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Attaques terroristes à Paris : affaibli en Syrie, comment l'Etat islamique cherche désormais à terrifier l'Europe pour exister
©Reuters

Terreur

Plusieurs attaques ont éclaté en plein Paris Vendredi soir, le bilan le lendemain s'élevait à 128 morts. L’État islamique a revendiqué Samedi midi dans un communiqué ces attentats. Alors qu'il est déstabilisé en Syrie, l'E.I. cherche désormais tous les moyens pour exister.

Alain Chouet

Alain Chouet

Alain Chouet est un ancien officier de renseignement français.

Il a été chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE de 2000 à 2002.

Alain Chouet est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam et le terrorisme. Son dernier livre, "Au coeur des services spéciaux : La menace islamiste : Fausses pistes et vrais dangers", est paru chez La Decouverte en 2011.

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Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Que sait-on à cette heure-ci sur la nature de ces attaques, et l'auteur de ces actes ?

Alain Chouet : Les médias ont largement rendu compte de la nature des attaques qui mettent en jeu pour la première fois en France des professionnels de la violence à détermination kamikaze, ce qui n’était pas le cas d’amateurs comme Sid Ahmed Ghlam, le tireur du Thalys ou « l’homme au couteau ». Quant à l’identification des assaillants, il est prématuré de se prononcer même si, d’après des témoignages convergents, il semble qu’ils étaient Français ou résidents de longue date en France.

Alain Rodier : Daesh a revendiqué les attentats de Paris et de la Seine St Denis du vendredi 13 novembre soir. Sans entrer dans le détail, une première analyse de ce texte diffusé en (bon) français permet de dire qu'il est crédible. Ce fait est important car il convient de déterminer qui est vraiment derrière ces actions terroristes. A savoir que ceux dirigés contre Charlie Hebdo en janvier de cette année étaient le fait d'Al-Qaida "canal historique" via sa filiale yéménite, Al-Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA). En effet, au moins un des deux frères Kouachi avait effectué un stage de formation au Yémen. Certes, Amedy Coulibaly, l'auteur de la mort d'une policière municipale et d'un agent de la voirie puis de l'action terroriste dirigée contre l'Hypercasher porte de Vincennes s'est revendiqué de Daesh mais aucune déclaration officielle n'est venue confirmer les dires de ce pistolero recruté par les frères Kouachi qui l'avaient connu en prison.

Depuis plusieurs mois, les menaces pesaient sur tout le pays, et plus particulièrement sur la capitale. S'attendait-on à des attentats d'une telle ampleur ?

Alain Chouet : Cela fait presque un an que les services de renseignement agitent le drapeau d'alerte pour essayer de faire comprendre que, le jour ou l'EI perdrait pied militairement sur le terrain, il dégénérerait stratégiquement (comme al-Qaïda dans la période 1998-2001) et dériverait vers ce genre d'action pour continuer de conserver une crédibilité, d'exister politiquement et de recevoir des soutiens extérieurs.

Nous sommes arrivés à ce point.

Que doit-on retenir de ces attaques ? Qu'est-ce que cela veut dire de la stratégie de l’État islamique en Occident ? Que cherchent-ils ?

Alain Chouet : En affaiblissant réellement sur le terrain les forces militaires de l’Etat islamique et de différents groupes djihadistes, l’intervention conjuguée des forces russes en Syrie et kurdes en Irak contraint les responsables politiques et militaires salafistes à revoir leur dispositif et à manifester une capacité de nuisance « universelle ». Les attentats de Paris s'inscrivent dans la continuité de l’attentat contre l’avion russe en Egypte, des attentats anti-chiites de Beyrouth et Baghdad et sont sans doute le prélude à d’autres attentats dans les pays occidentaux membres de la coalition. Affaibli sur le terrain, l’Etat islamique va tenter de susciter des tensions violentes et un mur de haine entre les communautés musulmanes résidant en Europe et les pays d’accueil. Le meilleur moyen d’y parvenir est de contraindre ces pays d’accueil à des mesures coercitives difficiles à différencier et à moduler contre les communautés musulmanes.

Alain Rodier : Cela semble accréditer la thèse du changement de stratégie de Daesh. En effet, ce mouvement salafiste-djihadiste concentrait ses efforts sur la guerre qu'il mène sur son berceau syro-irakien et dans ses "provinces" (wilayat) Sinaï, libyenne, nigériane et afghane. Le tournant semble être marqué par les attentats récents dirigés contre l'Airbus russe de Charm-el-Cheikh (information sûre à 90%) et celui contre le Hezbollah libanais à Beyrouth. Cela est très inquiétant car cela préfigure vraisemblablement une série d'autres actions terroristes de par le monde. Daesh veut "exister" via ces opérations destinées à terroriser ses ennemis "impies".

Il faut être convaincu d'une chose : la France est en guerre contre les organisations salafiste-djihadistes (Al-Qaida "canal historique" et Daesh) et il convient que nos concitoyens en soient persuadés. Cela va influer sur la vie de tous les jours et aura, en particulier un impact économique dont la société se serait bine passée. Nous sommes attaqués et la riposte doit être à la mesure de l'agression -les combats politico-politiciens typiquement franchouillards doivent pour une fois être mis au moins temporairement en arrière-plan-. Et surtout, point de fatalisme, il faut "résister" comme les Britanniques l'ont glorieusement fait contre les bombardements nazis de 1941.

Quelles réponses possibles la France pourra t-elle donner ? Peut-on s'attendre à un renforcement de la coalition avec la Syrie ?

Alain Chouet : Même si ses citoyens n’en avaient pas clairement conscience parce que les choses se passent loin, la France est en guerre sur plusieurs fronts au Sahel et au Moyen Orient. Elle en subit les conséquences mais ne peut décréter l’état de guerre sur son propre sol sans faire le jeu des djihadistes. Dans la mesure où on ne peut mettre un gendarme derrière chaque citoyen, la menace perdurera autant qu’existeront en Syrie, en Irak, au Sahel de vastes zones contrôlées par les criminels islamistes. Il est donc plus que jamais urgent de mettre fin à l’existence de ces zones de non-droit et à y rétablir l’autorité d’Etats responsables même si leur système politique ne nous satisfait pas.

Dans son communiqué, l’État islamique met en garde en écrivant que "ce n'est que le début de la tempête". La guerre est-elle clairement déclarée ?

Alain Chouet : Il y a une part de rhétorique dans cette affirmation. Les responsables de l’EI ne vont évidemment pas dire : « On vous a frappés très fort et on s’arrête là ». En vue de mobiliser leurs partisans et de faire basculer en leur faveur les esprits faibles, ils ont tout intérêt à maintenir leur pression terroriste beaucoup plus facile à mettre en œuvre que des ripostes militaires sur le terrain et beaucoup plus mobilisatrices en direction de l’ensemble du monde musulman.

Oui, la guerre est déclarée, mais elle n’a pas été déclarée aujourd’hui. Elle existe depuis que nous avons toléré, et parfois encouragé, l’existence de bandes armées salafistes et elle continuera tant que nous ne les aurons pas éradiquées par une démarche collective et résolue associant nos partenaires des pays arabes et musulmans.

Alain Rodier : Afin de prendre un peu de recul, il convient de noter que Daesh subit certains reculs sur le front syro-irakien. Il serait toutefois faux d'affirmer qu'il est en passe d'être vaincu. Tout au plus, il n'est plus en "odeur de victoire". Ce fait est très important car il peut ternir engouement que connaît le mouvement depuis sa création en juin 2014. Or, Daesh est très dépendant de l'apport de volontaires étrangers qui viennent renforcer ses rangs estimés entre 30 000 à 50 000 combattants, ce qui est peu pour contrôler l' "État" Islamique (EI). Déclencher une vague de terreur à l'étranger (en dehors du foyer syro-irakien) lui permet d'exister.

Vous expliquez que l'Etat islamique est affaibli en Syrie. Peut-on imaginer qu'il cherche alors à affecter l'Europe à travers les flux de réfugiés ?

Alain Chouet : Jusqu'à présent, l'Etat Islamique ne s'est pas encore servi des ces flux migratoires, car ils représentaient trop de risques pour eux. En revanche, maintenant que l'Etat islamique perd de plus en plus de terrain et se sent attaqué, il se peut qu'il cherche à utiliser tous les moyens pour exister, et cela va se révéler être de plus en plus compliqué.

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