Comment Internet donne une nouvelle jeunesse au plus vieux métier du monde<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Comment Internet donne une nouvelle jeunesse au plus vieux métier du monde
©

Prostwittution

Selon un dernier rapport parlementaire, Internet aurait entrainé de nouveaux modes de prostitution. Désormais, les "escort girls" se substituent peu à peu aux prostituées.

Laurent Mélito

Laurent Mélito

Laurent Mélito est doctorant en sociologie à l'EHESS/Centre Norbert Elias de Marseille. Ses travaux de recherches portent sur les pratiques prostitutionnelles par Internet. Il travaille à l'Institut Régional du Travail Social.

 

Voir la bio »

Depuis une dizaine d’années l’essor de l’usage des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) a considérablement modifié le champ de la prostitution en favorisant notamment  le développement de l’escorting. Il s’agit d’une prestation de service tarifée qui allie une relation d’accompagnement et des pratiques sexuelles. La nature, la localisation, la durée et le coût de la prestation sont tacitement contractualisés préalablement à la rencontre entre l’escort(e) et son/sa client(e). 

Si cette activité est exercée majoritairement par des femmes, les annonces d’hommes et de personnes transgenres sont de plus en plus nombreuses tant sur les sites spécialisés que sur les sites généraux.

Cette tentative de définition ne doit pas masquer la diversité des pratiques que le terme recouvre, lui conférant ainsi le statut de mot-valise aux contours flous et mouvants. Son usage peut être interprété comme une tentative pour déjouer les effets stigmatisants mais également réducteurs du mot  prostitution et le resituer dans le continuum des échanges économico-sexuels. 

Le constat du caractère hétérogène de ces pratiques ne doit pas décourager l'analyse réflexive tant cet état de fait est en lui-même gros d’enjeux cardinaux par rapport au débat actuel sur  l’abolition de la prostitution par la pénalisation de ses clients. 

Dans cette perspective, deux questions se posent et  permettent conjointement de décrire le cadre d’exercice et les pratiques des escortes et de contribuer au débat actuel et à la lecture de l’argumentaire de la résolution votée le 06/12/2011:

  • Comment et dans quelle mesure le cadre internet modifie-t-il les pratiques prostitutionnelles ?
  • Quelle typologie des pratiques est-il possible de repérer au regard notamment de ce que les escortes restituent de leur activité ?

Chercher à dénombrer les escort(e)s est un exercice périlleux du fait de la labilité du phénomène : les sites référencent des annonces plus ou moins personnalisées (et pas des personnes). Un(e) escort(e) peut multiplier les annonces qui peuvent être déposées simultanément ou successivement selon les stratégies de chacun(e) et ce sous des pseudonymes différents ou pas. Enfin, la cessation d’activité ne se traduit pas par un déréférencement automatique selon les sites. Plusieurs dizaines de milliers d’annonces sont ainsi accessibles dans ce cadre protéiforme.

Deux grands types de site référencent les annonces d’escort(e)s : des sites généraux  et des sites spécialisés (payants pour l’annonceur). Dans ces derniers,  l’espace de l’annonce permet à l’escort(e) de personnaliser son offre de service en se décrivant physiquement et en se donnant à voir (par la photographie), en explicitant sa pratique (et les limites qu’elle lui enjoint) et ses tarifs. Les prestations d’escorting sont tarifées à l’heure et non à l’acte comme dans la rue. Ces annonces sont également susceptibles de permettre l’accès au blog ou à la page personnelle de l’escort(e), s’ils existent (cette pratique est minoritaire), permettant au client d’affiner son choix et à l’escorte de se situer dans un rapport interactif avec sa clientèle en  "dynamisant"  sa prestation de service. 

Contrairement aux pratiques prostitutionnelles de rue dans lesquelles la rencontre entre l’offre et la demande, la contractualisation de la prestation sexuelle tarifée  et son accomplissement  se déroulent majoritairement dans une quasi-unité de temps et de lieu (de nombreux actes sexuels se déroulant en outre dans l’espace public) donc dans une dynamique marquée par la synchronie et l’immédiateté, les NTIC permettent un découplage de ces trois temps, créant ainsi des interstices et des espaces intermédiaires propices à l’étayage d’un rapport à l’activité original. 

Cette dissociation spatio-temporelle  de la construction de l’offre, de la contractualisation de la prestation (qui peut aller jusqu’à sa scénarisation) et de la rencontre d’escorting est susceptible de permettre de rendre compte de la réalité de l'acte dans ses dimensions multiples.

La construction de l’offre permet à l’escort(e) de préciser sans équivoque la nature de son implication (ce qu’elle pratique), ses limites (ce qu’elle ne pratique pas), les attitudes qu’elle/il réprouve et celles qu’elle/il apprécie, les conditions matérielles dans lesquelles peuvent se dérouler la rencontre (Comment entrer en contact avec elle/lui ; où elle/il accepte de pratiquer).  Elle/il y induit ou précise souvent son rapport à l’activité : occassionnel(le) ou régulier, amateur(e) ou professionnel(le). Enfin, sur Internet, l’annonce peut faire l’objet d’un travail permanent d’ajustement à différents types de contraintes (personnelles, économiques, juridiques, etc.) 

Avant le premier contact avec l’escort (par téléphone, le plus souvent ou par email), le client a donc pu prendre connaissance de ces informations. Si certains négocient les conditions de l’offre, celle-ci se fait à distance, ce qui permet à l’escort(e)  de mettre un terme à toute transaction qui prendrait un tour trop anxiogène ou discordant au regard de son annonce. C’est donc par la médiation d’une annonce, adjonction de texte et de photo, que le client projette sa demande. Majoritairement, l’escort(e) doit avoir l’apparence d’un(e) ami(e), voire du (de la) partenaire idéal(e) d’une heure, d’une journée, d’un dîner ou d’un voyage (d’affaire ou  pas). 

La contractualisation elle-même se fait le plus souvent par téléphone. A minima, elle précise le lieu, le coût et les pratiques engagés. Ce script fera office de balise lors de la rencontre (qui peut durer de moins d’une heure à une semaine voire plus). Cette médiatisation téléphonique et/ou informatique, par les traces qu’elle laisse, peut se révéler être également une ressource protectrice pour les escort(e)s en cas de violence ou de vol de la part des clients. A l’issue de cette phase qui ne dure que quelques minutes mais qui peut n’aboutir qu’après plusieurs entretiens et/ou échanges de mails,  rendez-vous est pris.

Les entretiens réitérés que nous avons eus avec des escort girls nous ont permis de dégager trois grands types de conception de l’escorting fondés sur la définition que chacune construit progressivement de son expérience de l’escorting au gré de son parcours personnel, de ses références socioculturelles.

  • Pour certaines escortes, cette pratique est verbalisée comme une relation sexuelle à connotation affective sans engagement : être payées leur permet de s’engager dans le présent de la rencontre et de l’acte sexuel en lui soustrayant toute dimension projective sur le plan affectif. Le registre professionnel n’est absolument pas mobilisé.
  • L’escorting comme relation d’assujettissement au sein de laquelle certaines escort girls se vivent dans le regard et dans les actes de leurs clients comme des marchandises, soit sous le registre de la soumission soit sur celui de la révolte auxquels cas elles renversent la relation d’assujettissement en associant ces derniers à  l’objet à dominer sans partage. Les personnes qui se situent plutôt sur ce registre  font souvent référence à l’escorting comme seule alternative possible à leur précarité socio-économique et/ou à leur absence de qualification.
  • L’escorting comme activité professionnelle contractualisée tacitement (à laquelle ne manquerait que le statut juridique). Ces escort girls se vivent comme des prestataires de service vendant de l’accompagnement érotique, de la santé sexuelle adaptés à la demande de leurs clients. A leurs yeux, la vente de services sexuels est une activité du tertiaire qui n’est pas dégradante et qui mobilise une éthique de la relation et des valeurs professionnelles. Ainsi ces personnes distinguent très clairement les pratiques sexuelles tarifées de celles qui ne le sont pas. Elles revendiquent, pour un part significative d’entre elles, le statut de travailleurs du sexe.

Ces trois types de signification de l’escorting mettent finalement en exergue combien le cadre de pensée et le système de valeur de référence  structurent en chacun le rapport à l’activité et distribuent la complexité et la diversité des pratiques prostitutionnelles.

De ce point de vue, l’analyse qui sous-tend l’argumentaire de la résolution pour l’abolition de la prostitution par la pénalisation des clients est gravement lacunaire. Elle dénie la complexité et la diversité de ce qui est en question et en jeu dans la prostitution d’un grand nombre de personnes et réduit ainsi la partie (non consentante, voire dans l’incapacité d’exercer son consentement, et qu’il ne s’agit pas de minimiser) au  tout. 

Au-delà du point de vue moral qui consiste à prendre position pour ou contre l’abolition de la prostitution (parce qu’il s’agit de cela et qu’il est dommageable que la question morale ne puisse plus s’avancer que drapée de son propre déni), il nous semble important de souligner qu’une position (quelle que soit son orientation) imperméable à la nuance et au discernement conduit fatalement à formuler un argumentaire biaisé et partiel.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !