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Un Rafale français engagé dans les opérations en Syrie.
Un Rafale français engagé dans les opérations en Syrie.
©Reuters

Stratégie

Après les attentats de Paris, la France va devoir redéfinir sa position dans le conflit syrien. Intensification des frappes sur l'Etat islamique ou alliance de circonstance avec Vladimir Poutine voire Bachar Al-Assad, plusieurs options sont sur la table.

Roland Lombardi

Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant et Directeur général du CEMO – Centre des Études du Moyen-Orient. Docteur en Histoire, géopolitologue, il est spécialiste du Moyen-Orient, des relations internationales et des questions de sécurité et de défense.

Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à la Business School de La Rochelle.

Il est le rédacteur en chef du webmedia Le Dialogue. Il est régulièrement sollicité par les médias du Moyen-Orient. Il est également chroniqueur international pour Al Ain.

Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment :

« Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104.

Il est l'auteur d'Israël au secours de l'Algérie française, l'État hébreu et la guerre d'Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.).

Co-auteur de La guerre d'Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d'Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022.

Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020. 

Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l'influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) - Préface d'Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

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Les attaques terroristes revendiquées par l'Etat islamique sont perçues comme un double échec de la politique de la France en Syrie. Quelles sont les leçons à retenir de ces attentats dans le cadre de notre politique étrangère ? Comment les politiques se divisent-ils sur le sujet, notamment au sein de la majorité ?

Roland Lombardi : Ces attentats sont surtout et d’abord le fait de l’échec de notre politique sécuritaire et migratoire. Qu’ont fait nos responsables depuis les attentats de janvier ? Pas grand-chose ou du moins pas assez… Pour exemple, en Tunisie, dès le lendemain des attentats de mars et de juin 2015, les forces de sécurité tunisiennes ont arrêté plus de 200 personnes et plus de 80 mosquées ont été fermées ! 

En France, quelles ont été les mesures prises après les attaques du journal Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher ? Qu’ont fait les autorités françaises après l’agression au couteau, en février, de militaires devant un centre communautaire juif à Nice, la tentative d’attentats contre des églises en avril, la décapitation d’un Français en juin, l’attaque du Thalys en août dernier et enfin, il y a peu, la tentative d’attaque de la base de Toulon ? Peut-être une dizaine d’arrestations en tout, une loi sur le renseignement, le déploiement de militaires devant des sites sensibles, l’interdiction de quitter le territoire pour ceux qui souhaiteraient rejoindre le jihad en Syrie (ce qui est une grave erreur) et enfin des numéros verts ! Même si nos services spéciaux et de renseignements font un travail remarquable, la tâche reste difficile car les « mesurettes » politiques citées plus haut ne vont pas assez loin. 

Oui nous sommes en guerre comme l’ont répété maintes fois nos ministres. Mais justement pour faire la guerre il faut s’en donner les moyens et accepter de faire évoluer notre logiciel mental. Dès les massacres de janvier dernier et profitant de l’émotion générale, il aurait fallu déjà fermer les frontières, déclarer l’Etat d’urgence et pourquoi pas adopter des mesures d’exception, comme celles prises dans les années 1960 contre l’OAS, voire même un Patriot Act à la française. Au lieu de cela, il y a quelques jours encore, nos élus étaient en train de débattre pour savoir comment les militaires pouvaient utiliser leurs armes dans les rues françaises ! On croit rêver ! Viennent aussi d’autres questions essentielles : pourquoi rien n’est encore fait pour aider l’Islam de France à s’organiser véritablement ? Que faire des milliers de Français partis faire le jihad au Moyen-Orient ? Que faire des 15 000 à 20 000 salafistes mais aussi des Frères musulmans (interdits je le rappelle en Egypte, en Russie et en Arabie saoudite) présents en France ? Pourquoi les 80 à 100 mosquées françaises décrites comme « dangereuses » n’ont pas été fermées ? Pourquoi les imams radicaux ne sont-ils pas expulsés ? Enfin, pourquoi les « 5 000 personnes dangereuses » présentes en France (de l’aveu même du Premier ministre) et ayant une fiche S ne sont pas inquiétées ? Beaucoup de questions auxquelles il faudra, après les scènes de guerre dans Paris de ce vendredi, apporter des réponses courageuses et fortes quitte à « contrarier » peut-être certains membres du gouvernement comme la ministre de la Justice… 

Concernant notre politique migratoire, l’angélisme de ces derniers mois est suicidaire. Non seulement car cette crise migratoire actuelle est un véritable danger géopolitique pour l’Europe puisqu’elle risque de fragmenter ses sociétés et que les infiltrations de terroristes sont inévitables… D’ailleurs, un des passeports, retrouvé hier et appartenant à l’un des terroristes, serait celui d’un réfugié ! S’il s’avère que le document est authentique et que son propriétaire faisait réellement partie du commando, cela accréditerait de manière brutale la thèse des infiltrations pourtant réfutée par nos bien-pensants…

Enfin, espérons que le drame d’hier soit au moins l’électrochoc salvateur (que j’évoquais déjà dans une interview en septembre) qui transformera nos dirigeants en vrais hommes d’Etat sur le plan intérieur comme sur le plan extérieur.

Quels impacts vont avoir ces attaques sur notre politique en Syrie ? Le gouvernement sera t-il obligé de reconsidérer sa position qu'il a jusque-là maintenu fermement ? L'utilisation récurent du terme "guerre" au sein du discour de Manuel Valls, signifie t-il une volonté particulière de préparer les esprits à une implication plus importante aussi sur le terrain ?

D’abord, écartons d’emblée l’analyse idiote de certains qui consiste à dire que ces attentats sont le résultat de nos frappes en Syrie et en Irak. N’oublions pas que la France combat le jihadisme aussi au Sahel et que même si elle n’était pas intervenue en Syrie et en Irak, nous aurions de toute façon, à un moment ou à un autre, connu le terrorisme. Rappelons aussi que la fameuse politique arabe de la France, durant des décennies, ne l’a jamais empêchée d’être frappée par le terrorisme moyen-oriental dans les années 1970, 1980, 1990 et 2000. De plus, quoiqu’elle fasse dans cette région, ne perdons jamais de vue que la France sera toujours considérée par les fondamentalistes comme une ancienne puissance coloniale et comme la nation des Croisés. Aujourd’hui, la France est le symbole de la Liberté et de la laïcité. Tout ce dont les islamistes exècrent !

Ensuite, d’aucuns souhaiteraient que l’on cesse les frappes sur Daesh. C’est la dernière des choses à faire. Ceux qui émettent cette solution ne connaissent rien de l’Orient et encore moins de nos adversaires. Ces derniers ne comprennent que la Loi du Talion et la force. Il faut, bien au contraire, intensifier nos actions et frapper encore plus fort ! Par contre, il est certain qu’il faut rapidement revoir notre position surréaliste dans la région. Si certains voient dans notre politique de la subtilité, nos ennemis n’y voient au contraire que faiblesse. Il faut impérativement jeter à la poubelle notre diplomatie économique et de l’émotionnel, pour revenir au pragmatisme et à la Realpolitik. Il est urgent de revoir certains de nos « partenariats » comme par exemple avec l’Arabie saoudite, la Turquie ou le Qatar… Il faut surtout prendre enfin conscience que nos vrais alliés dans la région sont Israël, l’Egypte d’Al-Sissi, la Russie et à présent l’Iran. Enfin, il faut que la France clarifie sa position, qu’elle redéfinisse ses objectifs et surtout, comme le fait toute nation entrant en guerre, qu’elle assure et protége « ses arrières », ce qui malheureusement n’a pas été fait jusqu’à présent. Car, au plus Daesh prendra de coups (il rencontre d’ailleurs actuellement des difficultés en Syrie avec les Russes et les Iraniens et en Irak avec les offensives kurdes), au plus il essaiera de « frapper » loin derrière le front syro-irakien, dans les endroits les plus fragiles, comme au Liban il y a quelques jours ou en Europe, le « ventre mou » de l’Occident. D’ailleurs, lorsqu’il sera aux abois, Daesh sera encore plus dangereux à l’extérieur, c'est-à-dire chez nous.

Peut-on imaginer une main tendue vers Bachar El Assad car il représente un moyen de sécuriser la région ? Quelles autres possibilités sont envisageables (une action terrestre ? autre ?)

Il faut l’espérer. Certes Bachar El-Assad est un dictateur sanguinaire mais pour l’heure, et le massacre de Paris vient de le confirmer tragiquement, il est un de nos alliés objectifs. Comme dans toute guerre, il faut hiérarchiser les priorités, les risques et les adversaires. Même si le régime a des responsabilités dans la naissance et la croissance du mouvement salafiste-jihadiste, n’oublions pas aussi le rôle plus qu’ambigu de la Turquie, du Qatar et de l’Arabie saoudite, nos « chers amis » ! En attendant, aujourd’hui, notre principal ennemi est  Daesh ! Notre posture concernant Assad est ridicule et malheureusement depuis quelques heures, elle en est devenue dramatique. Les services spéciaux allemands, italiens, espagnols et britanniques ont déjà repris langue avec Damas depuis plusieurs mois. Les Etats-Unis dialoguent aussi avec le « Boucher de Damas ». Dernièrement, même les Turcs et les Saoudiens, qui négocient avec Moscou, sont en train d’accepter les conditions russes et un éventuel maintien « provisoire » d’Assad au pouvoir. 

Concernant les possibilités de la France. Les intensifications des frappes sont possibles. Par contre, mis à part l’envoi de forces spéciales (ce qui se fait déjà), une action au sol n’est pas nécessaire. Les troupes terrestres si utiles pour vaincre Daesh sont déjà sur place. Ce sont en Syrie, les forces du régime d’Assad, le Hezbollah et les forces spéciales iraniennes. En Irak, ce sont les Kurdes, les milices chiites et l’armée irakienne ! Il faut simplement, comme essaie de le faire comprendre au monde le Président Poutine, que les deux coalitions, la russe et l’américaine, s’entendent enfin et unissent leurs forces pour écraser l’Etat islamique. Car en définitive, celui-ci ne sera finalement vaincu qu’à cette seule et unique condition.

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