Risque d’attaque toxique : quelle est la nature exacte de la menace ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le risque d’attaque toxique menace la France.
Le risque d’attaque toxique menace la France.
©REUTERS / Robert Pratta

Sarin

La Direction générale de la santé a autorisé la pharmacie centrale des armées à approvisionner les SAMU en sulfate d'atropine. Cette substance est le seul antidote aux gaz toxiques comme le sarin, utilisé lors des attaques de mars 1995 à Tokyo, au Japon, par la secte Aum. Une annonce qui vise en réalité à protéger la COP21.

Olivier Lepick

Olivier Lepick

Olivier Lepick est docteur en Histoire et Politiques Internationales de l’Institut des Hautes Etudes Internationales de Genève (Université de Genève). Il est chercheur associé à la Fondation pour la Recherche Stratégique (Paris) et consacre ses travaux à la question des armes chimiques et biologiques.

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Atlantico : Faut-il craindre une attaque toxique en France, à Paris ou dans une grande ville ? Quel est le niveau de risque ? Quel pourrait être son potentiel de destruction ?

Olivier Lepick : Ce risque est parfaitement plausible mais aujourd'hui, à l'heure où nous parlons, rien n'indique que ce type d'actions soit en préparation sur le territoire français. L'arrêté de la Direction générale de la santé tombe à un moment particulier parce qu'il a été publié lundi 16 novembre, trois jours après les attentats qui ont frappé Paris. Ce qui a suscité des interrogations : les autorités du renseignement auraient-elles des informations sur des projets en préparation ? Pas du tout, car le sulfate d'atropine est utilisé de manière quasi-quotidienne en médecine sous des formes et des quantités beaucoup plus faibles et donc, dans le cadre de la prévention, il faudrait en conditionner sous des volumes plus importants.

Il y a environ 18 mois,  le service de santé des armées a fait une demande d'autorisation sur le marché pour que ce nouveau conditionnement puisse être fabriqué et habilité à être utilisé par les SAMU. La COP21 arrivant, la nécessité de doter les structures de santé publique est arrivée un peu plus vite que le processus administratif. Les autorités sanitaires ont été obligées de signer cet arrêté pour que d'ores et déjà, les SAMU puissent utiliser sous ce conditionnement de 1 millilitre du sulfate d'atropine sans déroger à la législation française. Tout n'était pas prêt en termes de packaging. Il n'y a donc pas forcément de lien entre la situation sécuritaire et cet arrêté,  ou du moins des informations qui laisseraient penser qu'un attentat est en préparation.

Néanmoins, on ne peut pas complètement exclure cette hypothèse, prévue par le plan Vigipirate qui se divise en plusieurs déclinaisons : Pirate-mer, Piranet, etc. qui adressent pour chacun une menace spécifique, qu'elle soit nucléaire, informatique ou chimique. Dans le cas de Piratox, contre les menaces bactériologiques, ce type de médicaments est prévu. Rien d'inhabituel donc, si ce n'est qu'avec la COP21 et le nombre d'invités prestigieux qui vont se trouver sur le territoire français à ce moment-là, on se doit de préparer toutes les possibilités et tous les risques susceptibles de devenir concrets sur notre territoire. Je ne pense donc pas qu'il y ait de liens (entre les attentats et l'arrêté) mais je ne pense pas que le risque soit impossible. On sait que Daesh a déjà utilisé des armes chimiques sur le théâtre syrien et irakien, pas plus tard que le 21 août dernier, ce qui a été confirmé par l'interdiction des armes chimiques. A partir du moment où il l'a utilisé une première fois, il pourrait être tenté de l'utiliser à nouveau dans un autre cadre, celui d'opérations terroristes. La menace existait déjà il y a plus de deux ans mais les stocks ont peut-être déjà été épuisés car tous ces produits ont des durées de vie limitées. Il faut donc en refabriquer, sous des conditionnements plus adaptés à des usages importants. Il faut donc relancer la production et donc lancer la machine administrative, comme avec cet arrêté de la Direction générale des armées.

Ce risque a toujours existé. Depuis l'attentat de la secte Aum aux neurotoxiques dans le métro de Tokyo, on sait qu'un certain nombre d'entités terroristes s'intéressent aux armes chimiques, biologiques et même nucléaires ou en tout cas une bombe sale dans le domaine nucléaire car elles sont intéressées par la destruction massive et par la répercussion médiatique quand bien même elles ne tueraient pas beaucoup de personnes. Un attentat chimique à Paris ferait grand bruit, ce qui pourrait attiser l'attention de Daesh dont la terreur sur les populations-cibles est un moyen parmi les plus prisés. Ce risque est faible dans la mesure où, malheureusement, il est beaucoup plus simple d'organiser une attaque terroriste classique avec des armes automatiques et des explosifs a fortiori quand on a parmi ces militants des personnes prêtes à mourir pour la cause.  Il est beaucoup plus compliqué d'organiser un attentat chimique parce que cela nécessite des compétences techniques incomparablement supérieures au maniement d'une Kalachnikov. Le risque est faible et c'est la raison pour laquelle ce type d'attentat ne se produisent pas très souvent. Mais ce risque ne doit pas être écarté.même s'il est beaucoup plus faible qu'un attentat conventionnel. On reprocherait aux autorités de ne pas se préparer si ce risque, même faible, arrivait à se matérialiser. 

Comment se prémunit-on de ce type de menaces ? Peut-on les anticiper ? Et surtout, que fait-on une fois qu'une telle attaque a eu lieu, nos moyens sont-ils suffisants ?

C'est d'abord le travail des services de renseignement et de sécurité de faire en sorte de surveiller les réseaux susceptibles de commettre ce type d'attentats. Quand l'attentat a lieu, le plan Piratox met en œuvre un certain nombre de moyens avec des équipes entraînées, du matériel spécialisé à l'instar du sulfate d'atropine, mais aussi les sas de décontamination, qui permettent de décontaminer les victimes avant de les envoyer vers des centres médicaux, des chambres et des structures hospitalières adaptées à des personnes gravement intoxiquées. C'est l'objet même du plan Piratox. C'est toujours difficile de calibrer des moyens pour un évènement qui ne s'est jamais produit mais nous disposons de dispositifs solides et pérennes. Sauf preuve du contraire mais on ne le saura que le jour où un attentat chimique se sera produit sur le territoire français. Mais  nos dispositifs sont solides, existent depuis longtemps et sont doublés d'exercices réguliers dans les stations de métro. Les pompiers eux-mêmes sont entraînés. Il est très difficile de juger de la qualité des dispositifs tant qu'un évènement réel ne s'est pas produit mais on a des plans, des personnels, du matériel pour y parer.

Si une attaque chimique devait arriver à Paris, le premier réflexe serait de circonscrire les lieux de l'évènement pour éviter des contaminations supplémentaires, de bien isoler. Il faudrait traiter les victimes le plus rapidement possible avec les traitements adéquats, en étant capables d'identifier très vite l'agent chimique utilisé grâce à des prélèvements, des analyses,  des systèmes d'identification. Ensuite, toute la chaîne sanitaire normale se met en place : traitement, décontamination et ensuite répartition des victimes dans les différents hôpitaux. 

Comment faut-il réagir face à une attaque toxique ?

Tout dépend du type de gaz employé. Les gaz ypérites sont des toxiques qui sentent. Ils provoquent des brûlures et, à plus haute dose, des œdèmes pulmonaires. Ce ne sont pas les produits les plus dangereux car leur odeur les rend détectables. Il faut alors s'éloigner, se tenir à 90° du sens du vent et se nettoyer très rapidement si l'on a été touché par des gouttelettes. Dans un train ou une rame de métro, il faut évacuer les passagers et les faire prendre en charge médicalement le plus vite possible. La Brigade des Sapeurs Pompiers de Paris est équipée de chaînes de décontamination, de détecteurs chimiques et de produits de traitement.

Le chlore est le deuxième type de gaz toxique. C'est un produit suffoquant. Mais il en faut de tellement grandes quantités que ce n'est pas une menace crédible dans le métro : un kilo de chlore ferait pleurer les yeux et tousser mais ne tuerait personne.

Ensuite, il y a les gaz neurotoxiques comme le sarin. Ce sont des gaz qui ne sentent pas et qui, surtout, ont des effets à très faible concentration : un kilo de sarin peut permettre de tuer 1000 personnes, soit une rame de métro. Les effets sont instantanés et il n'y a quasiment rien à faire à part organiser une prise en charge médicale extrêmement rapide avec du sulfate d'atropine et des substances permettant d'agir sur le blocage consécutif du système nerveux. D'où la décision qui a été prise par le service des armées le 18 novembre 2015 d'approvisionner en seringues auto-injectables les hôpitaux parisiens. En cas d'attaque au sarin dans le métro, il faut se protéger les voies respiratoires avec un tissu et respirer le moins possible. Il ne faut donc surtout pas courir. Au Japon, les personnes qui sont mortes suite à une telle attaque sont celles qui avaient touché le sarin avec les mains ou qui étaient trop près de la concentration. Il faut s'éloigner doucement, ne pas respirer fort, économiser son oxygène, sortir au grand air et se mettre face au vent.

Le risque terroriste semble d'abord passer par les attaques à main armée ou les bombes et moins par les armes bactériologiques. Pourquoi n'a-t-on jamais eu à affronter d'attaques de ce type en France auparavant ? Ce risque est-il d'abord "fantasmé" ? Est-ce "moins facile" ?

Ce risque n'est pas fantasmé. Il s'agit juste d'une question de difficultés techniques. Si c'était plus facile d'organiser un attentat chimique, on en aurait déjà eu sur notre territoire ou ailleurs depuis longtemps. Or, comme il y a un certain nombre de barrières techniques à franchir, notamment la fabrication de l'agent chimique lui-même, ensuite sa militarisation, c'est-à-dire comment le coupler à un système de dissémination, ces barrières techniques expliquent pourquoi ce type d'attentats est extrêmement rare et leur probabilité reste faible, voire nulle. A Tokyo, dans un contexte un peu particulier, on avait affaire à une secte millénariste qui disposait d'énormément d'argent, il y avait parmi ses adeptes des chimistes de très haut vol, elle a pu aussi bénéficier des infrastructures et de la facilité sur le territoire japonais à accéder à un certain nombre de technologies et de matériels. Elle a aussi disposé de beaucoup de temps pour fabriquer cet agent chimique, ils ont donc réussi à synthétiser quelques litres de gaz sarin. Heureusement qu'ils ne l'ont pas disséminé de façon très efficace. Il faut rappeler que les attentats de la secte Aum à Tokyo ont quand même fait beaucoup moins de morts que les attentats de Paris même si le produit était particulièrement toxique. Il ne suffit donc pas seulement d'être capable de produire un agent chimique militaire, il faut aussi être capable de le militariser, c'est-à-dire de le coupler à un système de dissémination. Les 12 morts et les mille blessés de l'attaque de mars 1995 au Japon prouvent que même si on arrive à synthétiser un agent chimique militaire, on n'a pas la certitude d'obtenir la destruction massive. Ce scénario est imaginable en Europe aussi même s'il est très peu probable : Daesh met la main, en Irak ou en Syrie, sur quelques kgs d'un agent neurotoxique fabriqué dans le cadre du programme chimique militaire syrien ou irakien, conservé dans un obus. Daesh parvient à faire voyager ces quelques kgs d'agent neurotoxique sur le territoire européen où il le couple à un système de dissémination, mécanique par exemple, et l'installe dans une station de métro ou dans un point de connexion important type la station Châtelet-Le Halles à Paris et dissémine l'agent dans le système d'air forcé de la station. Voilà à quoi pourrait ressembler un attentat chimique perpétré par Daesh.  Mais l'hypothèse de voir l'organisation mettre la main sur un tel agent est très peu probable, de les voir en fabriquer l'est très peu aussi. Les voir mettre la main sur d'anciens stocks irakiens est hypothétique car ces produits, comme les yaourts, ont des dates-limites de consommation, assez courtes, et qui se dégradent ensuite très rapidement. Il faut ensuite le faire venir en Europe, le militariser, ce qui peut s'avérer très compliqué, mais ce scénario n'est pas ubuesque.

Le potentiel de ces armes est énorme si elles sont militarisées comme on l'a vu dans la banlieue de Damas il y a deux ans, quand elles se sont avérées extrêmement toxiques. Utilisées de manière moderne, ces armes ont un potentiel de destruction énorme. La secte Aum s'était contentée d'un sac plastique rempli de sarin simplement piqué avec des pointes de parapluie et donc l'agent chimique s'était simplement évaporé mais il ne s'agit pas d'un mode de dissémination efficace, comme peut l'être une dissémination mécanique par un système d'air forcé, de climatisation.

Les neurotoxiques comme le gaz sarin sont désignés sous deux  noms, soit organo-phosphorés,  ce qui évoque leur structure, soit neurotoxiques, qui se réfère à leurs effets. Les neurotoxiques agissent au niveau de la transmission nerveuse, du synapse, en inhibant une enzyme qui s'appelle l'acétylcholinestérase, ce qui perturbe la transmission nerveuse. Le sulfate d'atropine a le mérite de saturer ce récepteur et donc d'empêcher le neurotoxique de se fixer sur les synapses. et de provoquer ces dégâts. Il est utile car il permet de réduire les effets du neurotoxiques mais il faut qu'il soit appliqué très rapidement, quasiment dès le contact avec l'agent. Le sulfate d'atropine ne protège que contre les neurotoxiques organo-phosphorés, pas contre les autres, les gaz irritants et les gaz suffocants. Les neurotoxiques sont les plus difficiles à fabriquer donc ce ne sont pas les plus fréquemment utilisés. Le gaz le plus souvent utilisé, que l'on retrouve dans tous les évènements de guerre, que ce soit inter-étatique ou civile, c'est le gaz-moutarde, inventé et testé pour la première fois pendant la Première Guerre mondiale. Pendant la guerre Iran-Irak, Saddam Hussein utilisait aussi des neurotoxiques mais également et principalement du gaz-moutarde. Il s'agit de sulfure d'éthane dichloré utilisé le plus souvent avec du chlore dans le cas d'évènements chimiques militaires. On ne peut s'en prémunir qu'avec un masque à gaz et une combinaison SVC adaptée comme pour tous les gaz qui peuvent se respirer et passer à travers une muqueuse. Car chaque agent chimique a son protocole thérapeutique. 

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