Sommet de Malte sur l’immigration : l’heure de la facture de l’offensive de Merkel sur les migrants a sonné <!-- --> | Atlantico.fr
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Angela Merkel
Angela Merkel
©Reuters / Hannibal Hanschke

Divorce

Si Angela Merkel donne le ton depuis plusieurs années à l'UE, elle se fait aujourd'hui réprimander par l'Europe et ses partenaires. Donald Tusk a appelé notamment dimanche la chancelière à être plus ferme: "En tant que pays de l'Europe, l'Allemagne a la responsabilité de contrôler les frontières extérieures à l'UE, de manière énergique si nécessaire". De quoi remettre en question le leadership qu'elle avait jusqu'ici sur l'Europe.

Ulrike Guérot

Ulrike Guérot

Ulrike Guérot est l'ancienne directrice du bureau berlinois du Conseil européen des relations étrangères. Elle a travaillé pendant vingt ans dans des think-tanks européens et a enseigné en Europe et aux Etats-Unis. Elle est la fondatrice et directrice de l'European Democracy Lab à l'European School of Governance de Berlin.

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Guillaume Duval

Guillaume Duval

Guillaume Duval est rédacteur en chef du mensuel Alternatives économiques, auteur de La France ne sera plus jamais une grande puissance ? Tant mieux ! aux éditions La Découverte (2015) et de Made in Germanyle modèle allemand au-delà des mythes aux éditions du Seuil et de Marre de cette Europe-là ? Moi aussi... Conversations avec Régis Meyrand, Éditions Textuel, 2015.

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Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Atlantico : Est-ce que dans ce cadre, et au vue de la position des autres pays face à l'Allemagne, nous pouvons y voir une fin du leadership allemand ? 

Roland Hureaux : Angela Merkel donnait le ton parce que les autres chefs d'Etat l'acceptaient, en particulier le président français où le régime de l'euro, plus favorable à l'économie allemande qu'à l'économie française a réveillé les vieux complexes que nous avons hérités de la guerre.

Mais bien peu en Allemagne la considéraient comme un "grand homme". 

Ses déclarations selon lesquelles l'Allemagne était prête à accueillir un million de réfugiés ont suscité un immense espoir dans les pays en guerre, spécialement en Syrie, et dans d'autres qui ne le sont pas, même si l'Allemagne, comme les Etats-Unis et la France, ont une responsabilité lourde dans la perpétuation de cette guerre. 

Aujourd'hui le flux de réfugiés continue d'augmenter car le message que l'Allemagne s'était fait moins accueillante n'est pas encore  passé. Il faudra peut-être plusieurs mois, au moins si les populations concernées veulent l'entendre .

L'Allemagne n'a normalement pas, vu sa position géographique, la responsabilité de la frontière extérieure de l'espace Schengen. Mais pour l'atteindre, il faut traverser des pays comme la  Slovénie, la  Slovaquie, la Tchéquie et surtout la Hongrie, la Pologne et l'Autriche qui ont été gravement déstabilisées par ces flux. Si encore les "refugiés" partaient directement en Allemagne, ces pays pourraient se débarrasser du problème mais l'Allemagne, au bout d'une semaine, sous la pression de l'opinion publique s'est faite moins accueillante et elle se trouve donc avec des milliers de réfugiés, vrais ou faux qu'importe, dont elle ne sait que faire. 

Ces pays ont donc le sentiment qu'Angela Merkel a fait preuve d'une grave irresponsabilité, et de désinvolture à leur égard. On les comprend. Donald Tusk est, certes, très proche des Américains qui veulent cette migration, mais il est aussi polonais, un pays qui n'est pas tout à fait en première ligne mais où l'opinion publique réagit très mal aux projets allemands.

Cette contestation du comportent du gouvernement allemand n'est certes pas la fin de la suprématie allemande, mais le prestige d'Angela Merkel a été singulièrement atteint. D'autant qu'elle s'est aussi comportée de manière irrationnelle sur d'autres terrains. Ainsi, elle est allée soutenir Erdogan en campagne électorale alors que le président turc est responsable à la fois de l'afflux de djihadistes en Syrie et du passage de milliers de réfugiés en Europe, lesquels transitent par son territoire. Il pourrait empêcher ces flux s'il le voulait mais il est clair qu'il ne le veut pas. Le même Erdogan est venu insulter les Français à Strasbourg, puis les Européens à Bruxelles sans que personne ne réagisse. Non seulement, il ne fallait pas lui faire de promesses, mais il fallait le menacer de lui retirer tous les avantages que son statut de candidat à l'Union européenne lui vaut, s'il ne cesse pas de jeter le trouble. Le comportement d'Angela Merkel est parfaitement incompréhensible. Erdogan est beaucoup plus dangereux pour nous qu'Assad et nous allons lui permettre d'emporter les élections ! Qui comprend ?

Quant à l'Allemagne dans son ensemble, elle reste un pays puissant et prospère mais l'affaire Volkswagen a aussi porté atteinte à son prestige et sans doute révélé certaines failles cachées. 

Guillaume Duval : Angela Merkel a effectivement pris une position claire et tranchée sur la question des réfugiés syriens. Elle y a perdu des soutiens ainsi que l’aval de 16% de l'opinion allemande, pour atterrir à 54%. Cela reste suffisant pour nuancer car plus de la moitié des Allemands la soutienne, mais elle était à 70% en début d’année.

L'Allemagne ne pourra s'en sortir en Europe que si elle accepte de desserrer l'étau d'un point de vue budgétaire. En aucun cas elle ne parviendra à convaincre les Polonais, les Hongrois ou les Tchèques d’héberger des réfugiés, si l'Europe ne paye pas pour les aider à en accueillir, ou les autorise à s'endetter pour résoudre la crise. Est-ce que l'Allemagne peut accepter une sorte de plan Marshall pour les réfugiés ? C’est-à-dire, qu'on s'endette tous ensemble dans de bonnes conditions ? Pour le moment, c'est un tabou surtout dans le camp d’Angela Merkel.

Il y a un affaiblissement interne indéniable de la position de chancelière qui aboutit  à un affaiblissement en Europe.

Cependant, nous pouvons nous interroger quant aux choix qu'elle avait. Du côté de l’Europe de l’Ouest, elle a pu affirmer sa position morale, et sur ce point-là, je ne crois pas qu'elle ait pu affaiblir la position allemande au niveau européen. Néanmoins, elle a contribué à renforcer le lourd problème qui existait déjà au niveau de l'Europe centrale et orientale. En défendant une politique d’ouverture, elle a fragilisé sa position vis-à-vis d'eux. Reste à savoir si la position de ces pays est défendable… Seulement, sa relation avec les pays à l’Est et notamment la Pologne, représente un réel problème pour elle, et cela peut l’affaiblir et lui porter préjudice. Que peut-elle faire pour inverser cette situation ?

Ulrike Guérot : Il y a un tiraillement fort évidemment. L'Allemagne se retrouve seule et perd petit à petit tous ses partenaires européens. En Europe de l'Est, certes, mais aussi en France par exemple. Les seuls qui ont suivi l'Allemagne sont l'Italie et la Grèce, que nous avons pourtant laissés seuls depuis longtemps. L'Autriche et la Suède ont également essayé de faire quelque chose. L'Allemagne se heurte effectivement à une grande solitude vis-à-vis des autres partenaires. La situation est complexe, car elle met en lumière le fait que le mécanisme institutionnel de l'Europe ne fonctionne pas. Tous les rouages de l'Europe tournent à vide. Apparemment l'Union Européenne n'est pas capable de mettre en œuvre ses propres décisions. Ainsi on se demande jusqu'où cela va aller ? Cela apparait comme une crise de l'Allemagne, parce que le pays a pris une décision contre l’Europe et qui n’est pas suivie. L'instrument de l'Europe ne fonctionne pas. Soit nous répondons à cette crise en tant qu'Union européenne, soit nous ne répondons pas. Si nous ne répondons pas en tant qu'Union européenne, l'Union européenne est finie.

Je pense qu'effectivement, le fait qu'Angela Merkel se soit enfermée dans une vision déterminée sur les migrants a contribué à l’isoler et à lui faire perdre un certain leadership qu’elle avait en Europe. Jusque là, l’Allemagne avait toujours deux instruments pour huiler la politique européenne : le pouvoir et l'argent. Les deux ne fonctionnent plus. Autrefois, si l’Allemagne voulait que les autres pays d’Europe fassent quelque chose qui aille dans son sens, soit elle leur disait de faire ce qu’elle voulait et elle dominait la politique, soit elle leur donnait de l'argent. Aujourd'hui, ces deux instruments ne fonctionnent plus. Ainsi, l'Allemagne est dans une position d'isolement, et comme l'Allemagne est le cœur de l'Union Européenne, l'Europe tourne à vide. Les réfugiés ne sont que l'avant-garde du problème. C’est-à-dire qu'il s’agit du pépin, qui va permettre, ou pas, à l'Europe de faire des choix qui dicteront son avenir. Nous sommes jetés et projetés dans un nouveau monde.

Quelle aurait été la réponse des autres pays à la place d’Angela Merkel ? On ne peut pas faire un mur autour de l'Europe, on ne peut pas les tuer, les laisser se noyer dans la Méditerranée. Quand ils arrivaient, que faillait-il faire ? Les autres n'ont rien fait. Personne n'a eu une meilleure solution.

Je pense que l’ouverture du sommet va être très tendue car tout le monde sent qu'Angela Merkel est en train de perdre le soutien dans ses propres rangs, et si elle perd le soutien de l'Europe depuis quelques temps, le soutien de ses propres rangs est assez récent. Il faut une réponse européenne : l'Europe ne peut pas fermer les yeux sur la crise et la Chancelière va essayer de se battre au maximum pour trouver une réponse à cette crise. Elle garde heureusement le soutien du SPD qui la porte peut-être plus que son propre parti.

N'est-elle pas en train de s'enfermer dans une vision idéaliste sur l'immigration, qui peut la conduire à sa perte ?

Roland Hureaux : Merkel n'est pas seulement une idéaliste; elle est aussi une bête politique habile à se faire élire mais totalement dépourvue de vision à long terme. Elle gouverne aux sondages. Au départ, l'arrivée des migrants avait été bien accueillie par le patronat allemand et par les Eglises. Merkel y était donc favorable. Mais l'opinion publique a réagi, notamment dans l'ancienne Allemagne de l'Est où la xénophobie est très grande et en Bavière. Le comportement des migrants a aussi refroidi beaucoup d'Allemands. Elle a donc évolué un peu, quoique moins que son parti, la CDU, qui s'oppose désormais ouvertement à elle. Mais il est peut-être trop tard pour changer d'avis : le mal est fait. 

D'autre part, même si Merkel ne le clame pas sur les toits, elle reste tributaire de la vision technocratique de l'ONU, de l'UE selon laquelle, le déficit démographique de l'Europe et donc de l'Allemagne doit être compensé par l'accueil de quelques dizaines de millions de migrants. Depuis 25 ans, il y a des douzaines de rapport allant dans ce sens. Cette vision purent arithmétique ignore les immenses problèmes que posera alors le choc de cultures. Mais c'est ainsi. Dans la position de Merkel et de beaucoup de gens à Bruxelles, c'est ce genre de raisonnement abstrait qui prévaut.

Est-ce que la France se portera "au secours" du couple ? Quelle position François Hollande adopte-il ?

Roland Hureaux : Je vous rappelle que les Allemands ont horreur de cette expression de "couple". Il faut dire partenariat ou amitié. De toutes les façons les Français ont l'impression qu'il y a une alliance privilégiée alors que les Allemands ne le voient plus comme cela. 

Il reste que François Hollande s'est gardé de s'associer aux attaques contre Angela Merkel venues de l'Europe de l'Est  ou de son propre pays. Il ne l'a pas critiquée. L'a-t-il d'ailleurs jamais critiquée ? Et oserait-il ? 

Guillaume Duval : Ce qui me paraît le plus marquant c’est justement le silence des autorités françaises. Elles sont tétanisées par le Front National. Dans le contexte actuel, on pourrait penser que c’est largement à elles de jouer un rôle pour atténuer les tensions, conforter la position d’Angela Merkel et proposer des solutions pour régler la crise en Europe. Cela fait longtemps que le gouvernement est absent sur les questions européennes, mais là ça devient urgent à un moment où l'Europe traverse une période clé dans son histoire. Les autorités françaises restent silencieuses pour des raisons de politiques internes et en raison de la craintes du Front National à quelques semaines des élections régionales.

Wolfgang Schäuble, le ministre fédéral allemand des Finances a lui aussi pris le contre-pied de la chancelière sur la question des réfugiés. Angela Merkel, voyant ses alliés s'effacer peu à peu, pourrait-elle durcir sa position vis-à-vis des migrants ?

Roland Hureaux : Elle n'aura sans doute pas le choix mais, comme je vous le dis, le mal est fait: déjà un million de migrants, venus de Turquie ou de Libye sont arrivés. Ils attendent. Quoi ? On se le demande. Cette situation est dramatique.

Elle est encore plus dramatique si l'on considère que pour contrer en Syrie l'offensive des Russes, dont la victoire rapide serait la seule à même d'arrêter le flux de réfugiés, les Occidentaux, Américains et peut-être Français et Anglais, continuent d'aider les djihadistes en Syrie (pas Daesh, mais les autres qui ne valent pas plus cher, dont Al Qaida), ce qui va prolonger la guerre, retarder le retour de la paix et alimenter encore le flux de réfugiés. La moitié de la population de la Syrie, soit 12 millions d'habitants est aujourd'hui déplacée. Si la guerre ne s'arrête pas vite, les Syriens vont tous vouloir venir en Europe. Ca promet.

Guillaume Duval : Jusqu'à présent Angela Merkel a maintenu très fermement sa position. Elle a été soumise pourtant à d’intenses pressions visant à ce que le gouvernement allemand pose une limite maximale ; clarifiant et officialisant le nombre de réfugiés que le pays pouvait encore accueillir. Aujourd'hui, elle essaye de trouver des moyens vis à vis de la Turquie pour amoindrir la pression et la tentation qu'ont les migrants de venir en Europe. La vraie échéance pour elle, en termes de politique intérieure, ce sont les élections régionales en mars. Elle a quelques mois devant elle pour organiser l'accueil physique sur place, pour faire en sorte que les flux cessent d'augmenter, pour trouver des solutions et organiser ces flux à l'approche de l'hiver.

Ulrike Guérot : Nous ne savons pas ce qu'il va se passer et comment Angela Merkel va avancer sans le soutien de son camp. Le consensus au sein de la politique Allemande est en train d'être rompu. Dans ce cadre, le consensus européen ne sera quant à lui pas trouvé facilement. Angela Merkel a déjà modéré ses positions. Elle tente de négocier avec la Turquie pour avoir moins de migrants et elle est en consultation avec la Syrie pour voir ce qu'elle peut faire. Elle continue à faire évoluer ses positions. Elle tente entre autres de re-individualiser le droit d'asile, de revoir les droits accordés automatiquement aux Syriens. En outre, elle a réduit la durée d'une année. En ce sens, il y a déjà une marche arrière de l'Allemagne. Mais il y a malgré tout ces flux qui continuent d'arriver, et dont il faut bien s'occuper.

Est-ce que cela peut laisser des traces plus durables dans le leadership allemand européen ?

Roland Hureaux : Si l'Allemagne absorbe le million de réfugiés qui sera bientôt là et peut-être encore un ou deux dans les années suivantes, le flux continuant, l'affaire devrait laisser des traces durables dans la population européenne et singulièrement allemande.

Mme Merkel est peut-être accueillante mais les Allemands le sont beaucoup moins. Il faut rappeler que c'est dans ce pays que, avant même les flux de cet été, on incendiait le plus souvent des foyers d'immigrés.

L'histoire de l'Allemagne nous a habitués à une certaine instabilité de l'opinion publique. Aujourd'hui, le comble de la tolérance, demain le comble de l'intolérance. L'Allemagne que je crains, ce n'est pas d'abord celle qui accueille, c'est surtout celle qui pourrait bientôt faire une volte face à 180°.

Déjà l'Allemagne a des difficultés avec ses immigrés turcs qui, beaucoup plus qu'en France, vivent dans une situation d'apartheid. La modification importante de la population qui se dessine peut avoir des conséquences imprévisibles. Quand un pays est divisé entre plusieurs communautés religieuses, et qu'aucune ne domine, la guerre civile est inévitable. On l'a vu en Bosnie ou au Liban. Les Allemands qui ont connu au XVIIe siècle la guerre de Trente ans entre catholiques et protestants, laquelle a ruiné le pays pour deux siècles devraient le savoir.

Le leadership n'est pas seulement une question de puissance, il se passe aussi dans les esprits. Rien ne commandait l'incroyable servilité qui est celle de François Hollande depuis trois ans. La France, face à l'instabilité allemande aurait dû jouer un rôle modérateur. Mais François Hollande en était bien incapable. Cette défaillance est très grave pour l'Europe. 

Disons que, pour quelques temps encore, l'Europe ne sera gouvernée par personne parce que, une fois dissipées les illusions que l'on avait sur Angela Merkel, on s'aperçoit qu'aucun chef d'Etat ou de gouvernement n'a aujourd'hui, sur ce continent à la dérive la stature de leader. Ce n'est pas rassurant. 

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