La "guerre open source", le secret de la redoutable puissance de frappe de l'Etat islamique <!-- --> | Atlantico.fr
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Le concept est d'abord théorisé par John Robb, ancien de l'US Air Force et expert en stratégie militaire.
Le concept est d'abord théorisé par John Robb, ancien de l'US Air Force et expert en stratégie militaire.
©Reuters

Dans les tuyaux

La guerre open source est la méthode par laquelle de nombreux petits groupes peuvent agir de manière coordonnée sans centre névralgique hiérarchique qui donne des ordres, et ainsi être agiles et infliger des dégâts très importants à des ennemis pourtant plus en théorie puissants. Voici la manière dont Daesh a décliné cette technique de guerre.

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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Quel est le secret de la redoutable puissance de frappe de Daesh ? Une explication potentielle : Daesh a maîtrisé une nouvelle méthode de combat adaptée aux réalités du 21ème siècle, la "guerre open source."

De quoi s'agit-il ?

Le concept est d'abord théorisé par John Robb, ancien de l'US Air Force et expert en stratégie militaire. Pour lui, la guerre open source est à notre époque ce que le blitzkrieg était aux années 30 - un point d'infléchissement où des nouvelles technologies, si bien exploitées, mènent à une manière nouvelle de faire la guerre, absolument redoutable contre ceux qui n'y sont pas préparés. La guerre open source est, en clair, la méthode par laquelle de nombreux petits groupes peuvent agir de manière coordonnée sans centre névralgique hiérarchique qui donne des ordres, et ainsi être très agiles et infliger des dégâts très importants à des ennemis pourtant plus en théorie puissants. Daesh n'a donc pas inventé le concept. Il avait déjà été repris au milieu des années 2000 par Al Qaida, qui a proclamé comme sa doctrine officielle le "jihad open source".

(Daesh était anciennement connu sous le nom d'Al Qaida en Irak et sont donc formés à ces techniques. On oublie aussi trop souvent que Daesh comprend également de nombreux anciens du Mukhabarat, l'ancien terrible service de sécurité interne de Saddam Hussein, eux-mêmes formés par le KGB et la Stasi à l'époque de la Guerre froide. L'expérience d'Al Qaida et l'expérience du KGB -un cocktail redoutable.)

Pour promouvoir le "jihad open source", Al Qaida avait créé un magazine en ligne, Al Qaida Inspire (sic.), pour répandre cette doctrine et former ses troupes. Le fait même de passer par un magazine en dit long : il est mieux que les méthodes soient publiques pour que toutes les cellules puissent s'en inspirer, même si l'ennemi peut aussi lire le magazine - c'est la manière dont chaque cellule va les employer dans sa situation qui va faire les dégâts. On voit là la mentalité "open source" où chacun peut utiliser des outils mis à la disposition de tous.

Quels sont les concepts principaux de la guerre open source ?

Le premier est le concept de retour sur investissement. La guerre open source permet de dépenser très peu de ressources pour infliger des dégâts importants à l'ennemi. Exemple : après le 11 septembre, Al Qaida a envoyé plusieurs bombes par la poste et des services d'expédition de colis. Ils ne s'attendaient pas à ce qu'elles explosent. Mais après cela, tous les services de poste et de logistique ont dû mettre en place des systèmes de sécurité compliqués et coûteux. Al Qaida a chiffré le coût total de l'opération à 4 200 dollars, mais son coût pour l'économie mondiale s'est chiffré à plusieurs dizaines de millions, au moins - un très bon retour sur investissement.

Un autre concept clé est la disruption des systèmes. Nos sociétés occidentales sont organisées autour de systèmes très complexes, qui ont des points névralgiques--en attaquant ces points névralgiques, on peut perturber tout le système avec peu de moyens. Un exemple, qui n'est pas lié au terrorisme islamiste mais est très parlant : en juillet 2006, un gang de Sao Paolo a tenu en otage pendant plusieurs jours 2,6 millions d'habitants en concentrant ses attaques sur les commissariats, les stations de pompiers, et les noeuds névralgiques de transport, prenant le contrôle de la ville avec peu de moyens. Ici, les objectifs n'étaient pas ceux du terrorisme islamiste - il s'agissait pour la criminalité organisée, toujours en bras de fer avec les autorités dans les pays sud-américains, de montrer leur pouvoir de nuisance et d'humilier la puissance publique- mais les méthodes étaient celles de la guerre open source. La puissance du concept est réelle.

La guerre open source ne se limite pas à Internet, mais elle l'emploie. Pour la propagande d'abord - l'aspect psychologique fait partie de la guerre depuis la nuit des temps. Au 3ème siècle avant notre ère, Hannibal de Carthage a fait fuir les légions romaines avec ses éléphants, qui n'avaient probablement pas de grande utilité tactique, mais terrifiaient les soldats qui n'en avaient jamais vus. Le terrorisme est, au final, une opération de communication. Et on a beaucoup remarqué les moyens de Daesh, qui filment des vidéos professionnelles, et les diffusent sur les plates-formes de partage et les réseaux sociaux en utilisant les meilleures techniques. Cette propagande sert au recrutement, mais également à combattre. Daesh a vraiment fait sa marque, devenant une puissance régionale, lorsqu'elle a pris les villes irakiennes de Mosul puis de Ramadi - à chaque fois l'armée irakienne, plus nombreuse et mieux équipée, avait fui devant Daesh par peur de son aura d'invincibilité.

Pour la communication, ensuite. Au lieu de logiciels spécialement conçus, on a appris que Daesh utilise des services connus, comme WhatsApp et les services de chat de la PlayStation 4 pour communiquer, une attitude typiquement "open source", c'est-à-dire décentralisée et utilisant des ressources communément disponibles.

Enfin, un autre élément frappant : selon NBC News, Daesh disposerait d'un "help desk IT"- oui, comme une grande entreprise. Il s'agirait d'un noyau dur d'une demi-douzaine d'experts informatique chevronnés situés en Syrie ou en Irak, et de quelques dizaines d'autres experts situés aux quatre coins du monde, qui fournissent une assistance technique sur Internet aux cellules de Daesh - comment crypter ses communications, quels canaux de communication utiliser ou ne pas utiliser, etc. Un help desk décentralisé au service de cellules décentralisées, permettant à chaque cellule d'exploiter les ressources du tout et de rester à la pointe en manière de sécurité informatique, et donc d'être détectée beaucoup plus difficilement.

On voit là un autre élément de la guerre open source : la "glocalisation." Il est probable que les attentats de Paris aient été planifiés par une équipe composée à la fois d'anciens de la Syrie, et de jihadistes français qui n'ont jamais quitté le pays. Les diverses cellules sont faites de locaux qui connaissent le pays, connaissent le terrain, et ont donc cet avantage, mais bénéficient également de la mondialisation - l'échange de bonnes pratiques, soit par Internet soit par les allers-retours entre la Syrie et l'Occident, la formation idéologique et la propagande, la disponibilité accrue d'armes par la mondialisation du grand banditisme.

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