projet d'article était à la fois inconstitutionnel et contraire à la Convention européenne des droits de l'Homme ! Aujourd'hui nous ne pouvons être que stupéfait de voir l'ancien président Nicolas Sarkozy reprendre cette proposition et la proposer au président François Hollande alors qu'il sait - ou qu'il devrait savoir - qu'elle a été refusée. Mais le plus surprenant demeure le motif de refus qui laisse pantois …


Pourquoi les sages du Conseil d'Etat ont-ils émis un avis contre ce projet de loi ? Sur quels motifs appuyaient-ils pour motiver ce refus ?

Lors de la séance du jeudi 5 avril 2012, le Conseil d'Etat a estimé que ce projet de loi était contraire à la liberté d'expression et d'opinion - consacrée dans la Constitution française et dans la Convention européenne des droits de l'Homme - d'interdire par principe et de punir par un délit sévèrement réprimé la « simple » consultation sur internet de tels sites, ce qui ne prouverait pas en soi l’allégeance aux « opinions » du site. L'argument est tout de même sidérant ! Sans aller jusqu'à dire comme en 1793 : "pas de liberté pour les ennemis de la liberté", nous pouvons nous demander de quelle liberté d'expression et d'opinion peut se prévaloir quelqu'un qui consulte des sites qui font l'apologie du terrorisme ? De quelle liberté parle t-on ? À l'époque, le projet de loi de Nicolas Sarkozy n'avait pas connu de suite puisqu'il n'avait pas pu être soumis au Parlement. Le président n'a pas été réélu et le texte est tombé aux oubliettes. Mais maintenant qu'il le ressort des tiroirs, il devient utile de faire preuve de transparence. Le président Hollande, Nicolas Sarkozy ainsi que le Conseil d'Etat doivent expliquer ce qui, en 2012 était contraire à la Constitution française et à la Convention européenne des droits de l'Homme et qui, en 2015, deviendrait conforme à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l'Homme. Est-ce parce qu’il a fallu entre temps 129 morts ?

Cette décision n'est-elle pas le fruit d'un certain laxisme juridique ?

Bien sûr. Ce qui est à la base du raisonnement du Conseil d'Etat part d'un certain angélisme juridique. C’est un logiciel de pensée, qui est assez commun à une certaine gauche judiciaire dont le Conseil d’Etat n’est pas épargné, et qui nous fait sur-interpréter des libertés constitutionnelles que personne ne remet en cause - liberté de penser et liberté d'opinion - pour aboutir à ce qu'à chaque fois, ces droits profitent davantage aux futurs auteurs de crimes et délits et ce au détriment des futurs victimes.

Où est le principe de précaution juridique ? Il joue pour certaines espèces animales en voie de disparition, sous telles ou telles autoroute on va jusqu’à creuser des tunnels pour laisser le passage sain et sauf aux animaux sauvages. Mais lorsque l'on s'interroge sur un éventuel arsenal juridique qui pourrait peut-être permettre de prévenir qu'il y ait des personnes humaines victimes d'attentats, là il n’existe plus aucun principe de précaution.

Qui peut affirmer aujourd'hui qu'une des personnes responsables des attentats de Paris, notamment l'un des trois ou quatre auteurs résidents en France, n'aurait pas été des personnes détectées plus tôt en train de surfer sur internet grâce à cet arsenal législatif retoqué par le Conseil d’Etat?

Avec cet outil juridique, ils auraient peut-être déjà été convoqués par la police, grâce à une mise en examen suivie de garde à vue permise pour un délit. Ils auraient peut-être été neutralisés en avance. Qui peut contredire cela ? Personne ! Le principe de précaution juridique aurait mieux fait d'inspirer les sages du Palais Royal que de sur-interpréter les libertés de penser et d'opinion. C'est une question que je pose à l’ancien président Sarkozy. C'est une question que je pose aux sages du Conseil d'Etat. C'est une question que je pose au président Hollande. C'est une question de transparence ! Les familles des victimes ont le droit de savoir.

Y a-t-il eu d’autres affaires où le Conseil d’Etat fait preuve d’un particulier angélisme ou d’obstruction ?

L'angélisme juridique est quelque chose d'assez communément partagé par un certain nombre de magistrats de l'ordre judiciaire comme de l'ordre administratif. Nous en avons de nombreux exemples que rapportent les médias, qui posent un certain nombre de questions, notamment à l’égard de délinquants de droit commun. Dans la justice administrative, les annulations assez systématiques d'arrêtés de reconduites à la frontières d'étrangers en situation irrégulière interroge évidemment. Ces arrêtés, qui ne sont pas ceux de préfets « hors la loi », sont quasi systématiquement annulés pour des vices de forme, des vices de procédure ou des sur-interprétations du droit à mener une vie familiale normale. C’est un exemple. Rentrer en France en situation irrégulière n’est pas difficile. Avec l’aide des juges, ne plus en repartir est encore plus facile.

Nous sommes en droit de nous interroger : avons-nous, comme la Constitution leur en fait le devoir, des juges qui protègent le droit à la sûreté de leurs concitoyens, un droit prévu aussi par l’article 2 de la Déclaration de 1789, mais celui-là on l’oublie- ou bien vont toujours dans le même sens, qui est celui d’un certain laxisme ? Cette question mérite franchement d’être posée. La justice est indépendante mais elle est rendue au nom du peuple français. Il n’est pas anormal, au nom de l’article 15 de la même Déclaration de 1789, que les juges aussi « rendent compte » aux citoyens de la manière dont ils exercent la justice.

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