En guerre contre l’Etat islamique : allons-nous être obligés d’apprendre à la dure que nous ne sommes plus une grande puissance ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La france a beaucoup réduit dans le budget de la défense.
La france a beaucoup réduit dans le budget de la défense.
©Reuters

Ex-gendarme du monde ?

Les attentats dont la France a été victime vendredi 13 dernier à Paris remettent en questions les réponses que le pays peut donner en termes de moyens. Si autrefois la France était une des plus grandes puissances, depuis 20 ans elle ne se donne plus les moyens d'en rester une, et les attaques de Paris en sont une conséquence.

Jean-Bernard Pinatel

Jean-Bernard Pinatel

Général (2S) et dirigeant d'entreprise, Jean-Bernard Pinatel est un expert reconnu des questions géopolitiques et d'intelligence économique.

Il est l'auteur de Carnet de Guerres et de crises, paru aux éditions Lavauzelle en 2014. En mai 2017, il a publié le livre Histoire de l'Islam radical et de ceux qui s'en servent, (éditions Lavauzelle). 

Il anime aussi le blog : www.geopolitique-géostratégie.fr

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Si autrefois la France était une des plus grandes puissances, sommes-nous entrain de constater qu'aujourd'hui ce n'est plus le cas, et que nous désirons avoir sur la scène internationale une place aussi importante que celle des USA, mais sans y mettre les moyens ? Qui est responsable de cet échec ? Comment pouvons-nous l'expliquer ?

La France depuis 2012 a eu en effet une politique étrangère et militaire en Europe de l’Est et au Moyen-Orient de suivisme des Etats-Unis alors même que nous n’avions ni les mêmes intérêts dans ces régions qui constituent nos « portes orientales » ni les même moyens pour les défendre.

Pour les Etats-Unis l’objectif stratégique est de maintenir autant que faire se peut la primauté mondiale qu’ils ont acquise en 1990 grâce à la chute de l’URSS. Pour nous, ces régions qui sont proches de notre territoire concernent directement notre sécurité et notre développement. A son arrivée au pouvoir, François Hollande n’a pas perçu cette différence fondamentale d’intérêts et  a engagé la France dans une politique de suivisme de celle des Etats-Unis.

Rappelons le contexte de la crise en Irak et en Syrie qui, en 2012, n’en était encore qu’à ses prémices. En 2012  lorsque la révolution syrienne a commencé, les Etats-Unis avaient deux alliés de longue date : l’Arabie Saoudite et la Turquie, membre de l’OTAN. En Irak, dont ils avaient évacué toutes leurs forces fin 2011, ils avaient mis en place un premier ministre, Al Maliki, qu’ils contrôlaient de moins en moins et qui menait une politique sectaire en s’appuyant uniquement sur la communauté shiite alors que la constitution élaborée par les américains prévoyait une participation au pouvoir des Kurdes et des sunnites. Tous les ingrédients du drame que nous connaissons aujourd’hui étaient en place. Profitant de ce que l’Occident percevait les rebellions en Syrie comme un printemps arabe, le Roi wahhabite d’Arabie Saoudite, et le frère musulman Erdogan ont, dès l’origine des troubles, financé et armé les rebelles espérant liquider rapidement le pouvoir laïque et alaouite syrien tant pour des raisons politiques que confessionnelles.

L’erreur stratégique que j’ai dénoncée dès 2012 a été, pour la France, de ne pas percevoir trois aspects essentiels de cette crise :1) la capacité de résistance du régime syrien. En effet, toutes les minorités religieuses, qui vivaient en paix sous la dictature d’Assad, dont les chrétiens d’Orient, et qui représentaient  35% de la population, ont perçu dès le début le caractère confessionnel de cette rébellion et ont compris qu’il s’agissait pour eux résister ou de mourir. 2) l’Iran shiite d’une part, qui historiquement s’oppose à l’Arabie Saoudite et soutient le Hezbollah libanais via la Syrie et d’autre part la Russie, qui possédant depuis les année 50 une base maritime à Tartous, n’auraient jamais laisser tomber le régime syrien.3) A partir de juin 2014 alors que l’Etat islamique se dévoilait au grand jour en s’emparant de la ville de Mossul, les américains et nous avons cru qu’une intervention aérienne  suffirait à le contenir alors même que sans troupes au sol on ne peut gagner une guerre. Et en Syrie les seules forces qui se battaient contre Daesh étaient les forces de l’Etat syrien et c’est en cela que la stratégie du ni ni de François Hollande constituait une nouvelle erreur.

Tous les experts français de cette région avaient perçu les risques que faisait courir à la France de l’erreur d’évaluation de ces composantes[1]. Alors que nous aurions dû conserver la position de médiatrice et la neutralité qui sont une tradition de la diplomatie française (cf la position de Jacques Chirac sur la guerre d’Irak), nous avons participé modestement aux frappes aériennes américaines en Irak puis plus récemment en Syrie[2], nous désignant aux yeux de Daesh comme une cible beaucoup plus atteignable que les Etats-Unis et cela d’autant plus d’autant que nous avons laissé s’implanter en France le radicalisme des salafistes et des frères musulmans dont les imans distillent la haine dans près d’une centaine de Mosquées.

Est-on capable aujourd'hui de faire des projections sur des théâtres d'opération extérieurs sachant que nous ne contrôlons pas l'intérieur du pays ?

Depuis plus de 25 ans nous diminuons à la fois notre effort de défense les effectifs de nos forces armées, de la gendarmerie et de la police en croyant que plus de technologie nous permet d’entretenir moins d’hommes. Mais comme le rappelait le Colonel Michel Goya 3] : « Dans un pays qui produit pour plus de 2 000 milliards d’euros de richesse chaque année, moins de 50 sont prélevés pour assurer la défense de la France et des Français, pour environ 850 consacrés aux autres actions publiques et sociales. Pire, cet effort diminue régulièrement depuis vingt-cinq ans. Si, en termes de pourcentage du PIB, la France mondialisée faisait le même effort que la France de 1990, c’est entre 80 et 90 milliards qui seraient consacrés à la sécurité et à la défense ».

Oui nous avons la capacité d’intervenir dans le Sahel et en Afrique où n’existent pas encore des forces d’islamistes radicaux aussi bien organisées qu’au Moyen-Orient et nous le faisons avec efficacité dans le cadre de l’opération Barkane.

Mais s’être engagé au Moyen-Orient aux côtés des Etats-Unis sans avoir pris la mesure des risques que cette action nous faisait courir sur le plan de la sécurité intérieure est pour moi la plus lourde faute de François Hollande. C’est ce que j’écrivais fin 2013 en conclusion de mon livre: « Je soutiens que cette politique d’alignement sur les Etats-Unis à laquelle le Général de Gaulle s’était toujours opposée, dessert fondamentalement les intérêts de la France et des français. Elle ne peut qu’accroitre le chaos mondial, pénaliser notre développement économique et mettre en danger la sécurité des français. Malgré le travail admirable de nos services anti-terroristes nous allons devoir faire face dans les années à venir à des attentats sur notre sol qui seront liés directement à la politique partisane et irresponsable menée par notre gouvernement au Moyen-Orient et en Asie centrale. Elle ne sert que des intérêts particuliers ou étrangers qui ne sont pas ceux de la France »[4]

De quels leviers d'actions disposons-nous encore ?

La sécurité ce n’est pas la protection rapprochée et il ne faut pas confondre sécurité objective et la sécurité subjective destinée à rassurer la population et dont l’opération Sentinelle en est le meilleur exemple.

La sécurité est le résultat d’une stratégie systémique dont les 4 composantes dans un Etat de droit comme la France doivent être cohérentes : politique étrangère, politique de Défense, politique de sécurité intérieure et justice. Je viens de traiter plus haut les incohérences entre ces 2 premières composantes. Pour les deux dernières qui ne sont pas de mon domaine d’expertise je rappelerai que récemment les policiers ont manifesté arguant que plus d’un million d’heures supplémentaires n’étaient pas payées et qu’ils étaient épuisés : « Ce sont des milliers et des milliers d’heures par fonctionnaire qui se sont accumulées, avec des cadences souvent infernales, des récupérations souvent impossibles. Tout ça jusqu’à épuisement du fonctionnaire », indique France Info. Pour arriver à ce chiffre ahurissant, les policiers d’élite dénoncent des cadences infernales, des nuits sans dormir, des semaines sans repos. »[5].

De même, aux yeux de ceux qui luttent au quotidien contre le crime, notre politique pénale apparait totalement inadaptée alors même que le lien entre la petite criminalité et le terrorisme est souligné par tous les experts. Ainsi, un des terroristes des attentats du 12 novembre 2015 à Paris avait été condamné 8 fois pour des petits délits et n’était jamais allé en prison. Bien plus on met au placard ce qui disent la vérité à la représentation nationale. Le 18 décembre dernier, Le général Soubelet, haut fonctionnaire, numéro trois de la gendarmerie, lors de son audition devant la commission parlementaire de lutte contre l’insécurité, a créé un choc en déclarant que la politique pénale était « en décalage» avec les infractions constatées. Il avait poursuivi son raisonnement en expliquant que « le nombre d’incarcérations avait diminué de 33%, alors que, dans le même temps, il y a eu une hausse de 14% de personnes inquiétées par les services de la gendarmerie. Des propos choc, qui ne sont manifestement pas passés ».[6]

C’est donc a une remise en cause profonde de la cohérence des aspects régaliens de sa politique  que François Hollande doit d’urgence s’atteler. La sécurité des français le lui commande.



[1] . Moi-même, j’écrivais le 16 aout 2012 une analyse intitulée : « Syrie, une guerre confessionnelle », postée sur mon blog www.geopolitique-geostrategie.fr. Puis en Mai 2013 un autre article intitulé : « ce danger que fait courir la diplomatie française en refusant de reconnaitre, contrairement aux américains, la vraie nature de ce conflit », et publiés dans « Carnet de guerre et de crises », Lavauzelle, pages 100 et 10

[2] Nos interventions représentent moins de10% des actions aériennes

[4] Op.cit page 2014

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